Affiche « Bronzez, vous allez plaire ! » : les dermatologues vent debout

Christophe Gattuso

Auteurs et déclarations

23 février 2023

Paris, France – Une affiche incitant au bronzage, exposée dans la vitrine d’un centre UV, a amené le Dr Jérémy Lupu, dermatologue, à pousser un coup de gueule sur Linked’In. Estimant qu’il s’agit d’une publicité indirecte contrevenant à la loi, il invite les pouvoirs publics à interdire les cabines de bronzage, dont un nombre non négligeable est régulièrement réprimandé par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Soutenu par l’association Vaincre le Mélanome, le médecin rappelle le risque de mélanome qu’une exposition aux rayons UV peut entraîner.

 
Plus de 80 000 cas de cancers de la peau sont diagnostiqués chaque année en France et plus de 80% d’entre eux sont liés à une exposition excessive aux UV ! Dr Jérémy Lupu
 

Campagne publicitaire

C’est une simple affiche exposée sur une vitrine. On y voit le visage d’une jeune femme, son épaule dénudée et quatre petits mots : « Bronzez, vous allez plaire ! »

Peut-être êtes-vous déjà passé devant une telle affiche sans la remarquer ? Le Dr Jérémy Lupu, lui, ne l’a pas loupée et son sang n’a fait qu’un tour en découvrant cette injonction sur la vitrine d’un centre de bronzage Point Soleil, en bas de chez lui, à Vincennes. Ni une, ni deux, le médecin poste un message sur Linked’In pour exprimer son mécontentement. « Ce genre de campagne me révolte, écrit le Dr Lupu dans son post. Plus de 80 000 cas de cancers de la peau sont diagnostiqués chaque année en France et plus de 80% d’entre eux sont liés à une exposition excessive aux UV ! »

 

Le danger des UV artificiels

Citant les fiches repères de l’Institut national du Cancer et des statistiques du Centre international de recherche sur le cancer (Circ), le dermatologue souligne que l’exposition aux UV artificiels augmente de 70% le risque de développer un cancer de la peau – notamment lorsqu’elle a lieu avant 35 ans (voir encadré). Chaque année en France, 380 nouveaux cas de mélanomes seraient directement liés à l’utilisation de ces machines.

« Cette affiche de publicité déguisée m’agace profondément, précise-t-il à Medscape Edition française. Le message qui est fréquemment envoyé selon lequel il faudrait préparer sa peau au soleil est mensonger. Il faut bien comprendre qu’une exposition de 15 minutes aux UV artificiels équivaut à une exposition de la même durée sans protection solaire sur une plage des Caraïbes. »

Les UV artificiels sont responsables d’un vieillissement accéléré de la peau (rides, taches, relâchement…). Très sensibilisé à la problématique des cancers cutanés, le Dr Lupu, qui exerce en libéral mais aussi à l’Institut Gustave Roussy, milite pour l’interdiction des cabines de bronzage. Certains pays comme le Brésil (en 2009) ou l’Australie (en 2014) ont franchi le pas. « Malheureusement, la France, malgré les nombreuses alertes des autorités sanitaires, de l’Anses notamment, n’est pas allée au bout de ses intentions. Et de nombreux centres sont épinglés chaque année par la DGCCRF (lire plus bas). »

 
L’exposition aux UV artificiels augmente de 70% le risque de développer un cancer de la peau.
 

« Marre de la communication bisounours »

Le médecin est soutenu par l’Association Vaincre le mélanome. « Nous en avons marre que les choses ne bougent pas et que la France ait une communication de bisounours en recommandant d’interdire ! », clame Pascale Benaksas, responsable de l’association. « Le mélanome est devenu la première cause de cancer des jeunes adultes et c’est un sujet dont on n’entend pas suffisamment parler ! Les cancers de la peau sont les parents pauvres des cancers. Et selon certains experts, ils pourraient devenir la première cause de cancer des adultes d’ici à 2040. » L’association se démène pour faire connaître les dangers d’une trop grande exposition au soleil. Elle a créé une chaîne Youtube et travaille en interface avec des centres experts en onco-dermatologie. « Les Français ne connaissent pas suffisamment les risques de mélanome et de carcinome et ils ne s’observent pas bien ! Il est important de ne pas procrastiner quand apparaît une tache sur la peau », ajoute Pascale Benaksas. 

Comment une affiche invitant à bronzer a-t-elle pu se trouver en vitrine d’un centre de bronzage ? Contactée, la direction du centre Point Soleil de Vincennes n’a pas souhaité répondre. Tout juste un employé affirme-t-il que l’affiche mise en vitrine ne relève pas d’une initiative individuelle mais qu’elle a été éditée par le groupe. Medscape Edition française a tenté de joindre la direction du groupe sans réponse.

 
Le mélanome est devenu la première cause de cancer des jeunes adultes et c’est un sujet dont on n’entend pas suffisamment parler. Pascale Benaksas
 

 

Mélanomes et UV, ce que dit la littérature
Le mélanome cutané, forme la plus agressive du cancer de la peau, a vu son nombre de nouveaux cas presque être multiplié par 5 (+371 %) entre 1990 et 2018, ce qui représente plus de 15 000 nouveaux cas par an, relève l’InCA[1]. Selon le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), près de 83,5 % des mélanomes cutanés seraient dus à l’exposition solaire[2]. En 2009, le CIRC a ajouté, dans la liste des agents cancérogènes pour l’homme, les UV émis par les lampes de bronzage[3]. Une méta-analyse de 2012[4] indique que l’usage des UV artificiels augmente le risque de mélanome de 20 %, avec une augmentation de 87 % s’ils sont utilisés avant 35 ans. Ces résultats sont confirmés dans une méta-analyse de 2014[5], qui retrouve également que le risque augmente avec l’usage : les sujets réalisant plus de 10 séances de bronzage ont 34 % de risque en plus de développer un mélanome par rapport aux non-utilisateurs.

