Peines de cœur : quand souffrir est un art

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

13 février 2023

Dr Pascal Guéret

Paris, France — Cette année encore, le Dr Pascal Guéret (Boulogne-Billancourt) s’est vu confier un créneau des Journées européennes de la Société française de cardiologie (JESFC 2023) pour évoquer, au cours d’une présentation d’une vingtaine de minutes, les liens entre cœur et art [1].

L’occasion de réunir dans l’amphi, curieux et passionnés, autour de 5 œuvres peu connues, pour une session iconoclaste consacrée à la douleur amoureuse. Toutes peuvent être retrouvées – aux côtés de beaucoup d’autres – dans l’ouvrage Portraits du cœur, publié en 2022 par le Dr Guéret (voir encadré).

La Femme et le Cœur. Edvard Munch (Eau forte, 1896)

 

En présentant l’œuvre du peintre norvégien – auquel le musée d’Orsay a consacré une exposition l’an passé –, Pascal Guéret a rappelé qu’Edvard Munch a eu une vie personnelle douloureuse marqué par une histoire familiale dramatique. Son travail largement dominé par la souffrance s’en ressent, sachant que lui-même a connu son lot de déboires, histoires d’amour chaotiques, dépression et alcoolisme.

Ici, une jeune femme nue occupe tout le premier plan. N’exprimant aucune émotion, elle tient à bout de bras un cœur disproportionné, extrait du thorax, pouvant évoquer le vampirisme en amour. Dans un texte publié en 1888, Edvard Munch écrivait : « Nous essaierons de voir si nous ne pourrions pas nous-mêmes poser la base d’un art qui serait donné à l’homme. Un art qui nous prend et nous émeut. Un art qui naitrait du sang du cœur. »

 

The Lovesick Man. George Grosz (Huile sur toile, 1916)

 

Rattaché au courant de l’expressionnisme allemand, au même titre qu’Otto Dix ou Max Beckmann, l’œuvre de George Grosz porte la marque de la guerre. L’Homme malade d’amour, réalisé entre deux périodes passées au front, présente un homme assis dans un bar ou sur une terrasse, seul, accoudé à une table ronde. Au centre de la toile, exactement, se trouve un cœur rouge. Son crâne est tatoué d’une ancre de marine, c’est donc un marin en civil. Dans la salle du café, rien n’est d’équerre, tout tangue, fait remarquer l’orateur, qui note aussi beaucoup de tristesse et de dénuement. La référence à la mort est aussi bien présente avec le squelette de poisson, les os entrecroisés et l’arbre dénudé. A bien y regarder, on décèle un revolver rangé sous le cœur. Pour Pascal Guéret, pas de doute, l’homme dont le cœur est malade d’amour est sur le point de se suicider. C’est l’amour ou la mort !

Souvenir, ou Le Cœur. Frida Kahlo (Huile sur toile, 1937)


Frida Kahlo peint cette toile quelques années après que son mari Diego Riviera l’a trompé avec Christina, sœur de la célèbre peintre mexicaine, qui lui a servi de modèle pour un de ses tableaux. Frida y est facilement reconnaissable comme dans nombre de ses autoportraits. Vêtue d’un gilet typiquement mexicain, elle se représente pleurant dénuée de membres supérieurs. A ses pieds git un énorme cœur brisé, d’un grand réalisme anatomique — réminiscences, peut-être, d’études de médecine jamais achevées et expression, on ne peut plus limpide, de sa douleur — et d’où s’échappe du sang. Vide, l’emplacement de son thorax laisse apparaître le ciel, transpercé par une épée de bois où est représenté un ange minuscule, à la double signification, flèche de Cupidon et symbole phallique, analyse le Dr Guéret.

Le cœur égoïste. Olga Costa (Huile sur toile, 1951)

 

Compatriote de Frida Kahlo, bien que d’origine allemande, Olga Costa sera très active – avec son mari – dans la promotion de la culture et de l’art mexicains. Elle sera aussi une figure du proto-féminisme. Sans qu’un épisode de rupture amoureuse ait pu être identifié en relation avec le tableau, celui-ci, selon le cardiologue, parle de lui-même : exprimer la douleur d’une déception amoureuse, d’un abandon, du deuil d’un être cher. Pour l’exprimer, la peintre fait appel au symbolisme des végétaux traditionnels du Mexique : haricot mescal, cabosses de cacao, figues de barbarie. Dans les trois cas, l’état de sécheresse domine, considère l’orateur, évoqué par les teintes brunâtres des végétaux. Le message est renforcé par le couteau transperçant le cactus, lui-même en forme de cœur et hérissé d’épines, et complété par le squelette de la tête d’un petit animal. Pour Pascal Guéret, « cette nature morte raconte irrémédiablement l’histoire d’un amour mort ».

Cœur au repos. Annette Messager (fil de fer et filet noir, 2009)

 

Artiste française reconnue internationalement, Annette Messager, qui dit avoir été influencé par le cinéma, notamment celui d’Alfred Hitchcock et par Roland Barthes, présente ici un fragment de cœur humain fait de tissage en fil de fer et de morceaux de fil de pêche de couleur noire. « A quel voyage l’artiste nous invite-t-elle avec cette œuvre ? S’agit-il du repos après un amour comblé ou bien au contraire d’une convalescence nécessaire après le vécu d’une épreuve douloureuse ? s’interroge le Dr Guéret. L’orateur opte, lui, pour la deuxième option, à savoir celle d’un cœur échoué, un amour dont rien ne subsiste dans les mailles éclatées et termine sur cette citation de Roland Barthes « Il n’y a d’absence que de l’autre. C’est l’autre qui part, c’est moi qui reste […]. Je suis, moi qui aime, par vocation inverse, sédentaire, immobile […] en attente, en souffrance, comme un paquet dans un coin perdu de gare ».

Cœur en images : de l’IRM à l’ART 
Pascal Guéret qui fut chef de service de cardiologie à l’hôpital Henri Mondor et président de la Société française de cardiologue, n’en est pas moins un fervent adepte d’art. Mais désormais, le cardiologue a troqué la représentation anatomique de son organe de prédilection par imagerie médicale pour l’iconographie artistique. La recherche documentaire sur la représentation du cœur dans l’art qu’il a entrepris au cours de la dernière décennie est aujourd’hui compilée dans un ouvrage. Préfacé par Erik Orsenna, Portraits du cœur interroge un ensemble d’œuvres, fruits de la création d’artistes reconnus – mais dont le choix est celui du cœur – où apparait l’organe phare, depuis l’art médiéval jusqu’à la période contemporaine. Représenté essentiellement dans des toiles, le cœur est aussi visible sous forme de dessins, de sculptures, tapisseries, photographie et autre collage.
Portraits du cœur, du symbole à l’intime, 2022, Le Passage, 30 €

 

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