Paris, France – Le congrès de l’Encéphale 2023 a consacré une session au trouble dissociatif de l’identité (TDI), sujet passionnant qui fait les beaux jours du cinéma et autres séries, mais reste néanmoins controversé au sein de la communauté psychiatrique [1].
Une enquête menée auprès de 800 psychiatres français montre d’ailleurs que 51 % ont des doutes sur l’existence de ce trouble (en expansion chez les adolescents, tout du moins sur le net) ou bien n’y croient pas. Qu’il relève de la psychiatrie ou de la fantaisie – pour reprendre le titre de la session –, ce phénomène d’identités multiples s’inscrit dans le mouvement plus large de la « culture plurielle » qui touche la jeunesse depuis quelques années (voir encadré).
Différentes identités et troubles mnésiques sur fond de traumatisme de l’enfance
Le trouble dissociatif de l’identité, précédemment nommé trouble de personnalité multiple, émarge dans le DSM5. Il est caractérisé par la présence chez une personne donnée de plus de deux identités alternantes l’amenant à « switcher » entre ses différents « alters », aussi appelés états autonomes, identités du moi ou parties.
Les personnes qui en souffrent présentent de fréquents épisodes amnésiques concernant aussi bien des événements traumatiques que des éléments de la vie quotidienne, comme l’a rappelé Mailé Onfray dans une interview vidéo présentée en introduction de la session. Interrogée par la psychiatre Coraline Hingray (Nancy), la jeune femme, qui a grandi dans une secte, a été diagnostiquée pour un TDI et un trouble de stress post-traumatique en 2017. Elle a défini ses parties dissociatives comme complètement séparées les unes des autres, ayant leur propre monde, leur propre vécu, mais n’a pas souhaité les dénombrer car « ce serait les séparer encore plus alors qu’elle souhaite les réunifier ».
Tout en indiquant qu’elle switche en permanence au cours de la journée, elle a indiqué que ces changements – comme ceux concernant sa voix – étaient « quelque chose de subtil, et non pas un show ». Mailé a évoqué des épisodes où elle perd ses capacités – enseigner aux enfants, utiliser un ordinateur – puis les retrouvent, sans avoir de souvenir ce qu’elle avait fait alors. Le TDI est très souvent associé à un important traumatisme de l'enfance – ici des violences psychologiques, physiques et sexuelles au sein de la secte. En résulte chez le.a patient.e qui en est atteint « beaucoup de souffrance et de solitude ».
Un trouble à l’existence controversé
Mais voilà, s'il fascine Hollywood – depuis Psychose d’Hitchcock jusqu’à Split de Night Shyamalan –, le trouble dissociatif de l'identité, fortement médiatisé ces dernières années par de jeunes adultes sur les réseaux sociaux, ne convainc pas forcément la communauté scientifique.
Certaines études défendent fermement la spécificité du trouble et avancent que cette pathologie affecterait jusqu'à 1 % de la population générale, mais des psychiatres contestent son existence, y voyant un phénomène de mode qui aurait grossi au cours des dernières années au point d’évoquer une « épidémie » en pédo-psychiatrie.
Qu’en est-il des psychiatres français ? Dans quelle frange se situent-ils ? Sceptiques ou convaincus ? Pour le savoir, une enquête dirigée par la Dre Hingray a été conduite auprès de 800 d’entre eux. Leurs réponses feront l’objet d’une publication dans la revue Encéphale, mais en voici, dès à présent, les grandes lignes.
D’emblée, le TDI semble être une « clinique de la rareté » dans les consultations des psychiatres français, indique la Dre Hingray. En effet, deux tiers de praticiens interrogés n’ont jamais pris en charge un patient avec un TDI, mais lorsque c’était le cas, 24 % en avaient vu entre un et quatre patients. Près de la moitié des répondants (48 %) ont indiqué que les patients vus au cours de l’année s’étaient auto-diagnostiqués.
Les psychiatres ont-ils l’impression d’être formés aux troubles dissociatifs au sens large ? La réponse est négative pour 61 % d’entre eux. Parmi ceux qui s’estiment formés, 37 % ont évoqué une formation personnelle, comme lors de congrès ou de lectures.
Interrogés sur l’épidémiologie du trouble, les psychiatres se sont prononcés majoritairement (67 %) pour une prévalence de 0,15 %, tandis que 32 % ont considéré que le TDI s’élevait à 1,5 % de la population. Le chiffre le plus proche de la réalité serait de l’ordre de 1 à 1,5 %, selon la publication de 2018 de Richard J. Loewenstein [2].
Une attitude paradoxale et partagée quant à l’existence du trouble
Interrogés sur leur connaissance du TDI, les réponses montrent que les psychiatres en connaissent très majoritairement la définition (selon le DSM5), ainsi que l’étiologie traumatique sous-jacente et savent que le traitement – psychothérapeutique – est recommandé en première intention.
