Marseille, France – Pour qu’enfin la toux chronique ne soit plus un symptôme parmi d’autres, négligée même en cas de handicap majeur, les premières recommandations françaises [1] depuis presque 20 ans sur la prise en charge de la toux chronique insistent sur le fait que celle-ci doit être considérée comme une pathologie. Elles entérinent aussi le concept de TOCRI, l’acronyme pour « toux chronique réfractaire ou inexpliquée ». Les experts présentaient leurs arguments au congrès de pneumologie de langue française (27e CPLF, 27-29 janvier 2023, Marseille) [2].
Introduction du concept de toux chronique réfractaire ou inexpliquée (TOCRI)
Le texte se veut consensuel. En effet, les « Recommandations sur la prise en charge de la toux chronique chez l’adulte »[1] qui seront prochainement publiées, ont été validées par la Société de pneumologie de langue française (SPLF), la Société française d’oto-rhino-laryngologie et de chirurgie de la face et du cou (SFORL), la Société française de phoniatrie et de laryngologie (SFPL) et la Société nationale française de gastro-entérologie (SNFGE). Ces recommandations actualisent les définitions de la toux et introduisent le concept de toux chronique réfractaire ou inexpliquée (TOCRI), émergent dans les publications scientifiques. « Ce texte a l’ambition d’aider les praticiens souvent démunis devant cette plainte, justifie son coordinateur, le Pr Laurent Guilleminault (pneumologue, CHU de Toulouse), un motif de consultation parmi les plus fréquents en médecine générale [3]. Si la toux aiguë post-infection virale est le plus souvent transitoire et ne nécessite pas d’exploration [4], il existe une toux chronique définie par une durée supérieure ou égale à 8 semaines, sans résolution spontanée et qui nécessite une prise en charge spécifique ».
Une méta-analyse de 2015, réalisée à partir de 90 études, retrouve une prévalence globale de la toux chronique dans le monde de 9,6 % [5]. En France, la prévalence de la toux chronique dans la population adulte est estimée à 4,8 % [6], dont deux tiers sont des femmes, avec une plus grande fréquence dans les pays occidentaux, industrialisés, sans réelles explications à propos de ces disparités en dehors d’éventuels liens avec la génétique.
La toux chronique est une maladie à part entière
Bien que la toux chronique ne soit pas présente dans la 10e révision de la classification internationale des maladies (CIM-10), de nombreux experts considèrent que cette entité doit être identifiée comme une maladie à part entière avec des phénotypes, des causes et une prise en charge propre [5]. « Il est probable que la CIM-11 mentionnera la pathologie de toux chronique, estime le Pr Laurent Guilleminault. Nos recommandations ont pour but d’améliorer la prise en charge des patients tousseurs chroniques et cela passe par une modification de la vision de cette pathologie. Nous proposons donc d’identifier la toux chronique comme une maladie et non un symptôme, et de la présenter comme telle aux patients, témoignant ainsi de la reconnaissance du corps médical envers leur maladie et leur handicap. »
La toux chronique peut révéler une pathologie néoplasique, une pathologie respiratoire chronique grave ou cardiaque. À titre d’exemple, la toux est observée chez 23 à 37 % des patients atteints de cancers tous sites confondus et 47 à 86 % des patients atteints d’un cancer du poumon[6,7]. « Les signes d’alarme nécessitant de rechercher une pathologie grave sont une altération de l’état général, un syndrome infectieux à répétition, une dyspnée d’effort, énumère le pneumologue, mais également une hémoptysie, l’apparition ou la modification de la toux chez un fumeur, une dysphonie, une dysphagie, des fausses routes, une ou des adénopathie(s) cervicale(s) suspecte(s), et toute anomalie de l’examen clinique cardiopulmonaire, clinique ORL, ou visible à la radiographie thoracique. Dans ces situations, il faut recourir très vite – en première intention – à l’exploration scannographique thoracique ».
Pas d’IPP larga manu
Les causes d’une toux chronique sont multiples et variées, dont un asthme (sa prévalence chez les patients non-fumeurs se situe entre 20 et 30 %), un reflux gastro-œsophagien (RGO), des rhinosinusites chroniques avec ou sans polypes (les pathologies rhinosinusiennes à l’origine d’une toux chronique sont identifiées sous le vocable « syndrome de toux des voies aériennes supérieures » ou STOVAS), des troubles de la déglutition et/ou une pathologie susceptible de provoquer des troubles du fonctionnement pharyngolaryngé ou encore un syndrome de somatisation de la toux (qui remplace désormais le terme de toux « psychogène »).
