POINT DE VUE

Traitement de l’ostéoporose : guidelines américaines versus recommandations françaises, qu’en penser ?

Hélène Joubert

Auteurs et déclarations

15 février 2023

Pr Bernard Cortet

Lille - France. Le Collège américain des médecins généralistes (American College of Physicians-ACP) [1] vient d’actualiser ses guidelines sur la prise en charge de l’ostéoporose [2]. Le Pr Bernard Cortet, président du Groupe de recherche et d’information sur les ostéoporoses (GRIO) et chef du service de rhumatologie du CHU de Lille a accepté de les comparer aux recommandations françaises 2018 rédigées sous l’égide de la Société française de rhumatologie (SFR) et du GRIO [3], et auxquelles il a participé.

Medscape France : L’ACP recommande « fortement » un traitement initial avec les médicaments antirésorptifs bisphosphonates (alendronate, ibandronate, risédronate, zolédronate) chez les femmes ménopausées atteintes d’ostéoporose primaire. N’est-ce pas finalement ce que la SFR-GRIO préconisent depuis de nombreuses années ?

Pr B. Cortet : Ils soutiennent leur position en argumentant que chez les femmes ménopausées atteintes d’ostéoporose primaire, les bisphosphonates présentent l’équilibre le plus favorable entre les avantages, les inconvénients, les valeurs, les préférences des patients (disponibles dans des formulations génériques orales et injectables) ainsi que le coût.

Nos recommandations françaises précisent quant à elles le choix du médicament en fonction du type de fracture chez la femme et de sa densité minérale osseuse (DMO), mais il est vrai que les bisphosphonates ont une place de choix : lorsqu’un traitement ostéoporotique doit être débuté, c’est le plus souvent au moyen d’un bisphosphonate.

Néanmoins, une attitude plus « agressive » doit être discutée en fonction de situations plus sévères, comme le texte de l’APC le souligne aussi ultérieurement.

En cas de fracture sévère, le texte français indique que tous les traitements peuvent être prescrits ; l’acide zolédronique est à privilégier en première intention après une fracture de hanche. Dans les autres cas (avec ou sans fracture non sévère), l’indication thérapeutique dépend des valeurs de la DMO et, dans les cas difficiles, d’outils comme le FRAX®.

Nos recommandations insistent sur le choix de la voie injectable dans d’autres situations : abaissement important de la densité osseuse, présence de comorbidités, mauvaise adhésion au traitement, troubles des fonctions supérieures et polymédication.

Medscape France : La prescription d’un bisphosphonate n’est cependant pas si simple ?

Pr B. Cortet : En effet, de nombreuses personnes sont inquiètes à l’idée de prendre des bisphosphonates en raison de problèmes de mâchoire (ostéonécrose de la mâchoire) ou de fractures fémorales atypiques, d’après ce qu’ils ont lu sur internet où ces évènements indésirables graves sont mis en avant sans notion de fréquence et sans aborder le plus souvent l’efficacité des bisphosphonates.

Ces complications sont réelles mais heureusement exceptionnelles, particulièrement au cours des 5 premières années de traitement, à savoir 1 cas d’ONM sur 10 000 pour les bisphosphonates et 5 cas sur 10 000 pour le dénosumab. Pour les fractures atypiques, c’est de l’ordre de 1 cas sur 30 000 à 50 000.

Medscape France : Les guidelines américaines suggèrent également aux cliniciens d’utiliser l’inhibiteur du ligand RANK (dénosumab), lui aussi un médicament antirésorptif, comme traitement pharmacologique de deuxième ligne pour réduire le risque de fractures chez les femmes ménopausées diagnostiquées avec une ostéoporose primaire et qui présentent des contre-indications ou des effets indésirables des bisphosphonates. L'utilisation du dénosumab comme traitement de 2e intention, êtes-vous en faveur ?

Pr B. Cortet : La législation française le positionne en seconde intention en relais des bisphosphonates. Il y a cependant des arguments pour parfois le prescrire en première intention (Cf. supra). Sa prescription (une injection sous-cutanée semestrielle) requiert de s’assurer d’une bonne observance. Toute interruption du dénosumab nécessite au préalable un avis médical et doit obligatoirement en relais être suivi de la prescription d’un traitement par bisphosphonates.

Medscape France : L’ACP suggère aux cliniciens d’utiliser soit l’inhibiteur de la sclérostine (romosozumab)* soit la parathormone (PTH) humaine recombinante (tériparatide), deux agents anabolisants, suivis d’un bisphosphonate, dans l’optique de réduire le risque de fractures. Ceci uniquement chez les femmes atteintes d’ostéoporose primaire à très haut risque de fracture. En France, le romosozumab n’étant pas disponible, le débat pourrait être clos. Cette stratégie vous semble-elle cependant judicieuse ?

