
Dr Anne Geffroy-Wernet
Paris, France — Alors que de plus en plus de médecins et de soignants quittent l’hôpital en raison de la pénibilité du travail et que, selon le syndicat SNPHARE, cette même pénibilité des praticiens hospitaliers n’est pas prise en compte dans le projet de loi de la réforme des retraites (voir encadré), la Dr Anne Geffroy-Wernet, anesthésiste-réanimatrice, Présidente du SNPHARE, Secrétaire générale de l'union syndicale Avenir Hospitalier, membre d'APH pour Medscape revient sur « l’anomalie » des 24 heures de garde à la française.
Medscape édition française : Les gardes de 24 heure sont-elles une exception française ?
Dr Anne Wernet : nous sommes l'un des seuls pays où nous travaillons 24 heures d'affilée. C'est une dérogation au code du travail, normalement c'est interdit. Les Anglais travaillent par exemple sur des plages de 12 heures, mais chez nous les gardes sont généralement de 24 heures.
Nous pouvons, dans certains établissements, bénéficier de gardes allégées dans la journée, ou ne pas venir en matinée... Néanmoins, cela reste de l'ordre de l'exception, hormis en médecine d'urgence.
Toutes les spécialités ont droit au repos de sécurité après 24 heures de garde ?
Dr Anne Wernet : Oui c'est cela, nous avons droit à un repos de sécurité après 24 heures de garde depuis 2003, c’est une victoire historique du syndicat SNPHARE. Le temps de repos doit être égal au temps de travail. Et lorsque l'on parle de sécurité, on pense à la sécurité du patient, beaucoup plus qu'à la sécurité du praticien. Mais, on se rend compte que si l'on peut faire 24 heures d'affilée à 25 ans, au-delà de 40 ans ce n'est pas raisonnable.
Que dit la littérature sur l’impact de ces longues heures de travail sur la santé ?
Dr Anne Wernet : Il existe des études sur le travail de nuit stricto sensu, mais il n'y aucune étude sur le pronostic à long terme du travail en garde de 24 heures. Nous savons que nous rencontrons plus de troubles du sommeil que les autres, mais à long terme, en ce qui concerne les prévalences des pathologies cardiaques ou des cancers par exemple, il n'y a pas de recherche spécifique.
Par ailleurs, il serait intéressant de connaitre l'espérance de vie des médecins qui prennent des gardes tout le long de leur carrière. Ce sont des données que l'on n'a pas réussi à obtenir, mais je pense que notre complémentaire retraire, l'Ircantec, possède ce genre de données.
Dans le cadre de la réforme des retraites, il est prévu un fonds de prévention pour la prise en charge de la pénibilité notamment dans les établissements de santé. Allez-vous essayer de faire reconnaitre la pénibilité de la permanence des soins hospitalier ?
Dr Anne Wernet : Cela fait des années que nous essayons de faire reconnaitre la permanence des soins comme la principale pénibilité de notre travail. Les professionnels en ont assez de la pénibilité, nous l'avons montré dans notre enquête, et si cela n'est pas pris en compte dans la pénibilité, cela va être mal perçu.
Réforme des retraites : le SNPHARE appelle à manifester les 7 et 11 février
Les praticiens hospitaliers ne se retrouvent pas dans le projet de loi de la réforme des retraites, « qui ne permet pas de trouver une « niche » permettant la reconnaissance de la pénibilité de leur métier », indique le SNPHARE dans un communiqué du 7 février. Le syndicat appelle donc les PH à se joindre aux mobilisations des 7 et 11 février 2023.
Le SNPHARE rappelle ses revendications :
• La reconnaissance de la pénibilité de notre métier : permanence des soins (gardes et astreintes) mais aussi travail posté, port de charges lourdes, exposition aux radiations... cette reconnaissance – dont le point de départ doit être l’externat – doit permettre le gain de trimestres supplémentaires ou une possibilité de départ précoce à la retraite.
• La prévention de l’« usure professionnelle » plutôt que d’en subir les conséquences : dispense de droit de la permanence des soins au-delà de 55 ans et dans certaines situations (maladie, grossesse).
• L’aménagement des fins de carrières : passerelles vers des activités cliniques différentes ou des missions d’appui, retraite progressive, cumul emploi-retraite avec rémunération attractive.
• La juste reconnaissance de l’ancienneté des praticiens hospitaliers, permettant de les inscrire dans la même grille d’ancienneté et donc de rémunération que les plus jeunes.
• La prise en compte de 100 % de nos revenus pour l’assiette de cotisation, ce qui n’est le cas pour les emplois hospitalo-universitaires.
• La participation en tant que titulaire au Conseil d’Administration de l’IRCANTEC.
En même temps, il existe un problème de démographie médicale : comment alléger la permanence des soins alors qu'il n'y a pas assez de médecins ?
Dr Anne Wernet : Certes, il existe un problème de démographie médicale, mais il y aussi un problème d'installation des praticiens. Qu'il s'agisse de la médecine libérale ou de la médecine hospitalière, l'attractivité des carrières est un problème. Des praticiens quittent l'hôpital mais y reviennent par le biais de l'intérim, en étant payés au même niveau que les salariés, mais en travaillant moins, en choisissant leurs horaires, en évitant la nuit, le week-end, etc. Si l'on parvenait à offrir de bonnes conditions de travail aux médecins, on serait moins confrontés au problème de démographie médicale... Il y a plein de médecins qui sont dans la nature, qui picorent à droite et à gauche, en faisant des remplacements, parce qu'ils n'en pouvaient plus des conditions de travail à l'hôpital.
Le choc d'attractivité n'est toujours pas au rendez-vous ?
Dr Anne Wernet : Oui. Il est vrai que depuis la mission flash de François Braun, nous avons eu droit à des gardes payées une fois et demie. C’est un peu mieux mais l'on n'a toujours pas de vision à long terme de nos carrières. Pour les jeunes, ce type de mesure "mission flash", ce n'est pas consistant. Si l'on annonce à un jeune praticien qu'il devra effectuer des gardes jusque 35 ans, puis que le nombre de gardes sera dégressif par exemple, alors, là, on est gagnant. Après, on peut parler de transferts de tâches, d'assistants médicaux, etc.
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Crédit de Une : DR
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Citer cet article: Halte aux gardes de 24h ! - Medscape - 10 févr 2023.
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