Paris, France — Des milliers de médecins se sont donnés rendez-vous à Paris pour marquer leur opposition à la loi Rist débattue au Sénat. Mais ils en ont aussi profité pour se plaindre de leurs conditions de travail, de leurs rémunérations et du bureaucratisme de l'assurance maladie. Reportage.
« Extravagant »
Environ 2 000 à 5 000 médecins se sont donné rendez-vous hier aux alentours des 13 heures place Vauban, à Paris 7e, pour ce qui était annoncé comme une manifestation historique.
De fait, si la manifestation a semblé plus importante que la précédente, on n’y a guère vu, dans le ciel, que les ballons des syndicats de médecins libéraux (SML, UFML-S, MG France, FMF, Médecins pour demain, CSMF...).
La présence de médecins hospitaliers n’a guère été ostentatoire... Au sein du cortège, qui devait s'ébranler en direction Sénat autour des 13h30, les badges et autocollants de Médecins pour demain étaient fort nombreux tout comme les casquettes de l'UFML-S siglés d'un cinglant « extravagant », en référence aux propos de Thomas Fatôme, directeur de l'assurance maladie, qui avait qualifié les revendications de revalorisation du C à 50 euros, brandies par Médecins pour demain, d'"extravagantes".
Sur le camion des organisateurs de la manifestation, un porte-parole de Médecins pour demain se vante d'avoir « obligé » Frédéric Valletoux à retirer le projet de loi de Thomas Mesnier, dont il était rapporteur, et qui prévoyait entre autres une remise en cause de la liberté d'installation des médecins libéraux.
Une majorité de médecins généralistes
Parmi les médecins présents – essentiellement des médecins généralistes –, beaucoup sont venus manifester leurs ras-le-bol de leurs conditions de travail, des rémunérations indignes, du dirigisme de l'assurance maladie. Et de la loi Rist, bien évidemment, qui devait être discutée le 14 février en séance publique au Sénat.
Comme Jean-Marc, 57 ans, médecin généraliste (installé depuis 22 ans) à Gignac, dans les Bouches-du-Rhône (13). « Les conditions de travail se dégradent de jour en jour. Nous manquons de médecins, il y a des déserts médicaux partout, moi je suis de Gignac, une ville à une vingtaine de kilomètres de Marseille nous sommes six médecins sur 12 auparavant installés et il n'y a pas eu de nouvelle installation. Le gouvernement décourage les jeunes médecins à s'installer, en ne mettant pas de tarifs intéressants. Du coup, ils préfèrent travailler en Ehpad ou en clinique ou faire des gardes à l'hôpital », se désole-t-il.

Pour y remédier, « il faut un choc d'attractivité, nous enlever de la paperasse, une augmentation des revenus, nous voulons 25 euros nets dans nos poches. Actuellement, il nous reste entre 10 et 12 euros dans nos poches ».
La loi Rist, qui prévoit de déléguer certaines tâches en accès direct aux paramédicaux, est-elle la solution ? Non, pense Jean-Marc, qui n'a pas de mots assez durs contre cette proposition de loi : « Aujourd'hui nous sommes là pour gueuler contre la loi Rist. On nous enlève la primo-prescription, les patients devront d'abord passer par une infirmière, avant de pouvoir consulter un médecin, pour moi, c'est une aberration, c'est de la médecine au rabais. Il n'y a pas assez de médecins donc on met des infirmières à la place, j'estime que chaque métier doit être respecté : une infirmière sait faire des choses que je ne sais pas faire et vice-versa. Qui plus est, les infirmières ne nous libèrent pas du tout du temps médical, nous perdons surtout en temps administratif, nous passons 6 minutes à examiner un patient et 10 minutes à faire de l'administratif. Une infirmière ne peut pas nous faire réellement gagne du temps. »

