Réhabilitation érectile : un intérêt dans d’autres indications que la prostatectomie totale ?

Hélène Joubert

Auteurs et déclarations

3 mars 2023

Montpellier, France – Le concept de réhabilitation ou de rééducation érectile fait partie du domaine de la prévention secondaire, c’est-à-dire qu’il s’agit d’éviter que la dysfonction érectile apparue ou diagnostiquée à la suite d’un épisode critique ne se chronicise. Le concept de la réhabilitation érectile après prostatectomie totale, où il a été le plus étudié et mis en pratique, est-il applicable à d’autres populations ? Le Pr Stéphane Droupy, chirurgien urologue andrologue au CHU de Nîmes, répondait à cette question aux Journées francophones de sexologie et de santé sexuelle (JE3S ; 8-10/09/22, Montpellier) [1].

Le cancer de la prostate est emblématique des pathologies génératrices de troubles sexuels et de dysfonction érectile (DE) en particulier. D’autres pathologies d’organes moins symboliques pourraient-elles également en bénéficier ?

Réhabilitation érectile : de quoi s’agit-il ?

La rééducation érectile consiste en la prise en charge précoce de la DE post-prostatectomie totale. Ses objectifs sont d’améliorer la qualité des érections pendant la période de récupération (aux alentours de 2-4 ans) s’il y a, bien entendu, eu une préservation nerveuse, de permettre une reprise de la vie sexuelle en post-opératoire et, peut-être, d’éviter la survenue de séquelles définitives. Le concept a évolué avec les années, avec les seules injections intra-caverneuses (IIC) précoces et systématiques à la fin des années 90 [2], les inhibiteurs de la phosphodiestérase de type 5 (IPDE-5) quotidiens sur le long terme, et la prise en charge globale intégrée (IPDE-5, IIC, vacuum, sexothérapie, supplémentation en cas de syndrome du déficit en testostérone).

« Globalement, aujourd’hui, soit 25 ans après la première publication sur le sujet, il n’existe pas de protocole consensuel de rééducation érectile, reconnaît le Pr Droupy. Ce que l’on sait, c’est que quelle que soit la technique, le résultat dépend à la fois du temps et de la qualité de la préservation vasculo-nerveuse, avec une récupération des érections comprise entre 30 et 85 % en cas de préservation bilatérale, et de 15 % à 55 % si celle-ci n’est qu’unilatérale [3,4].

Ne pas trop en attendre et être patient

A ce jour, l’étude de la récupération pharmacologique post-prostatectomie en vraie vie n’a pas donné de résultats convaincants, probablement en partie parce que la durée de la plupart des études ne dépasse pas 9 mois. Une étude conduite sur 18 mois [5] suggère qu’une attitude proactive est bénéfique avec une amélioration quantitative et qualitative des érections non pharmacologiquement assistées (52 % de patients dans le groupe rééduqué contre 19 % de patients dans le groupe non rééduqué). L’efficacité des IPDE-5 (sildénafil) était meilleure chez les patients qui avaient suivi une rééducation (64 % contre 24 %). La précocité de cette rééducation importe [6]. Le sildénafil 100mg précoce (prescrit pendant 3 mois) permet de meilleurs résultats que le sildénafil 100mg débuté au 3ème mois postopératoire (pour 3 mois) en termes de qualité d’érection à 12 mois (41,1 % contre 17,7 %).

« Une multitude de paramètres interviennent dans la récupération, précise l’urologue. L’élément déterminant pour la qualité de l’érection postopératoire (rééducation par tadalafil 5 mg pendant 9 mois) est la satisfaction vis-à-vis des rapports sexuels avant l’opération, la réalisation de l’opération robot assistée, et la préservation nerveuse [7]. »

 
Une multitude de paramètres interviennent dans la récupération.
 

L’extension du concept de la réhabilitation érectile à la radiothérapie

La dégradation des fonctions sexuelles après curiethérapie est importante, d’autant plus qu’on lui associe une castration chimique et une radiothérapie [8,9].

 

Cancer de la prostate : bénéfices de la la réhabililtation érectile après prostatectomie et curiethérapie.

Tous les traitements du cancer de la prostate induisent des séquelles sexuelles et en particulier sur l’érection. Dans une publication, « les équipes de radiothérapie ont testé la rééducation, au moyen de la prise d’IPDE-5 quotidiens sur 6 mois (sildénafil 50mg/j versus placebo, 2 :1) chez 279 patients, commente le Pr Droupy. A 24 mois 81,6 % des hommes sous sildénafil et 56 % sous placebo rapportaient des érections fonctionnelles avec ou sans traitement (p-=0,045). Il n’y avait pas de différence entre le traitement par curiethérapie et radiothérapie. Effectivement, au cours de la période de récupération, les érections sont meilleures sous sildénafil, mais une fois les médicaments arrêtés, la quantité et la qualité des érections sont similaires pour tous les hommes. Le phénomène de réhabilitation érectile n’est donc pas prouvé dans cette étude, en dépit de conclusions positives ».

