Paris, France — Peut-on raisonnablement laisser un insuffisant cardiaque travailler ? Cette question a fait l’objet d’une intervention par le Pr Alain Cohen Solal (hôpital Lariboisière, Paris) lors d’une session « Cœur et travail » des Journées Européenne de la Société Française de Cardiologie (JESFC) 2023 [1].
Si la reprise du travail et le maintien en emploi sont assez bien codifiés après un syndrome coronarien aigu, il n’en va pas de même pour l’insuffisance cardiaque. Face au peu de données de la littérature sur la question, le cardiologue parisien a donc partagé les enseignements qu’il a tiré de sa pratique avec une règle d’or : le pragmatisme au cas par cas.
« Il y a quelques années, il était évident qu’un patient souffrant d’insuffisance cardiaque ne pouvait plus travailler. Travailler augmente l’activité cardiaque, favorise l’augmentation de la postcharge, le rythme de contraction et le risque rythmique avec la stimulation sympathique. Depuis, le traitement médical s’est amélioré de façon majeure ; l’histoire naturelle de la maladie a changé ; la dégradation de la fonction VG est beaucoup plus lente ; il y a des défibrillateurs et on a maintenant de plus en plus d’insuffisants cardiaques à fraction d’éjection préservée », a commenté l’intervenant.
Quels sont risques à reprendre le travail sur le plan cardiologique ?
Outre les risques associés à la nature du travail (télétravail, port de charges) et aux conditions de travail (température extrêmes, hygrométrie particulière, stress psychosocial), sur le plan cardiaque, le risque hémodynamique de dégradation de la fonction cardiaque et de dilatation ainsi que le risque rythmologique avec une majoration de troubles du rythme sont les deux plus grands dangers qui guettent l’insuffisant cardiaque.
« Mais l’insuffisance cardiaque est souvent aussi le terme d’une maladie initiale avec une accumulation de complications potentielles, complications de la maladie coronaire, d’une valvulopathie ou risques emboliques en cas de FA ou de thrombus intra VG », souligne le Pr Cohen Solal.
Que peut faire le cardiologue pour aider le médecin du travail ?
Sur le plan cardiologique, il faut évaluer les critères cliniques : angor résiduel, dyspnée d’effort (NYHA), malaises, palpitations, syncope.
Il faut quantifier le risque hémodynamique du travail. Savoir qu’elle est l’augmentation de la pression artérielle à l’effort, sachant que l’on fait souvent des efforts triangulaires et non pas des efforts constants, précise le cardiologue.
« Il y a des malades qui ont des ports de charge donc un risque de complications éventuelles de la manœuvre de Valsalva qui fait exploser la pression artérielle », ajoute le Pr Cohen-Solal.
Il est important de connaître l’augmentation de la pression pulmonaire, des débits. Enfin, il y a la quantification du risque rythmique qui est difficile. « Pour cela, l’épreuve d’effort est importante mais on ne voit le patient que 15 minutes », nuance le cardiologue.
En termes d’examens, l’épreuve d’effort est la pierre angulaire de l’évaluation des capacités fonctionnelles (données hémodynamiques, VO2 max, seuil ventilatoire, dysrythmie…).
Epreuve d’effort : les critères défavorables à la reprise
Faible performance < 5 MET
Faible ascension de la PA lors de l’effort
Profil chronotrope pathologique : au repos, à l’effort et en phase de récupération
Dysrythmie ventriculaire
Sous décalage ST (ischémie résiduelle)
L’autre examen incontournable qui participe à l’évaluation du risque évolutif est l’échocardiographie :
FE < 30 % : risque élevé
FE > 45 % : risque faible
Une échocardiographie-doppler est utile pour la mesure du débit cardiaque, des pressions de remplissage du ventricule gauche.
En parallèle, le holter permet de mesurer sur une période prolongée le rythme cardiaque et la fréquence cardiaque du patient.
Quid de la place des biomarqueurs ?
« On peut se dire que lorsque le BNP ou le NTproBNP sont complètement normalisés, c’est d’excellent pronostic. Est-ce que cela veut dire que le patient peut reprendre un travail de force ? On ne le sait pas mais nous sommes dans une situation favorable. En revanche, si le BNP reste très haut, ce n’est pas bon », souligne le Pr Cohen-Solal.