Le syndrome de la toux chronique par excès de sensibilité constitue également une cause de toux chronique et correspond à des patients dont la toux est due à un excès de sensibilité des récepteurs bronchiques. Il existe une activation du réflexe de toux liée à une sensibilité augmentée des voies neurologiques de la toux. Des stimuli peu tussigènes (hypertussie) ou non-tussigènes (allotussie) sont alors en mesure de déclencher la toux.
Un message martelé par les experts qui se sont succédés durant les sessions du CPLF 2023 consacrées à la toux est qu’il n’y a pas lieu de prescrire des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) dans les toux chroniques sans signe clinique de reflux (pyrosis, régurgitations). Ceci est parfaitement démontré dans les études cliniques.
Quel algorithme diagnostic devant une toux chronique ?
« Concrètement, en cas de toux évoluant depuis au moins 8 semaines (afin de la différencier des toux aiguës post-infectieuses qui durent moins de 3 semaines), la prise en charge de 1ère intention débute par une évaluation de la toux sur un échelle EVA, la recherche et la prise en charge des complications ainsi que la prescription d’une radiographie de thorax, déroule le Pr Guilleminault. Tout signe d’alarme (cité ci-dessus), détecté à l’interrogatoire et/ou à la radiographie de thorax requiert une prise en charge spécifique. L’arrêt du tabagisme pendant 4 semaines et l’éviction des traitements tussigènes (IEC, principalement) sur cette même durée doivent être testés.
Si la toux persiste, le médecin peut rechercher les trois causes les plus fréquentes de toux, à savoir la rhinosinusite (interrogatoire, examen physique et nasofibroscopie), le RGO (interrogatoire) et l’asthme (interrogatoire, examen physique, spirométrie avec un test de réversibilité aux bronchodilatateurs en cas de toux chronique avec ou sans symptômes évocateurs d’asthme ; mesure de la fraction exhalée du monoxyde d’azote FeNO afin d’orienter la mise en route d’une corticothérapie inhalée).
Si aucun diagnostic n’est retrouvé ou si c’est effectivement le cas mais qu’aucune amélioration de la toux n’est obtenue en dépit du traitement étiologique, le diagnostic de TOCRI peut être posé. Sa prise en charge relève de la seconde intention. C’est alors que les difficultés commencent car les patients ont une toux persistante sans diagnostic et les médecins sont confrontés à des difficultés thérapeutiques. »
Un traitement d’épreuve associant lavage des fosses nasales au sérum physiologique et corticothérapie nasale peut être instauré si les éléments font pencher en faveur d’un syndrome de toux chronique des voies aériennes supérieures (STOVAS) ; un concept qui va de la rhinosinusite chronique à la dysfonction du larynx, cette dernière étant une pathologie fréquente, passée à tort sous silence, et généralement favorisée par une toux chronique. S’instaure un cercle vicieux avec un entretien de la toux.
La « TOCRI », un diagnostic posé après les explorations complémentaires
Les explorations de seconde intention, à adapter au contexte, englobent l’exploration fonctionnelle digestive en cas de suspicion d’origine digestive (pHmétrie-impédancemétrie et/ou manométrie œsophagienne sans traitement), la tomodensitométrie thoracique, la tomodensitométrie des sinus/cone beam en fonction de la nasofibroscopie, l’endoscopie bronchique si une pathologie respiratoire est suspectée, une pléthysmographie et/ou une DLCO en cas de pathologie respiratoire sous-jacente ou de suspicion (à noter, le test à la métacholine ne doit pas être systématique), l’évaluation du sommeil si celle-ci est jugée nécessaire, sans oublier l’exploration morphologique et fonctionnelle laryngée. Une évaluation fonctionnelle laryngée phoniatrique peut apporter des éléments d’orientation diagnostique (en particulier neurologique) ou thérapeutique (rééducative ou interventionnelle). « Les dysfonctions du larynx occupent une place majeure dans la toux chronique, souligne le Pr Guilleminault, mais l’exploration de cet organe est souvent complexe. C’est alors l’interrogatoire qui aide à suggérer le diagnostic. »
« Il n’est pas conseillé de réaliser un scanner des sinus en cas de toux chronique sans examen clinique ORL préalable dont une nasofibroscopie, » précise le pneumologue. Pour information, la radiographie des sinus n’a aucun intérêt en cas de toux chronique.
« La toux chronique non soulagée, appelée toux chronique réfractaire ou inexpliquée-TOCRI, représente moins d’un quart des cas de toux chronique », estime le Pr Guilleminault.
Elle bénéficie désormais d’une définition consensuelle. Il s’agit d’une toux chronique, ayant fait l’objet d’un suivi bien conduit depuis au moins 6 mois et ayant l’un des critères suivants :
- Aucune cause n’est retrouvée malgré une exploration extensive orientée par la clinique et qui comporte a minima un interrogatoire exhaustif, une nasofibroscopie ORL, une radiographie de thorax et une spirométrie ;
ou
- La toux n’est pas améliorée malgré une prise en charge optimale de causes cliniquement évidentes de toux chronique.
