France – Des groupes de députés ont déposé deux propositions de loi (dont l'une devrait être discutée en séance publique) pour supprimer la liberté d'installation des jeunes médecins.
Nouveau rapporteur
La Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) est furieuse. Elle avait pensé un peu rapidement que l'échec de Thomas Mesnier aux législatives partielles en Charente allait faire en sorte que sa proposition de loi soit abandonnée. Mais non. Dans un tweet du principal concerné publié 24 heures après sa défaite aux législatives, l’ex-député se félicitait de la nomination de Frédéric Valletoux, député de Seine et Marne (77) et ancien président de la Fédération hospitalière de France (FHF), comme rapporteur de sa proposition de loi (PPL): « Je salue la nomination de @fredvalletoux comme rapporteur de ma proposition de loi visant à améliorer l’accès au soin pour tous. Merci cher Frédéric de reprendre le flambeau. Je compte sur toi et @Horizons_AN pour la porter jusqu’au bout et répondre à la priorité des Français. »
Mieux répartir les médecins et infirmier référents
Que dit cette nouvelle proposition de loi, qui a été examinée en commission des affaires sociales le 1er février dernier, et devrait être discutée en séance publique début mars ? Dans l'exposé des motifs, les auteurs de ce texte posent d'abord un constat dramatique : « Les chiffres sont là : 87 % du territoire sont considérés comme une zone particulièrement sous‑dense en personnel médical et 11 % des patients de 17 ans et plus n’ont pas de médecin traitant. Cela correspond à près de 6 millions de nos concitoyens dont 600 000 personnes en affection longue durée. »
Pour remédier à ce désert médical qui progresse sur l'ensemble du territoire français, la PPL de Thomas Mesnier vise à mieux répartir les médecins, « à reconnaître le rôle de l’infirmier référent et à développer les soins coordonnés autour du patient et ainsi à améliorer l’accès au soin des Français sur tout le territoire ».
Ainsi, l'article 1 revient sur la liberté d'installation des médecins : c'est l'agence régionale de santé (ARS) après avis du conseil de l'ordre des médecins, qui autorisera le médecin à s'installer sur un territoire. L'article 2 supprime les pénalités financières dues par les patients sans médecin traitant, dès lors qu'ils sont dans l'impossibilité d'en trouver un. L'article 3 oblige les médecins à participer au service d'accès aux soins (SAS). « Le SAS permet à un patient d’accéder à tout moment à un professionnel de santé qui peut lui fournir un conseil médical, lui proposer une téléconsultation ou l’orienter vers une consultation de soin non programmée en ville ou vers un service d’urgence », rappellent les députés auteurs de cette loi.
L'article 4 quant à lui crée une nouvelle tâche pour les infirmiers, celle d'infirmier référent, afin d'assurer des missions de prévention, de suivi et de recours « en lien avec le médecin traitant ». L'article 5, enfin, facilite l'emploi des protocoles de soins coordonnés, lorsque le patient a désigné « à son organisme gestionnaire de régime de base d’assurance maladie son médecin traitant, son pharmacien correspondant et son infirmier référent ».
