Nitroglycérine : comment un explosif est devenu un anti-angoreux

Dr David M. Warmflash

Auteurs et déclarations

16 février 2023

États-Unis – Comment en est-on arrivé à utiliser des dérivés nitrés contre l'angor ? Retour sur les origines de ce médicament.

Les origines du médicament

Le trinitrate de glycéryle, ou TNG, est apparu dans les années 1840, lorsqu’un chimiste italien, Ascanio Sobrero, l’a créé en ajoutant de l’acide nitrique et de l’acide sulfurique au glycérol. L’instabilité de ce liquide huileux explique pourquoi dans les dessins animés classiques de votre enfance, cette concoction était l’arme de prédilection des méchants.

C’est Alfred Nobel (connu pour les prix éponymes) qui a combiné l’explosif du trinitrate de glycéryle, par ailleurs instable, avec un adsorbant inerte, le kieselguhr, créant ainsi une pâte qui pouvait être emballée dans des bâtons et exploser de manière contrôlée (bâton de dynamite).

Aujourd’hui, le trinitrate de glycéryle est un vasodilatateur, très puissant, qui est généralement administré par voie sublinguale pour soulager et prévenir les angines de poitrine.

La transformation de cet explosif en un médicament qui a aidé des millions de personnes aurait pu consoler Ascanio Sobrero à qui l’invention du trinitrate de glycéryle allait apporter bon nombre de désagréments. Outre le fait qu’il fut blessé à la suite d’une explosion dans le laboratoire, il a vu son invention blesser et tuer d’autres personnes. Ses regrets n’ont fait qu’empirer après que Nobel a rendu le trinitrate de glycéryle simple à commercialiser.

Bien qu’ Ascanio Sobrero ait vécu jusqu’en 1888, date à laquelle le monde de la médecine a commencé à utiliser le TNG comme médicament pour le cœur, ce n’est qu’au début des années 1900 que ce médicament a commencé à prospérer en tant que produit pharmaceutique. Ce tâtonnement médical a commencé par une action qu’Ascanio Sobrero a lui-même entreprise avant de découvrir la propriété explosive du TNG.

Le XIXe siècle : avancée majeure en pharmaceutique

Ascanio Sobrero a testé le produit sur lui-même, en le goutant. Il ne faut pas oublier pas qu’il s’agit du milieu du 19e siècle, époque à laquelle il était courant pour les chimistes d’utiliser leur bouche comme instrument, comme nous le ferions aujourd’hui avec un pH-mètre ou un spectrophotomètre.

À cette époque, les gens reniflaient du protoxyde d’azote, de l’éther et du chloroforme pour se divertir — ce qui a conduit à des découvertes médicales fortuites — et c’est exactement ce qui s’est passé avec le trinitrate de glycéryle.

Sobrero a appris que ce dernier avait un goût sucré et provoquait des maux de tête massifs. Cette observation a d’abord intéressé les homéopathes, qui pensaient que de petites fractions de la dose provoquant les maux de tête pourraient les guérir (selon le principe de similitude), mais cela n’a pas fonctionné.

Néanmoins, au fur et à mesure que le médicament circulait, on a observé qu’il faisait baisser la tension artérielle, si bien que certains médecins ont commencé à l’utiliser comme traitement contre l’hypertension.

En parallèle, il a été constaté que les gens souffraient de maux de tête après avoir reniflé les vapeurs d’une autre substance récréative, le nitrite d’amyle. Lorsque les chercheurs ont réalisé à la fin des années 1860 que le nitrite d’amyle était un vasodilatateur, il a attiré l’attention de T. Lauder Brunton, un médecin et scientifique qui l’a utilisé pour traiter l’angine de poitrine.

