Jalousie : du normal au pathologique

Aude Lecrubier

24 février 2023

Paris, France – La jalousie, sentiment « normal, consubstantiel à l’amour », peut-elle vraiment se transformer en folie, poussant parfois à commettre l’irréparable ?

Lors du dernier congrès de l’Encéphale[1], une thérapeute de couple et de famille, un psychiatre-psychanalyste et un spécialiste de psychopathologie et de psychiatrie légale ont débattu de la réalité du concept de délire de jalousie, de l’impact de la jalousie sur le couple, et de son implication dans les crimes conjugaux.

La jalousie pathologique n’a cessé d’inspirer auteurs et écrivains depuis les premiers âges de la littérature mais occupe-t-elle réellement une place aussi prépondérante dans la vie ? Pour Vassilis kapsambelis, psychiatre-psychanalyste, directeur du centre de psychanalyse de l’ASM 13, les délires de jalousie sont en réalité peu fréquents, tout du moins aujourd’hui, dans notre société.

« Nous rencontrons de moins en moins des délires de jalousie et d’internements pour délires de jalousie dans mon service de psychiatrie publique probablement pour des raisons culturelles. Il y a donc une difficulté actuelle à définir ce délire de jalousie, d’autant plus que cette difficulté a toujours existé parce que la jalousie est considérée comme un sentiment humain universel », souligne-t-il.

 

Délire de jalousie
En psychopathologie, la jalousie maladive est connue sous le nom de « délire de jalousie » ou de « syndrome d’Othello », en référence au héros shakespearien qui subit une forme de délire passionnel de jalousie, qui se développe sur un versant paranoïaque autour d’une conviction irrationnelle de l’infidélité de Desdémone, sa conjointe et qui conduit le héros à l’assassiner puis à se suicider. La jalousie pathologique s’installe de façon progressive, à partir de faits anodins puis devient délirante et envahissante…

La jalousie dans le couple

Même constat du côté d’Elisabeth Bouana, thérapeute familiale en région parisienne : « je n’ai rencontré, depuis que je pratique, qu’une seule situation où la demande première était liée à la jalousie et un second où si elle n’apparaissait pas dans la demande initiale, elle est très vite arrivée sur le devant de la scène. Sinon, elle apparait au décours de la situation de crise du couple dans certains cas », a rapporté l’intervenante en préambule de sa présentation.

La jalousie maladive, serait peu fréquente donc. En outre, comparée à quelques décennies en arrière, la plainte autour de la jalousie serait aujourd’hui d’ordre plus affectif, moins « sexuel », note l’oratrice.

« Il y a 35, 40 ans, il était avant tout question de tromperie, l’enjeu était celui de la fidélité et de l’exclusivité sexuelle dans la relation de couple. Désormais, lorsque la jalousie apparait, elle est avant tout affective. L’infidélité sexuelle peut même dans certains cas être acceptée, contractualisée. En revanche, les gens ont besoin d’être connectés à l’autre en permanence. Nous sommes dans le registre de perfusion et de la dépendance affective. L’autre est sommé de répondre présent en permanence. On peut même parler de passion virtuelle », explique l’intervenante.

Cycle de vie du couple : des moments clés

Dans la vie d’un couple, plusieurs moments sont propices au développement d’une jalousie affective/émotionnelle : l’arrivée du premier enfant, l’adolescence des enfants et plus rarement le grand âge.

A la naissance du premier enfant, la difficulté de passer de deux à trois est un moment où la jalousie s’exprime.

« Un des partenaires ou même les deux peuvent être jaloux de l’enfant et surtout du lien que le deuxième parent va nouer avec lui, tant le regard de l’autre s’avère essentiel à la survie narcissique du sujet. Pour certains, l’arrivée de l’enfant signe une sortie insoutenable de la fusion amoureuse et l’enfant devient un intrus rival mis sur le même plan qu’un rival amoureux », commente Elisabeth Bouana.

Une autre période charnière est celle de l’adolescence des enfants.

« Il peut arriver que l’un ou les deux parents soient jaloux de l’adolescent car il représente à la fois la légèreté et l’insouciance propre à cette période de la vie, la beauté et cette période où l’avenir est ouvert », souligne l’oratrice. Jalousie ou envie ? C’est une autre question.

Enfin, « il y a des couples plus que matures avec des enjeux de jalousie majeurs », souligne Elisabeth Bouana qui précise « cette jalousie peut alors avoir, entre autres, pour fonction d’éviter de voir l’horloge qui tourne ».

Quelle place de la jalousie dans les crimes conjugaux ?

Dans les statistiques de la police et de la gendarmerie, le motif de « jalousie » ne serait central que dans 5 % des cas.

Pas si surprenant puisque les délires de jalousie sont en fait rarement rencontrés tant à l’hôpital qu’en pratique de ville.

Dans les crimes conjugaux, « il n’y a pas de tiers réel ou fantasmé », objet de la jalousie, mais le plus souvent une incapacité à accepter la séparation, indique le Pr Daniel Zagury, spécialiste de psychopathologie et de psychiatrie légale, chef de service et expert près la cour d'appel de Paris.

« Il est contre-intuitif de penser que la jalousie occupe une relative place secondaire » dans les crimes conjugaux mais les passages à l’acte surviendraient en fait « lorsque surgit à la conscience du sujet, épuisé par des semaines d’insomnie, par des allers-retours entre l’espoir et le désespoir, la représentation de l’irrémédiable de la séparation. C’est à ce moment-là que ce produit une bascule », commente le Pr Zagury.

L’orateur, tient à préciser que la représentation, notamment médiatique, du criminel ne correspond pas vraiment à la réalité de la situation.

« En réalité seuls un peu plus d’un quart des sujets qui passent à l’acte ont des antécédents de violence dans le couple. En revanche, il y a un certain nombre d’hommes fragiles dont la faille s’ouvre au moment de la séparation et pour lesquels nous n’avons peut-être pas assez d’attention dans la prévention, l’encadrement et le soin ».

Liens : 

Étude de cas : maladie de Parkinson et délire d’adultère

 

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