L’interdiction, une menace qui plane depuis plusieurs années

Les cabines de bronzage sont régulièrement dans le viseur des autorités. Et nombreux ont été les appels de médecins (le syndicat national des dermatologues et l'Académie nationale de médecine), de parlementaires, et même d’institutions pour demander leur interdiction. Dans un avis du 10 octobre 2018, l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) exhortait les pouvoirs publics à « prendre toute mesure de nature à faire cesser l’exposition de la population aux ultraviolets artificiels émis par les cabines de bronzage à des fins esthétiques ».

A plusieurs reprises, le Sénat a proposé l’interdiction des cabines UV, une première fois en 2012, une seconde en 2015 dans le cadre de l’examen du projet de loi santé de Marisol Touraine. Le Sénat avait même voté cette interdiction mais l’Assemblée est finalement revenue sur cette mesure.

Parlementaire très actif et partisan de l’interdiction des cabines UV, le sénateur centriste du Doubs, Jean-François Longeot, regrette que la problématique de l’emploi l’ait emporté sur les considérations de santé publique. « Le lobby des cabines a été très actif, relate-t-il. Ils m’ont appelé plusieurs fois pour me dire que je ne savais pas ce que je faisais, que des milliers d’emplois étaient en jeu. » Le parlementaire se souvient d’avoir essuyé quelques insultes lors d’une émission radio à grande écoute. « Je reviendrai à la charge », assure le sénateur, persuadé qu’il est possible de préparer une reconversion d’activité pour les responsables de cabines UV dont le nombre a sensiblement baissé ces dernières années.

40% d’anomalies en 2020 relevées par la DGCCRF

Si la pratique du bronzage en cabine reste autorisée, la réglementation a toutefois été durcie en 2013 puis en 2016 avec la loi santé de Marisol Touraine pour limiter les risques pour la santé des consommateurs qui y ont recours. Interdiction des séances pour les mineurs, interdiction formelle de publicité, contrôles des appareils renforcés avec une traçabilité par des organismes de contrôle technique, obligation pour les centres de dispenser des avertissements sanitaires sur les risques pour la santé. Malgré tous ces garde-fous, les centres de bronzage ne sont pas tous des bons élèves.

Dans la dernière enquête qu’elle a réalisée, en date de 2020, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répressions des fraudes (DGCCRF) observait un taux d’anomalies de plus de 40% après des visites de contrôle effectuées dans 640 établissements offrant des prestations d’UV artificiels – un résultat en amélioration par rapport aux années précédentes mais qui reste élevé.

Des avertissements, des blâmes... mais pas d’interdiction

La DGCCRF relevait alors que 259 instituts de beauté et centres de bronzage, ne respectaient pas au moins l’une des dispositions réglementaires ou législatives. Les enquêteurs constataient « la récurrence de nombreux manquements concernant la sécurité des machines et des prestations proposées » tels que des justificatifs de conformité absents, des contrôles techniques des machines non effectués, ou absence d’émission de déclaration de nouveaux appareils (des cabines ont été utilisées sans que les contrôles techniques aient eu lieu). De même, « les informations essentielles de mise en garde concernant les dangers pour la santé de l’exposition aux UV artificiels sont encore trop rarement délivrées aux consommateurs », concluent les enquêteurs (voir encadré ci-dessous).

Les décisions rendues ont été assez clémentes envers les contrevenants. Au final, 111 des 259 établissements en anomalie ont été destinataires d’avertissements et 137 ont reçu des injonctions pour des manquements à l’obligation d’information sanitaire dans 52% des cas. Un seul a fait l’objet d’un arrêté de suspension pour n’avoir pas fait réaliser de contrôles techniques des appareils mais il a immédiatement régularisé sa situation.

 
Les informations essentielles de mise en garde concernant les dangers pour la santé de l’exposition aux UV artificiels sont encore trop rarement délivrées aux consommateurs la DGCCRF.
 

 

Quelles sont les messages d’information sanitaires délivrés au public dans les cabines UV ?
Pour le savoir, notre journaliste s’est rendu à une séance de bronzage intégrale réalisée dans un centre Point Soleil parisien. Il témoigne : « les consignes dispensées à l’oral par l’hôtesse d’accueil sont minimalistes. Interrogée, elle recommande à l’usager de ne pas mettre de parfum ni de maquillage, et d’attendre un mois après une épilation laser pour une séance UV. Dans la salle où se trouve la machine, plusieurs affiches sont accrochées au mur. L’une d’elle présente le bronzage approprié en fonction du type de peau (avec une échelle de 1 à 6 entre la peau blanche et laiteuse jusqu’à la peau noire). Une autre présente le certificat de conformité de la machine. La dernière est un « avertissement pour votre santé » précisant que « l’utilisation d’un appareil de bronzage cause des dommages irréversibles, comme des cancers cutanés, des lésions oculaires, un vieillissement prématuré de la peau ». Indiquant qu’« il est fortement déconseillé de s’exposer aux rayonnements ultraviolets des appareils de bronzage (sic) », cette troisième affiche invite les clients à respecter un délai minimum de 48 heures entre deux séances et à ne pas s’exposer au soleil le même jour qu’une séance ».

 

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