Une autre étude menée avec le tadalafil n’a pas rencontré plus de succès en prévention de la chronicisation de la DE [10].

Finalement, la société anglaise de radiothérapie [11] s’est prononcée en 2015 en faveur de la rééducation érectile par IPDE-5 instaurés précocement, la psychothérapie, l’usage du vacuum, etc.

« En résumé, même si l’on peine à prouver le concept de rééducation érectile, on pense cependant qu’il vaut mieux en faire bénéficier les patients », résume le Pr Droupy.

 
En résumé, même si l’on peine à prouver le concept de rééducation érectile, on pense cependant qu’il vaut mieux en faire bénéficier les patients.
 

Rééducation érectile après cystectomie, AVC et fracture du bassin. Un intérêt ?

Concernant la rééducation érectile après cystectomie [12], une étude comparative sur 160 patients ayant subi une cystectomie, avec ou sans préservation nerveuse, a testé l’absence de traitement contre un traitement par IPDE-5 seuls, des injections intra caverneuses seules, et l’association IPDE-5-ICC. « Globalement, les différentes solutions de rééducation font à peine mieux que rien, synthétise Stéphane Droupy, et la principale condition pour espérer récupérer des érections satisfaisantes reste la préservation nerveuse. »

Après cancer du rectum, pathologie où le taux de dysfonction sexuelle est majeur [13], un léger bénéfice semble se dessiner en faveur de la rééducation érectile dans deux études relativement récentes (avec le sildénafil et l’udénafil), mais qui reste à démontrer [14,15]. Peu d’études, faibles échantillons, courtes durées d’étude… La démonstration reste difficile.

Après un accident vasculaire cérébral (AVC), aucune étude n’a porté sur une intervention pharmacologique [16]

À la suite d’une fracture du bassin, l’intérêt de la rééducation érectile est un peu plus documenté. La fréquence de la DE est estimée à 35 %, à 48 % en cas de plaie vésicale et 58 % en cas de rupture de l’urètre. Une étude publiée en 2021 est plutôt en faveur de l’intérêt d’une telle rééducation, au moyen des IPDE-5 [17]. Enfin, après un infarctus du myocarde, où le taux de DE oscille entre 50 et 79 %, l’amélioration de la fonction érectile est constatée avec la reprise d’une activité physique (ici la marche 60 minutes, 4 fois par semaine) [18,19]. Les auteurs ont constaté que les IPDE-5 étaient associés à une mortalité réduite chez les patients ayant une maladie cardiaque ischémique stabilisée, tout comme ceux ayant eu un récent infarctus du myocarde. Des études randomisées doivent être conduites pour mieux comprendre comment fonctionnent les IPDE-5 en post-IDM.

Mettre en place une prise en charge multidisciplinaire structurée

« Finalement, les indications de la réhabilitation érectile sont nombreuses car les épisodes critiques à l’origine de la DE ou de son diagnostic sont nombreux, résume le Pr Droupy, comme les cancers de manière assez globale (même s’il n’y a pas d’étude dans le cancer du poumon), dont ceux traités par chimiothérapie, radiothérapie, immunothérapie, hormonothérapie, et/ou chirurgie, mais également les AVC, les infarctus du myocarde, les accidents ischémiques divers, les accidents neurologiques, les fractures du bassin, les décompensation de maladies chroniques (diabète, insuffisance rénale ou respiratoire), à la suite d’une hospitalisation en réanimation (caractérisé par un effondrement des taux de testostérone) et même d’une Covid-19. »

 
Finalement, les indications de la réhabilitation érectile sont nombreuses car les épisodes critiques à l’origine de la DE ou de son diagnostic sont nombreux.
 

Le spécialiste conseille de reconnaître les symptômes, les évaluer, informer les patients, et de mettre en place les actions de réhabilitation. Celles-ci comprennent l’amélioration de la communication et des relations dans le couple et au sein du milieu professionnel, de réduire la consommation d’alcool, d’augmenter l’activité physique, d’arrêter de fumer, de réduire les apports en sel, d’équilibrer la pression artérielle, le diabète et de normaliser l’IMC, d’évaluer le risque cardiovasculaire et, par conséquent, de réduire et de traiter les facteurs de risque, sans oublier de rechercher une éventuelle iatrogénèse médicamenteuse. « À la suite d’un évènement critique, il faut rechercher une DE, insiste Stéphane Droupy, et mettre en place une prise en charge multidisciplinaire structurée (éducation thérapeutique, consultation de médecine sexuelle / sexologie. Si, selon l’évidence based medicine, la rééducation pharmacologique sur une période de 6 à 9 mois par IPDE-5 ne permet pas d’améliorer significativement la préservation de la fonction érectile à l’issue du traitement, un traitement précoce et prolongé doit être proposé et adapté à la demande du patient/couple. Enfin, l’évaluation d’un éventuel déficit en testostérone doit être réalisé, y compris dans le cadre du cancer de la prostate. »

 

Suivez Medscape en français sur  Twitter .

Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur  Twitter .

Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape :  sélectionnez vos choix

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....