L'aspirine équivalente à l'héparine en thromboprophylaxie après chirurgie pour fracture ?

Ute Eppinger

Auteurs et déclarations

6 février 2023

Berlin, AllemagnePubliés par le New England Journal of Medicine, les résultats d'une étude multicentrique portant sur plus de 12.000 patients suggèrent que l’acide acétylsalicylique (AAS) pourrait être aussi efficace que l’héparine en prévention postopératoire des thromboses. 

Le Dr Robert O'Toole (Université du Maryland) et ses collègues du Major Extremity Trauma Research Consortium (METRC) ont ainsi constaté que l'AAS n'était pas inférieure à l'héparine de bas poids moléculaire (HBPM) pour la prévention des décès chez les patients souffrant de fractures.

Après traitement chirurgical d’une fracture, 12 211 patients (âgés en moyenne de 44,6 ans) ont été randomisés pour recevoir deux fois par jour soit 81 mg d'AAS soit de l’énoxaparine. Des antécédents de thromboembolie veineuse (TEV) et de cancer étaient relevés dans respectivement 0,7 et 2,5% des cas.

En moyenne, les participants ont bénéficié de 8,8 doses de thromboprophylaxie à l'hôpital, avant de se voir prescrire un traitement pour 21 jours à leur sortie. Le critère d'évaluation primaire était le décès toutes causes confondues après 90 jours. Quant aux critères d'évaluation secondaires, il s’agissait des embolies pulmonaires non fatales, des TEV et des complications hémorragiques.

47 patients (0,78%) sont décédés dans le groupe AAS et 45 patients (0,73%) dans le groupe HBPM (p < 0,001 pour la non-infériorité). Une TEV est survenue chez 2,51% des patients du groupe AAS et chez 1,71% des patients du groupe HBPM. Les incidences de l’embolie pulmonaire, des complications hémorragiques et des autres événements indésirables graves étaient similaires dans les deux groupes.

Des résultats à prendre en compte dans les recommandations...

Pour le Dr Jörg Heckenkamp, qui dirige le service de chirurgie vasculaire du Marienhospital d'Osnabrück, en Allemagne, cette étude multicentrique inclut « une base de données robuste pour inciter à prescrire de l’AAS en prophylaxie des thromboses en chirurgie traumatique. » Les deux médicaments seraient ainsi équivalents pour un aspect tout à fait essentiel de la prophylaxie de la thrombose, à savoir la protection contre les complications thromboemboliques fatales.

Les directives actuelles n'ont pas évalué l'AAS en prévention des thromboses dans cette population de patients, mais « il est moins coûteux et il offre des bénéfices considérables en termes d'observance, grâce à sa prise orale », explique Jörg Heckenkamp au Science Media Center (SMC).

 
L’AAS est moins coûteux et il offre des bénéfices considérables en termes d'observance, grâce à sa prise orale.
 

Selon le président de la Société allemande de chirurgie vasculaire et de médecine vasculaire, « ces données seront probablement intégrées dans les prochaines lignes directrices sur la prophylaxie de la thrombose. »

Il note cependant que les TEV sans complications fatales étaient plus fréquentes dans le groupe AAS, et que les risques liés à la prise d’AAS n’ont pas été décrits dans l’étude.

... ou pas ?

Le Dr Robert Klamroth (centre de médecine vasculaire de la clinique Vivantes, à Berlin-Friedrichshain) se montre plus sceptique quant à l'équivalence entre l’AAS et l'héparine en prévention des thromboses, tout en faisant remarquer qu’elle est citée depuis longtemps par les recommandations européennes comme alternative dans cette indication.

« Je ne pense pas que l'AAS soit l'égal des anticoagulants comme l'HBPM dans ce contexte prophylactique. Si l'on regarde le groupe de patients étudiés ici, on voit qu’il s’avère tout à fait hétérogène sur le plan du risque de thrombose veineuse après une opération suite à une fracture d'un membre. »

Robert Klamroth rappelle une étude réalisée l'année dernière chez plus de 9700 patients. L'énoxaparine s'y était révélée supérieure à l'AAS dans la prophylaxie des thromboses après prothèse de hanche ou de genou.

« Si l'on se base sur l’ensemble de la littérature, l’efficacité de l’AAS est probablement plus faible que celle de l’HBPM dans cette indication. Le choix du produit prophylactique dépend du risque de base. Autrement dit, les patients qui présentent un risque élevé de thrombose veineuse tireront moins de bénéfices de l'AAS que de l'HBPM. »

 
Les patients qui présentent un risque élevé de thrombose veineuse tireront moins de bénéfices de l'AAS que de l'HBPM.
 

L'AAS en prophylaxie secondaire ?

L'avantage procuré par l'anticoagulation apparaît également dans les études menées sur la prophylaxie secondaire après thromboembolie veineuse, comme par exemple l'étude CHOICE. Après 6 à 12 mois d'anticoagulation, les patients ont été randomisés entre l'AAS, le rivaroxaban 10 mg et le rivaroxaban 20 mg. Au cours du suivi, le rivaroxaban s'est montré nettement plus efficace que l'AAS pour prévenir une récidive thrombotique aux deux doses étudiées.

« Cependant, comparé à un placebo, l'AAS réduit lui aussi le risque de récidive », ajoute Robert Klamroth. Finalement, au regard des résultats de la nouvelle étude, il conclut que « l’AAS peut ne pas suffire lorsque le risque thrombotique d’un patient donné est relativement élevé. »

Cet article est une traduction-adaptation par le Dr Claude Leroy de l’article rédigé par Ute Eppinger publié par Medscape.com et intitulé Thrombose-Prophylaxe nach Fraktur-OP: ASS ist niedermolekularem Heparin nicht unterlegen

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