Pr B. Cortet : Toute la problématique réside dans ce qu’ils entendent par « une femme à haut risque de fracture ».  Il n’y a pas de consensus sur la définition d’une femme à très haut risque de fracture, mais on peut penser qu’elle cumule une DMO basse et au moins une fracture sévère.

La place du traitement anabolique osseux telle qu’ils l’ont définie me paraît logique, car en cas d’ostéoporose sévère avec fracture le risque de récidive est très important dans les 2 à 3 ans qui suivent. Dans une étude récente [4] comparant le risédronate et le tériparatide dans les ostéoporoses sévères, le tériparatide faisait mieux pour réduire la récurrence des fractures vertébrales.

L’avis favorable au remboursement de la HAS en ce qui concerne le romosozumab dans le traitement de l’ostéoporose post-ménopausique sévère, uniquement chez les femmes d’âge inférieur à 75 ans (ce qui n’apparait pas sur le libellé de l’AMM) avec un antécédent de fracture sévère et un T Score inférieur à -2,5 (en l’absence d’antécédent de coronaropathie) date de 2021.

Mais l’examen par le Comité économique des produits de santé n’a pas abouti à un accord sur le prix. Aujourd’hui, en théorie, le romosozumab est délivrable en France par la pharmacie hospitalière car agréé à l’usage des collectivités publiques. Il s’agit d’un médicament très intéressant chez des femmes relativement jeunes notamment celles cumulant les fractures de vertèbres ; ce traitement injectable étant plus efficace que le tériparatide pour augmenter la valeur de la DMO et plus efficace que l’alendronate pour prévenir la récidive fracturaire.

En l’état actuel des remboursements, en cas de T score inférieur ou égal à – 3, la SFR-GRIO 2018 conseille de débuter un traitement même en l’absence de fracture. En cas de fracture sévère avec une DMO très abaissée (T Score ≤−3) des traitements injectables peuvent être utilisés pour atteindre une cible densitométrique (T Score > −2,5 à −2 à la hanche) en fin de séquence : acide zolédronique, dénosumab (en cas d’échec ou intolérance aux bisphosphonates), ou séquence thérapeutique tériparatide (remboursé si présence d’au moins 2 fractures vertébrales) suivie d’un médicament antirésorbeur (bisphosphonate ou dénosumab).

Les femmes traitées avec un agent anabolique osseux doivent se voir proposer un agent anti-résorptif à la fin de la séquence thérapeutique pour préserver les gains. Sur ce point les Français rejoignent les Américains.

Chez les patients ayant deux fractures vertébrales prévalentes, les américains estiment que le tériparatide peut être prescrit en première intention au moment du diagnostic en l’absence de contre-indication. Nous sommes également d’accord sur ce point.

De plus, les experts français sont d’avis de prescrire, chez des femmes de moins de 70 ans avec une ostéoporose nécessitant un traitement, le raloxifène (un modulateurs sélectifs des récepteurs aux œstrogènes ; SERM). Ceci si le risque de fracture non vertébrale est faible, défini par l’absence des critères suivants : T Score bas à la hanche, facteurs de risque de chute et antécédent de fracture non vertébrale. Sa place est limitée et il n’apparaît même pas dans les recommandations américaines.

Medscape France : L’ACP suggère que les cliniciens adoptent une approche individualisée quant à l’opportunité de débuter un traitement pharmacologique avec un bisphosphonate chez les femmes de plus de 65 ans ayant une faible masse osseuse (ostéopénie) afin de réduire le risque de fractures (Si un traitement est initié, un bisphosphonate doit être utilisé estiment-ils). Et en France ?

Pr B. Cortet : Il faut noter que cette recommandation de l’APC est conditionnelle du fait des données probantes de faible certitude.

Un petit rappel : un T Score compris entre -2,5 et -1 indique une ostéopénie ; un T Score inférieur ou égal à -2,5 une ostéoporose ; un T Score inférieur ou égal à -2,5 avec une ou plusieurs fractures, une ostéoporose sévère. Le texte français précise pour sa part qu’en l’absence de fracture mais avec des facteurs de risque (et/ou de chutes multiples), un traitement n’est pas justifié si le T score est supérieur à -2. La décision de prescrire dépend du spécialiste pour les T Score compris entre une valeur inférieure ou égale à -2 et supérieure à -3.

