Convention : unanimes, les syndicats de médecins libéraux rejettent le projet de l’Assurance maladie

Christophe Gattuso

Auteurs et déclarations

28 février 2023

Paris, France Malgré des revalorisations estimées à 1,5 milliard d’euros en année pleine, les syndicats de médecins libéraux ont unanimement rejeté le projet d’accord conventionnel soumis par l’Assurance-maladie. Les contraintes d’engagement territorial exigées en contrepartie ont été jugées trop lourdes. François Braun regrette une « occasion manquée ». Il revient à Annick Morel, ancienne inspectrice générale des affaires sociales (Igas), de proposer dans les trois mois au ministre de la Santé un règlement arbitral (voir encadré en fin de texte).

Le cycle tumultueux de négociation entre l’Assurance-maladie et les médecins libéraux dans le but d’aboutir à une nouvelle convention a officiellement pris fin ce mardi 28 février sans accord.

Le « donnant – donnant » avancé par la Cnam a été jugé trop exigeant par des praticiens qui estiment avoir déjà trop donné. Ces derniers jours, presque tous les syndicats ont successivement signifié leur refus d’apporter leur signature au projet de convention médicale.

Dès dimanche soir, au terme d’une concertation interne, MG France, majoritaire chez les généralistes, a annoncé que les 45 membres de son comité directeur avaient voté non à 100% contre ce texte.

Chez les spécialistes, Avenir Spé-Le Bloc a également exprimé dimanche son refus d’apporter son paraphe au projet de la Cnam.

Lundi, ce sont le Syndicat des médecins libéraux (SML) puis la Fédération des médecins de France (FMF, à 97% de ses adhérents) qui l’ont rejeté.

L’Union française pour une médecine libre (UFML), par la voix de son président, avait déjà exprimé samedi dans une vidéo qu’il ne « signerait pas ce truc », en brandissant les 300 pages reçues en dernière minute dans la nuit du vendredi au samedi, peu après minuit.

La CSMF consultera quant à elle ses troupes le 11 mars et il est très peu probable qu’elle soutienne cet accord.

Dialogue de sourds

Rarement un projet de convention aura déclenché une telle opposition. Mais rétrospectivement, pouvait-il en être autrement ? Pendant les 16 semaines qu’ont duré les discussions, les relations n’ont fait que se tendre entre l’Assurance-maladie et les syndicats.

Les médecins reprochaient à la Cnam de tarder à aborder la question des tarifs quand l’Assurance-maladie regrettait la timidité des praticiens à prendre à bras le corps la question de l’engagement territorial pour améliorer l’accès aux soins et réduire le nombre de patients sans médecin traitant.

Tard dans la nuit de vendredi à samedi dernier, l’Assurance maladie a adressé aux syndicats le projet définitif de convention, un texte de 300 pages, à prendre ou à laisser. Avec l’impératif d’apporter une réponse avant le 28 février, dernier carat.

Les derniers ajustements de la Cnam, pour assouplir certains critères de l’engagement de service public (la Cnam demandait par exemple que les médecins ayant souscrit le CET acceptent de prendre en tant que médecin traitant 40 patients en plus par an dans leur patientèle au lieu de 70 dans la proposition initiale), n’ont pas suffi à rendre le projet de convention plus attractif.

En dépit des propositions de revalorisations de 1,5 euro par consultation pour tous et d’un premier niveau de consultation à 30 euros pour les signataires du contrat d’engagement territorial (avec des 2e et 3e niveaux à 40 euros et 60 euros), en dépit d’un relèvement du forfait médecin traitant et de la création d’une consultation à 60 euros pour les patients en ALD qui n’ont plus de médecin traitant, les syndicats ont unanimement rejeté ce projet.

L’injonction inacceptable de travailler plus

« Nous refusons un texte qui conditionne la simple mise à niveau du tarif de leur acte de base à des contraintes supplémentaires », affirmait dès dimanche MG France. « Quelle profession accepterait que l'on remette à niveau ses tarifs, compte tenu de l'inflation, en lui disant “ mais seulement si vous travaillez plus“ ? C'est inimaginable ! » affirmait samedi sur France Info sa présidente, la Dr Agnès Giannotti.

 
Nous refusons un texte qui conditionne la simple mise à niveau du tarif de leur acte de base à des contraintes supplémentaires Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France
 

 

Avenir Spé - Le Bloc a regretté que la négociation ait grandement occulté la médecine spécialisée et que les lointaines revalorisations proposées (prévues en octobre 2024) aient été fléchés à 70% pour la médecine générale sur 1,5 milliard d’euros.

Le syndicat de spécialistes acte le rejet massif du contrat d'engagement territorial « qui laisse en dehors des revalorisations tarifaires près de 70% de nos collègues et qui, par les contraintes imposées, stérilise encore un peu plus l’exercice libéral ».

Le SML, qui réclamait le passage de la consultation à 50 euros avec la disparition des forfaits, a donc également dit non à ce texte conventionnel, reprochant à l’Assurance maladie de réclamer « une activité hors norme pour accéder à quelques subsides ».