La CSMF s’agace
Pour la CSMF, ces articles de loi « n'appellent aucun commentaire. Battons-nous. » Contacté par Medscape, le Dr Franck Devulder, président de la CSMF, concède que l’accès aux soins est devenu un problème, mais « les décideurs ne veulent pas construire avec les médecins libéraux. Ils font fausse route, car il est compliqué de placer sous contrainte une population professionnelle en déficit démographique. La tutelle pense qu’elle va pouvoir réguler comme en Allemagne alors que l’aménagement du territoire de ces deux pays est très différent. En Allemagne, les Allemands ne sont jamais à plus de 10 kilomètres d’un centre urbain et la démographie médicale est supérieure de 30% à celle de la France. Enfin, je le dis sans réserve, je suis favorable à la délégation de tâches vers d’autres professionnels de santé sous supervision du médecin, mais contre le transfert de compétence sous contrôle du médecin. Il ne faudrait pas, non plus, que dans certains territoires, il n’y ait que des IPA et dans d’autres que des médecins. Enfin, si nous sommes prêts à déléguer certaines tâches, il faut aussi penser à augmenter nos consultations car nous allons hériter des cas les plus complexes. »
Qui plus est, La Confédération voit dans la désignation de Frédéric Valletoux, ancien président de la FHF, une nouvelle provocation : « N’étant pas à une provocation près, la majorité présidentielle a choisi le rapporteur de cette PPL en la personne de Monsieur Frédéric Valletoux. Frédéric Valletoux qui, lorsqu’il était Président de la FHF, n’a eu de cesse que d’insulter les médecins libéraux pensant avec aveuglement que les problèmes de l’hôpital venaient des libéraux, libéraux qui assurent 8 consultations sur 10 et dont la PDSA couvre 96% du territoire. »
Tour de France et pétition
L'examen de cette proposition de loi survient au même moment où un groupe de députés transpartisans, provenant aussi bien des rangs de la France insoumise, que de Renaissance, ou encore de Les Républicains, ont entamé un tour de France pour défendre une autre proposition de loi (PPL) visant à réguler l'installation des médecins. Guillaume Garot, l'auteur de cette PPL – et par ailleurs député PS de Mayenne (53), a d'ailleurs lancé une pétition sur change.org, pour que cette PPL soit inscrite à l'ordre du jour du Parlement. « En termes d’accès aux soins, les inégalités entre les territoires sont flagrantes. En 2022, on compte trois fois plus de médecins généralistes par habitant dans le département le mieux doté que dans le département le moins bien doté en France métropolitaine. Cet écart de densité monte à 18,5 pour les ophtalmologues, 23,5 pour les dermatologues, et va même jusqu’à 33 pour les pédiatres. Dans la Creuse, il n’y a plus aucun dermatologue en exercice », listent les auteurs de cette PPL.
Que propose cette dernière pour remédier à la situation ? Ni plus ni moins que de supprimer la liberté d'installation des médecins, pour lui substituer un régime d'autorisation d'installation gérée par l'ARS : dans les zones suffisamment dotées, l'autorisation d'installation ne serait accordée que si le territoire enregistre un départ à la retraite.
Permanence des soins, IPA et Padhue en zones sous-denses
La PPL du député Garot propose aussi d'accorder la priorité aux zones sous-denses en termes de nombres d'internes appelés à se former sur lesdits territoires. Les articles 6 et 7 « permettent un meilleur accès aux études de médecine pour les étudiants issus des territoires qui possèdent un taux d’accès aux études de médecine particulièrement faible ». L'article 9 pour sa part limite à quatre ans la durée durant laquelle un médecin peut faire du remplacement, afin de l'inciter à s'installer et l'article 12 rétablit l’obligation de la permanence des soins ambulatoire. L'article 13 encourage le développement de la profession d'infirmier en pratique avancée (IPA) dans les zones sous-dotées en médecins. Enfin, l'article 14 facilite les autorisations d'exercice des praticiens diplômés hors Union européenne (Padhue) dans les déserts médicaux.
Cet article est inspiré par le « dispositif mis en place pour le département de la Guyane, où le préfet peut autoriser par arrêté le recrutement de médecins ressortissants de pays hors Union européenne ». Reste que pour l'heure, la proposition de loi transpartisane n'est pas à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale, contrairement à la PPL de Thomas Mesnier.
Pour convaincre du bien-fondé de leurs démarches, une dizaine de députés signataires de ce texte poursuivent leur tour de France et seront dans le Cher (18) et la Drôme (26) à la fin du mois de février.
Quant aux syndicats de médecins, le déluge de propositions de loi tendant à limiter leur liberté d’installation renforce leur volonté de manifester le 14 février prochain à Paris.
Suivez Medscape en français sur Twitter.
Suivez theheart.org |Medscape Cardiologie sur Twitter.
Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix
Crédit de Une : Dreamstime
Actualités Medscape © 2023
Citer cet article: Liberté d'installation des médecins : deux lois veulent y mettre un terme - Medscape - 9 févr 2023.
Commenter