Cependant, en tant qu’agent volatile inhalé, le nitrite d’amyle est difficile à doser et sa fenêtre thérapeutique étroite. Il était donc probable qu’une personne recevant du nitrite d’amyle ressente toute une série d’effets indésirables, comprenant non seulement la syncope et d’autres complications liées à l’action hypotensive du médicament, mais aussi l’élévation de la pression intracrânienne et intraoculaire et de la méthémoglobinémie (taux de méthémoglobine dans le sang).

Tous ces effets, auxquels s’ajoutait une durée d’action de seulement 3 à 5 minutes, faisaient du nitrite d’amyle un médicament qui ne fonctionnait pas vraiment. Il sera cependant utilisé plus tard - et pendant de nombreuses décennies - comme antidote à l’empoisonnement au cyanure.

Entre-temps, la fin du 19e siècle a été le théâtre d’une évolution fascinante chez les hommes qui travaillaient avec de la dynamite, comme ceux qui ont participé à la construction des chemins de fer transcontinentaux, des grands canaux et d’autres projets de génie civil de grande envergure.

Tous ces projets nécessitaient des explosions pour retirer la roche et percer des tunnels à travers et autour des montagnes. La dynamite étant la clé du processus, les travailleurs risquaient non seulement de subir des blessures traumatiques dues aux explosions, mais ils étaient également exposés à son principal ingrédient, le TNG, par inhalation ou absorption cutanée.

Parmi ces travailleurs, certains présentaient des symptômes d'angor et ont remarqué à l'occasion que leurs douleurs thoraciques s’atténuaient après avoir manipulé de la dynamite.

Une association détonante

Bien qu'aucune étude épidémiologique n'ait été conduite sur le sujet, il y eut suffisamment de discussions pour susciter la curiosité des chercheurs en médecine, notamment celle du médecin et pharmacologue anglais William Murrell.

En collaboration avec un autre médecin, Fancourt Barnes, William Murrell mena des études comparatives sur le nitrite d’amyle et le TNG pour traiter l’angine de poitrine à la fin des années 1870 et dans les années 1880. Ces études laissaient entendre que le TNG avait un pic d’action plus tardif mais aussi une durée d’action plus longue que le nitrite d’amyle.

Cette constatation, à laquelle s’ajoutaient une administration plus facile par voie sublinguale et une toxicité bien moindre, a conduit à une utilisation accrue du trinitrate de glycéryle dans le traitement de l’angine de poitrine au cours des premières décennies du 20e siècle.

À la suite d’études menées à la fin des années 1920 comparant le nitrite d’amyle à un autre nitrite (le nitrite de sodium), quelques nitrites et nitrates sont devenus des traitements recommandés pour l’angine et l’hypertension dans les années 1930.

Au début du 20e siècle, les antihypertenseurs comprenaient non seulement le TNG, mais aussi d’autres médicaments à base de nitrate, comme le dinitrate de mannide et le dinitrate d’isosorbide.

Les recherches qui se sont poursuivies entre le milieu et la fin du 20e siècle ont non seulement permis d’élargir la liste des médicaments à base de nitrate à action rapide et à action prolongée, mais elles ont également révélé le mécanisme d’action du TNG et des agents similaires.

A savoir qu’essentiellement, les cellules de l’organisme transforment le trinitrate de glycéryle en monoxyde d'azote (NO), qui détend les muscles lisses des parois des vaisseaux sanguins, entraînant la dilatation des vaisseaux.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Il est certain qu’il n'y a pas lieu de s'inquiéter d'une éventuelle explosion. Le TNG pharmaceutique est mélangé à des agents inertes - dans une plus large mesure que dans la dynamite d’Alfred Nobel. Lorsque l’on informe les patients sur le bon usage et les effets secondaires potentiels du TNG, il est également conseillé de leur parler du fait que le principe actif est instable. De fait, la durée de conservation effective de ce médicament est de quelques mois seulement.

 

Cet article a initialement été publié sur Medscape.com sous Nitroglycerin: How An Explosive Became a Cardiac Drug . Traduit et adapté par Mona El-Guechati.

 

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