Medscape France : L’ACP suggère que les cliniciens utilisent des bisphosphonates pour le traitement pharmacologique initial afin de réduire le risque de fractures chez les hommes diagnostiqués avec une ostéoporose primaire.

Pr B. Cortet : L’ACP suggère que les cliniciens utilisent l’inhibiteur du ligand RANK (dénosumab) comme traitement pharmacologique de deuxième ligne pour réduire le risque de fractures chez les hommes diagnostiqués avec une ostéoporose primaire qui ont des contre-indications ou qui subissent des effets indésirables des bisphosphonates. Ce traitement n’est pas remboursé en France chez l’homme.

Entre 20 à 25 % des fractures ostéoporotiques cliniques surviennent chez l’homme [5]. Après 50 ans, un homme a une probabilité d’environ 20 % d’avoir une fracture ostéoporotique avant la fin de sa vie. Les recommandations françaises de la prise en charge et du traitement de l’ostéoporose masculine (5] sont parues en 2021.

En présence d’une fracture sévère (vertèbre, bassin, extrémité supérieure du fémur, fémur distal, humérus proximal) par fragilité osseuse, un traitement anti-ostéoporotique est recommandé si l’un des Tscore est ≤ -1.

En présence d’une fracture non sévère (poignet, cheville notamment) par fragilité osseuse, un traitement anti-ostéoporotique est recommandé si l’un des Tscore est ≤ -2. En l’absence de fracture, un traitement anti-ostéoporotique est recommandé chez les hommes avec facteurs de risque de fragilité osseuse ou de chute et si l’un des Tscore est ≤ -3. Chez les patients ayant eu une fracture de l’extrémité supérieure du fémur par fragilité osseuse, il est recommandé d’utiliser l’acide zolédronique en première intention.

Chez les hommes avec fracture sévère non vertébrale, fracture vertébrale unique ou fracture non sévère, deux traitements ont l’indication et sont remboursés en France : l’acide zolédronique et le risédronate. Chez les hommes avec au moins deux fractures vertébrales, les traitements suivants ont l’indication et sont remboursés en France : le tériparatide ou le risédronate. Le tériparatide est alors prescrit pour une durée de 18 mois. Il doit être suivi par une prescription de bisphosphonates per os ou iv.

Medscape France : Quel est votre commentaire sur l’actualisation du Bon usage des médicaments de l’ostéoporose de la HAS [6] qui vient de paraître ?

Pr B. Cortet : Aucune évolution n’apparaît dans la partie sur l’ostéoporose post-ménopausique, similaire aux préconisations SFR-GRIO de 2018, à part l’introduction par la HAS du romosozumab dans ce BUM alors même que celui-ci n’est pas remboursé !

Ce qui n’est pas cohérent est qu’ils positionnent ce médicament dans l’algorithme décisionnel, lorsque les femmes ont eu une fracture, ce qui correspond à l’AMM, mais également chez les femmes qui n’ont pas fait de fractures, donc hors du champ du remboursement validé par la même HAS.

Mais je me réjouis de l’adoption par la HAS des recommandations du GRIO et de la SFR concernant l’ostéoporose cortico-induite. Le traitement préventif de l’ostéoporose cortisonique doit être envisagé dès lors que la dose quotidienne de corticoïdes atteint ou dépasse 7,5 mg d’équivalent prednisone et que la durée prévisible de la corticothérapie est supérieure à 3 mois.

En résumé, chez les femmes et hommes de 50 ans et plus, la prise de 7,5 mg/j ou plus d’équivalent prednisone ou un antécédent de fracture de faible traumatisme ou un âge de 70 ans ou plus, voire un T Score inférieur ou égal à -2,5 à un des deux sites indique la prescription d’un bisphosphonate (ou du tériparatide dès lors qu’il existe au moins 2 fractures vertébrales).

 

*Le romosozumab est un anticorps monoclonal humanisé (IgG2) qui se lie à la sclérostine et l’inhibe, augmentant ainsi la formation osseuse due à l’activation des cellules bordantes de l’os, ainsi que la production de matrice osseuse par les ostéoblastes et le recrutement des cellules ostéoprogénitrices. De plus, le romosozumab entraîne des changements dans l’expression des médiateurs des ostéoclastes, ce qui diminue la résorption osseuse. Ensemble, ces deux effets d’augmentation de la formation osseuse et de diminution de la résorption osseuse entraînent une augmentation rapide de la masse osseuse trabéculaire et corticale, ainsi que des améliorations de la structure et de la résistance des os.

 

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