Neuromodulateurs et interventions non pharmacologiques dans la TOCRI
Le concept de TOCRI est majeur pour les patients afin d’obtenir une reconnaissance de leur pathologie à la fois pour eux-mêmes, mais également pour améliorer leur prise en charge, laquelle est par essence multidisciplinaire. « Nous préconisons un traitement d’épreuve, systématique, d’au moins 4 semaines par corticothérapie inhalée chez tous patients tousseurs chroniques sans étiologie évidente, indique laurent Guilleminault, car elle peut parfois s’avérer très efficace. Bien entendu, un traitement de fond s’impose en cas de toux équivalent d’asthme (asthme s’exprimant par une toux isolée). Chez les patients tousseurs chroniques, l’utilisation d’un béta2-mimétique inhalé, d’un anticholinergique inhalé ou d’un anti-leucotriène en association à la corticothérapie inhalée est possible, avec néanmoins un effet modeste sur la toux. »
Dans un contexte de TOCRI, les neuromodulateurs sont recommandés notamment en cas de répercussions majeures de la toux sur la vie quotidienne et sociale. « Par crainte, ces médicaments sont trop peu utilisés, regrette l’expert, alors même que nos recommandations et les textes internationaux les préconisent dans les TOCRI, où les patients mènent une vie très difficile et se sentent incompris et isolés. ». Les molécules suivantes peuvent être utilisées : l’amitriptyline, la prégabaline ou la gabapentine ; aucune étude comparative ne les ayant comparées. De plus, et en cas d’échec, la morphine à faible dose est également préconisée dans la toux chronique réfractaire ou inexpliquée, à la posologie de 5 à 10 mg/j de sulfate de morphine, deux fois par jour. « La morphine à faible dose dans la TOCRI ne doit pas être boudée, ajoute-t-il. Elle procure un soulagement considérable à des patients qui n’ont plus d’autres solutions ».
Ne pas oublier la dysfonction laryngée
Parmi les autres mesures à tenter, les composés à base de menthol peuvent contrôler la toux ponctuellement (dont celle par excès de sensibilité, mais pas uniquement). La codéine ou les antitussifs habituellement prescrits dans la toux aiguë, ainsi que l’azithromycine sont déconseillés car inefficaces et associés à des effets secondaires. La méditation pleine conscience est une technique qui peut être proposée aux patients tousseurs chroniques.
Enfin, « la prise en charge orthophonique fonctionnelle spécialisée dans le domaine, lorsqu’elle est accessible, est recommandée en cas de TOCRI du fait de la dysfonction du larynx, précise Laurent Guilleminault. C’est aussi le cas des programmes de kinésithérapie avec rééducation ventilatoire, très utiles aux patients présentant une toux chronique réfractaire à raison de 4 séances sur un ou deux mois ». La rééducation du larynx chez des patients qui ont une toux chronique est impérative car ces patients présentent une dysfonction du larynx qui est une cause mais aussi une conséquence à cette toux chronique. Dans un autre registre, la kinésithérapie est également utile en cas de toux chronique productive. Le drainage bronchique est important en cas de toux chronique productive dans la dilatation des bronches.
Le paysage thérapeutique dans la toux chronique va évoluer avec l’arrivée attendue pour 2024 de nouveaux traitements – les antagonistes des récepteurs de P2X3 – dans la toux chronique réfractaire ou inexpliquée (voir encadré ci-dessous).
Les antagonistes des récepteurs de P2X3 attendus pour 2024
Les études portant sur les récepteurs purinergiques P2X3 ont donné des résultats concluants. Les récepteurs P2X3 sont des canaux ioniques ligands-dépendants perméables aux cations (Ca2+, Na+, Mg2+, K+…) et dont l’ouverture est déclenchée par l’ATP. Les récepteurs transmembranaires P2X3 sont exprimés dans les nerfs sensoriels périphériques et le noyau du tractus solitaire et pourraient être impliqués dans la physiopathologie de la toux chronique. Leur dénomination commune internationale s’achève par le suffixe –pixant : gefapixant, eliapixant, sivopixant ; molécules BLU-5937 et BAY1902607. Deux études de phase III chez un total de 2044 patients ont confirmé l’efficacité du gefapixant à la plus forte des deux doses évaluées (45 mg x 2), avec une diminution de la fréquence de la toux de 18,6 % (IC 95 % [9,2-27,1]) par rapport au placebo à la 12e semaine de traitement[8].
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Citer cet article: Toux chronique réfractaire ou inexpliquée : tout savoir sur sa prise en charge - Medscape - 9 févr 2023.
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