Concernant l’élévation de la troponine au long cours, « en chronique, il ne s’agit pas d’un facteur favorable car même avec des coronaires normales, cela signifie qu’il y a des contraintes très élevées. La reprise du travail va favoriser cette ischémie et si on perd régulièrement des myocytes tous les jours, c’est mauvais », précise l’orateur.
Prêter une attention particulière à la réadaptation
Au-delà des divers examens cardiologiques, la réadaptation est un indicateur clé pour toute discussion autour de la poursuite au travail. « Elle permet de faire de l’éducation thérapeutique sur les symptômes et les médicaments, d’optimiser les médicaments, de traiter les comorbidités (diabète, dépression, apnée du sommeil…) d’améliorer les capacités physiques et surtout de tester les éventuelles conséquences de la reprise d’une activité. Si le patient s’est amélioré ou si à l’inverse il ne s’est pas amélioré du tout, c’est un élément important », souligne le médecin.
Attention aux médicaments
Outre les paramètres cliniques ou paracliniques des patients, il est important de s’intéresser à l’impact des médicaments par rapport à l’activité exercée.
« La prise de diurétiques entraîne un besoin de miction régulier qui peut poser problème. Les bétabloquants sont très importants pour la gestion du stress mais peuvent être mal tolérés. Les IEC, ARAII, valsartan, peuvent entraîner des chutes dans certaines situations. On peut répartir un peu la prise des médicaments dans la journée mais les effets secondaires des médicaments doivent être pris en compte », commente le Pr Cohen-Solal.
Ne pas être trop dogmatique
Pour le Pr Cohen-Solal, si le patient souhaite retravailler, il ne faut pas l’en empêcher sans avoir une vision très précise de ses critères cardiaques. « Il y insuffisance cardiaque et insuffisance cardiaque. On a un très large continuum entre la dysfonction biventriculaire avec FEVG à < 35 %, des symptômes NYHA3 et des troubles du rythme et une situation un peu moins grave avec une dysfonction VG asymptomatique, une FEVG entre 40 et 50 % et enfin l’insuffisant cardiaque avec une FEVG à 58 % qui va bien et qui ne décompense que lors de FA ou de poussées ischémiques ou hypertensives. Dans ces trois cas, ce ne sont absolument pas les mêmes malades », précise le Pr Cohen-Solal.
« De même, si le patient a une FEVG < 50 %, le travail est généralement proscrit alors que s’il a une FEVG à 49 % et un BNP à 10, nous sommes dans une situation plutôt favorable », témoigne le cardiologue.
En résumé, l’insuffisance cardiaque est un terme évolué d’une maladie cardiaque et le travail s’il comporte une composante physique significative n’est généralement pas raisonnable. Mais, il y a insuffisance cardiaque et insuffisance cardiaque.
« Les récents progrès thérapeutiques et l’évaluation fine de l’état cardiaque et de la profession peuvent autoriser une activité professionnelle inchangée ou adaptée. Il y a un rôle clé de l’échographie, du holter, de l’épreuve d’effort et des biomarqueurs. Mais, chaque cas est un cas particulier et il faut vraiment prendre en compte tous les éléments cliniques, biologiques, pour décider », conclut l’orateur.
Au-delà du cœur
L’évaluation cardiologique n’est pas suffisante pour décider ou non de la reprise du travail chez l’insuffisant cardiaque. Une évaluation multidisciplinaire est recommandée avant toute décision. Il convient d’impliquer le médecin du travail qui va évaluer la pénibilité cardiaque au poste (cardiofréquencemétrie, holter rythmique, MAPA) mais il faut aussi évaluer l’asthénie et les troubles dépressifs dont souffrent souvent les patients.
Enfin, le souhait du patient est un élément clé. « Le principal facteur de reprise et de maintien au travail est le souhait que le patient a ou pas de reprendre son activité professionnelle », souligne le Pr Cohen-Solal.
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Crédit de Une : BSIP
Actualités Medscape © 2023
Citer cet article: Insuffisance cardiaque et retour au travail : chaque cas est un cas particulier - Medscape - 6 févr 2023.
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