Alors qu’une majorité de praticiens dit avoir un intérêt pour cette pathologie, cela se corse lorsqu’on leur demande s’ils croient à l’existence de ce trouble. « Là, les choses sont très balancées avec un 50/50. Plus précisément, 51 % expriment un très fort doute sur l’existence du TDI ou n’y croient tout simplement pas », indique la Dre Hingray.
Serait-ce alors une création « médiatique » ? Là encore les psychiatres sont partagés. « Subsiste dans leur esprit le fait que ce trouble soit le fruit des productions cinématographiques (cf. le film Split), des médias et de Tik Tok. Pour autant, il est plutôt très rassurant de constater qu’une très grande majorité des psys interrogés (80 %) considèrent que les patients ne simulent pas ».
Peut-on confondre cette pathologie avec une autre ? Assurément. Si les psychiatres sont partagés sur sa similarité avec la schizophrénie, ils sont en revanche plus affirmatifs avec le trouble borderline.
Pour conclure, la Dre Hingray a considéré que l’on ne voit que ce que l’on connaît. La psychiatre nancéenne a reconnu que le TDI est un trouble caméléon, la dissociation étant un processus de protection qui permet l’évitement et qui peut prendre toutes les formes possibles (troubles panique, TOC, dépression résistante, schizophrénie atypique).
L’oratrice a, par conséquent, appelé ses collègues à être très attentifs aux symptomatologies psychiatriques atypiques. Considérant que le TDI est une réalité, elle a invité les psychiatres à se former pour reconnaître et prendre en charge ce trouble.
Les ados et la culture « plurielle »
Face à l’« engouement » suscité ces dernières années par le phénomène lié à la présence d’« alters » en particulier chez les adolescents, la Dre Julie Rolling (Strasbourg) a passé en revue la littérature dans le domaine, dans une présentation intitulée « TDI : une épidémie en pédo-psychiatrie ». Elle a approfondi le sujet en questionnant les rapports qu’entretiennent les ados avec le TDI et, plus globalement, avec la culture dite « plurielle » qui fleurit ces dernières années.
Sont appelées « plurielles », les personnes ne souffrant pas de TDI, mais qui présentent la particularité d’avoir plusieurs « identités » en elles. « Ces individus sont plus susceptibles de s’auto-diagnostiquer, disposent d’un monde intérieur très élaboré et les communications entre les différentes "parties" seraient apaisées » [3], a expliqué la pédopsychiatre, qui s’est demandé si les ados ne pourraient pas être particulièrement sensibles à ce phénomène « pluriel ». Celui-ci apparaît, en effet, comme une nouvelle « culture » mondialisée « on line » avec une philosophie de vie revendiquant « la pluralité d’identités comme une préférence psychologique normale » avec son langage propre où il est question de « multiplicité fonctionnelle » et « d’alters non humains », son groupe social – essentiellement sur les réseaux – et pour certains, une dimension politique relevant du militantisme.
Les ados pourraient être attirés par le « désir d’originalité » lié à cette nouvelle culture. « Cette notion de « parties » dissociatives donnerait alors du sens à la confusion identitaire, aux conflits émotionnels et aux problèmes relationnels auxquels ils peuvent être confrontés, a-t-elle considéré. Le diagnostic de TDI, pourrait, alors, structurer le chaos intérieur ».
Pour la pédopsychiatre, le TDI pourrait aussi créer une certaine fascination chez l’adolescent, lequel serait susceptible de tirer partie de l’entraide sur les réseaux sociaux et de l’intérêt ainsi suscité, ou même acquérir un nouveau statut de patient expert en TDI. « Autant d’enjeux de reconnaissances identitaires et de valorisations narcissiques qui peuvent constituer des réponses aux modifications psychiques qui interviennent chez les adolescents », a-t-elle envisagé.
Pour finir, la Dre Rolling a évoqué la proximité de ce trouble avec une nouvelle clinique modifiée par le virtuel, faisant référence au « rêve éveillé », une culture émergente apparue après le Covid qui se définit comme une « forme immersive de rêverie qui crée un sentiment de présence dans un monde fantastique créé [4]. Pour conclure, la pédopsychiatre a reconnu que le TDI – trouble complexe – interroge, notamment sur « la pertinence du diagnostic à un moment clé du développement ». Mais, plus largement, a-t-elle ajouté, « cela questionne sur l’impact des communautés en ligne et des réseaux sur la clinique des plus jeunes ».
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Crédit de Une : Dreamstime
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Citer cet article: Troubles dissociatifs de l’identité : effet de mode ou réalité ? - Medscape - 13 févr 2023.
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