Les mesures de simplification annoncées par le ministre de la santé n'ont pas l'air de le convaincre : « François Braun, en annonçant des mesures de simplification, répond tardivement à nos demandes, parce que nous sommes descendus dans la rue. Parallèlement, il veut nous allonger notre temps de travail en nous rajoutant des samedis supplémentaires, via les CET. »
Le CET, autrement dit contrat d'engagement territorial, est la nouvelle bête noire des médecins réunis place Vauban. Il a été proposé par l'assurance maladie dans le cadre des négociations conventionnelles en cours. L’idée est la suivante : des consultations mieux rémunérées contre une plus grande implication dans le territoire, dans la permanence des soins ambulatoire, ou encore l'adhésion à une CPTS.
CET pas applicable à tous les médecins
Philippe, 30 ans, médecin remplaçant depuis deux ans et demi, ne pense pas que le CET soit applicable pour tous les médecins libéraux. « Je pense que la maison de santé, dans laquelle je travaille, remplit une bonne partie des conditions du CET. Mais dans l'autre cabinet où j’exerce, qui n'est pas une MSP, on ne pourrait pas respecter toutes les conditions du CET. Pour les médecins qui font déjà des horaires de fous, la CET n'est pas la solution. Parmi les médecins que je remplace nombreux sont ceux qui craquent, et c'est pour cela que je garde pour le moment ce statut-là de remplaçant, qui est moins dur que le statut de médecin installé », analyse-t-il.
Jeune médecin généraliste, Philippe est déjà désillusionné : « j'ai l'impression que notre travail n'est pas valorisé via la consultation à 25 euros. Si on veut faire une consultation correcte et, en plus, faire de la prévention, il n'est pas possible de rester à 25 euros. Je milite pour une augmentation du C, pas forcément à 50 euros, mais ce serait bien de s'en approcher quand même. Nous avons aussi l'impression d'être méprisé par le gouvernement et aussi par certains patients. Ce mépris gouvernemental, c'est le maintien de la consultation à 25 euros. Et ils vont aussi supprimer d'autres majorations qui existaient. Actuellement, avec un C aussi bas, je ne m'installerai pas. »
Pour lui, le principal problème reste la lourdeur des tâches administratives, que seule une secrétaire médicale en présentiel peut prendre en charge :
« Je travaille dans deux cabinets, l'un avec secrétaire et l'autre sans secrétaire, je vois une claire différence. Dans la maison de santé qui possède une secrétaire cela a été rendu possible grâce à des aides reçues de l'assurance maladie. Dans l'autre cabinet, installé en ville, elles ne peuvent pas se permettre de se payer une secrétaire et je perds un temps fou dans l'administratif. »

Contraintes de la sécurité sociale
Philippe, 48 ans, médecin généraliste installé depuis 2017 à Saint Nolff, une commune du Morbihan (56), manifeste avant tout contre le bureaucratisme de la sécurité sociale : « Ce sont les contraintes de la sécurité sociale qui m'ont amené à manifester. Ces contraintes impliquent pour nous de la rentabilité, et on ne peut pas faire de la médecine de manière qualitative avec ces contraintes. L'assurance maladie veut nous imposer de voir plus de patients, d'avoir une file active de patients toujours plus importante pour une rémunération indigne. Le CET est un système kafkaïen voulu par la sécurité sociale, qui veut faire des médecins de bons petits esclaves, en décalage total avec le terrain. »
Son associée, Margot, peste aussi contre la ROSP (rémunération sur objectif de santé publique), qui est un système arbitraire, selon elle : « La ROSP correspond à 15% de notre chiffre d'affaires mais nous sommes prêts à sacrifier cela pour une rémunération plus élevée. La ROSP est arbitraire et les calculs sont faux car tous nos patients ne sont pas à la sécu. Donc ils ne sont pas comptabilisés dans la ROSP. Un autre exemple : si la vaccination de la grippe est effectuée par la pharmacie, cela ne compte pas dans nos patients vaccinés. La ROSP est une fausse bonne idée. »
Autre fausse bonne idée, selon Margot : l'accès direct aux paramédicaux, voulue par la loi Rist : « Nous sommes embêtés par la délégation de tâches, en laissant la responsabilité aux médecins. Le médecin sera responsable des actes de l'infirmier dans le cadre de l'exercice coordonné, mais nous n'avons pas que cela à faire », s'emporte Margot.
« Travailler avec des IPA hospitaliers en cardiologie, pourquoi pas, elles ont une réelle valeur ajoutée, mais les IPA en médecine générale, on n'en voit pas l'utilité. Les IPA en l'état par ailleurs ne devraient pas être amenés à faire des diagnostics, ce n'est pas de leur compétence », complète Philippe.
Il est maintenant 13h30 et les camions organisateurs démarrent, tandis que les chefs de file de cette manifestation s'époumonent dans leur hygiaphone en lançant le mot d'ordre du jour : « Nous sommes tous des médecins pour demain, première, deuxième, troisième génération !! »

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Crédit pour l’ensemble des photos (y compris celle de Une) : Jacques Cofard
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Citer cet article: Manifestation du 14 février : « Nous voulons 25 euros nets dans nos poches » - Medscape - 15 févr 2023.
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