L’exigence demandée aux médecins de travailler plus et de s’organiser pour accueillir davantage de patients n’a pas non plus été du goût de la FMF :

« Ce projet gouvernemental de convention devait permettre de prendre rapidement en charge plus de patients avec cet engagement territorial qui n’est rien d’autre qu’un contrat de travail, analyse le syndicat de la Dr Corinne Le Sauder. François Braun a oublié de préciser que cela n’aurait été effectif que dans plus de 18 mois ! C’est incohérent. »

Rupture avec les pouvoirs publics

Lundi, François Braun a tenté de faire bonne figure en dépit de cet échec. Il a regretté sur France Inter le « manque de responsabilité des syndicats de médecins » : « Jamais une telle enveloppe (1,5 milliard d’euros) n’avait été mise sur la table pour conclure une convention médicale, affirme le ministre de la Santé. C’est une occasion manquée pour améliorer la prise en charge de nos concitoyens. »

L’échec de ces négociations entérine la nette rupture survenue depuis plusieurs mois déjà entre les pouvoirs publics et les médecins libéraux. Les récentes propositions de loi Rist facilitant l’accès direct à des professionnels de santé et Valletoux (qui visait à mettre en place un nouveau mode d’autorisation d’installation des médecins – PPL retirée) avaient mis le feu aux poudres.

« Le contexte était délétère, analyse le Dr Philippe Cuq, co-président d’Avenir Spé – Le Bloc. Les pouvoirs publics ont très mal apprécié la situation de la médecine libérale et sa souffrance. Il était impossible d’accepter que les médecins ne travaillaient pas assez. »

 
Les pouvoirs publics ont très mal apprécié la situation de la médecine libérale et sa souffrance. Il était impossible d’accepter que les médecins ne travaillaient pas assez Dr Philippe Cuq, co-président d’Avenir Spé - Le BLOC
 

« Parodie de négociation »

Si sur le fond, les parties ne se sont pas entendues, sur la forme, ce n’était pas mieux. Le courant n’est jamais passé entre les médecins et le patron de la Cnam, échaudé par le départ théâtral des syndicats dès la première séance le 9 novembre…

« On a eu une parodie de négociation, affirme de son côté la Dr Sophie Bauer, présidente du SML. Habituellement, une convention se co-construit. Lors de la première séance, tous les syndicats disent ce qui est important pour eux et le directeur essaie d’écouter tout le monde. Or, là, nous avons été abreuvés de diaporamas, nous avons eu beaucoup de bilatérales mais peu de réelles négociations. »

Des syndicats ont reproché à Thomas Fatôme, directeur de la Cnam, son ton parfois cassant et quelques maladresses comme l’envoi d’un courrier aux médecins libéraux la veille d’une séance de négociation conclusive ou l’adressage en toute dernière minute des 300 pages de convention à l’issue de la dernière séance.

 
Habituellement, une convention se coconstruit. Or, là, nous avons été abreuvés de diaporamas, nous avons eu beaucoup de bilatérales mais peu de réelles négociations Dr Sophie Bauer, présidente du SML
 

Ce lundi, le ministère de la Santé a assumé la tournure dirigiste de la négociation conventionnelle. « Les revalorisations sans conditions n’étaient pas une option, les besoins de la population sont tels qu’il fallait conditionner l’accès à la consultation à 30 euros à des efforts supplémentaires », indique l’entourage de François Braun.

Le climat déjà électrique avec de récentes grèves de médecins le 14 février, devrait continuer de se tendre. Les 3 et 4 mars, l’UFML organise des assises du déconventionnement. Une initiative jugée « irresponsable » par le directeur de l’Assurance-maladie qui a rappel sur le plateau de France 5 que les patients ne sont quasiment pas remboursés lorsqu’ils consultent un médecin déconventionné.

Dans ce contexte, la tâche d’Annick Morel, ex-IGAS chargée de rédiger en trois mois un règlement arbitral, pour régir les relations entre l’Assurance maladie et les médecins libéraux pendant les deux prochaines années, s’annonce ardue.

 

Règlement arbitral, mode d’emploi
En l’absence d’accord, et pour permettre aux assurés de continuer à être remboursés pour leurs soins, la loi prévoit la désignation avant le début des négociations d'un arbitre dont la mission est de rédiger un règlement arbitral.
Annick Morel, ex-inspectrice générale des affaires sociales (IGAS), a été proposée par l'Assurance maladie et acceptée par les syndicats représentatifs. Elle est chargée de rédiger une « convention minimale », un règlement arbitral, après consultation de l’ensemble des parties. Ce texte, qui devra être rédigé pour le 28 mai, fera office de convention pendant deux ans. Passé ce délai, la Cnam et les syndicats devront rouvrir des négociations. Comme une convention, ce règlement arbitral est publié au JO et s’applique dès sa publication. Et s’il comporte des revalorisations, elles peuvent être soumises au système des stabilisateurs économiques et s’appliquer 6 mois plus tard. Mais le règlement arbitral sera financièrement moins doté que le projet de convention, a déjà prévenu l’entourage de François Braun.

 

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