La carte de séjour pour médecins étrangers, une fausse bonne idée ?

Jacques Cofard

Auteurs et déclarations

6 février 2023

France – Pour faciliter le recrutement de médecins étrangers diplômés hors Union européenne (Padhue), le gouvernement a créé, dans le cadre de son projet de loi immigration, une carte de séjour à destination des médecins, mais aussi des pharmaciens, chirurgiens-dentistes, et sage-femmes.

Les syndicats de Padhue restent partagés sur l'utilité de cette carte de séjour, tandis que des médecins français soulignent le risque de priver l'Afrique de ses ressources médicales.

Carte de séjour pluriannuelle « talents »

En pleine réforme des retraites, le gouvernement se lance dans un nouveau chantier miné : le projet de loi sur l'immigration. Composé de 27 articles, ce projet de loi, tel qu'il a été présenté en conseil des ministres ce 1er février vise à « renforcer par la langue et le travail, l'intégration des immigrés, lutter contre l'immigration clandestine, réduire les délais d'examen des demandes d'asile ».

Les professions de santé sont concernées au premier chef par ce projet de loi, qui prévoit la création d'une carte de séjour pluriannuelle « talents – professions médicales et de la pharmacie ».

Les professionnels, et leurs familles, qui pourront bénéficier de ce nouveau titre de séjour sont les médecins, les pharmaciens, les sage-femmes et les chirurgiens-dentistes, recrutés dans les établissements publics, privés non lucratifs, sociaux et médico-sociaux.

« Ce nouveau titre vise à répondre au besoin de recrutement de personnels qualifiés de santé dans les établissements de santé, les établissements médico-sociaux ainsi que les établissements sociaux. En effet, toutes les opportunités autorisant l’exercice de professionnels étrangers qualifiés ne peuvent actuellement être saisies par les établissements, faute de titre de séjour répondant pleinement à la spécificité de ces situations », peut-on lire dans l'exposé des motifs de cette proposition de loi.

 
Ce nouveau titre vise à répondre au besoin de recrutement de personnels qualifiés de santé dans les établissements de santé, les établissements médico-sociaux ainsi que les établissements sociaux.
 

Conditions d’obtention

Toutefois, si la carte talents facilitera l'emploi de ces professionnels de santé, elle est soumise, pour son obtention, à une série de conditions :

– obtention d’une autorisation d’exercice produite par l’agence régionale de santé ;

– production d’un contrat de travail établi avec un établissement public ou privé à but non lucratif ;

– respect d’un seuil de rémunération fixé par décret en Conseil d’État.

Elle sera délivrée dans deux cas de figure : pour les Padhue (praticiens diplômés hors Union européenne) venus en France pour exercer dans un établissement public, privé non lucratif ou social/médicosocial pour une durée d'au moins un an et s'engageant à passer l'épreuve de vérification des connaissances (EVC).

Dans ce cas de figure, la première durée de séjour autorisée sera égale à treize mois. En cas d'échec à l'EVC, le Padhue pourra faire renouveler son titre de séjour pour une nouvelle durée de treize mois.

Deuxième cas de figure : les Padhue ayant réussi l'EVC. Dans ce cas-là, le titre de séjour auquel donne droit la carte « talents » sera d'une durée de quatre ans.

« À l’instar de l’ensemble des titres "talents", le titre "talent – professions médicales et de pharmacie" est délivré sans recours à une demande d’autorisation de travail et entraîne le bénéfice d’un titre de séjour "talents – famille" aux membres de la famille de l’étranger bénéficiaire du titre », poursuit le législateur.

Titre délivré par l’ARS

Autre avantage de cette carte « talents » : la déconcentration. Ce ne serait plus l'État qui délivrerait ces titres, mais l'agence régionale de santé (ARS) – ou une autorité collégiale régionale – après avis d'une commission.

« Cela permettrait ainsi d’augmenter le nombre d’autorités compétentes pour se prononcer et donc d’accélérer le flux de traitement des dossiers », détaille le législateur. 

Ces avancées, néanmoins, ne sont pas du goût des principaux intéressés. Le Dr Nefissa Lakhdara, secrétaire générale du syndicat de Padhue, le SNPADHUE, pense que le gouvernement place la charrue avant les bœufs : « On nous demande de réfléchir à l'entrée en France de nouveaux médecins étrangers, alors même que l'on n'a pas encore réglé le problème des médecins étrangers présents en France. »

Procédure stock

Car sur le territoire français, le nombre de Padhue exerçant sans autorisation d'exercice se chiffre à plusieurs milliers. Une procédure a été lancée pour « autoriser » les Padhue qui ont échoué à l'épreuve de vérification des connaissances (EVC) mais qui ont exercé en France « pendant au moins deux ans en équivalent temps plein entre le 1er janvier 2015 et le 30 juin 2021 ».

Cette procédure, appelée procédure "stock", a pris du retard, si bien que les dossiers d'un peu moins d'un millier de Padhues n'ont toujours pas été examinés par la commission nationale en charge de délivrer, ou non, l'autorisation d'exercice.

Padhue lauréats de l’EVC

Du côté des Padhue qui ont satisfait à l'épreuve de vérification des connaissances (EVC) se pose un autre problème : les terrains de stage sur lesquels ils doivent parachever leur formation en vue de la délivrance de leur autorisation d'exercice manquent cruellement.

Ces médecins aussi se retrouvent coincés dans un no man's land juridique difficile à vivre. Le 26 janvier dernier, la DGOS organisait une nouvelle réunion pour aborder tous ces sujets avec les syndicats de Padhue. Il fut notamment question de la loi immigration et de la carte de séjour « talents ».

La DGOS compte octroyer cette carte à tous les Padhue qui n'émargent ni dans la procédure stock ni parmi les lauréats du concours EVC, selon SOS PADHUE. Mais ces derniers, selon leurs représentants syndicaux, préfèrent être intégrés dans la procédure stock plutôt qu'être les futurs destinataires de cette carte « talents ».

Qui plus est, cette loi ne débutera son périple parlementaire qu'en mars prochain et ne sera certainement pas adoptée avant la fin du premier semestre. Entre-temps, les Padhue resteront sans solution...

Au passage, le ministère prévoit aussi une réforme de la procédure EVC : après réussite du concours, le Padhue effectuera immédiatement un stage de six mois avant de demander une autorisation d'exercice auprès de son agence régionale de santé.

Priver l’Afrique de ses talents

Si la carte « talents » laisse sceptiques les syndicats de Padhue, elle n'a pas non plus séduit certains porte-parole du monde hospitalier, qui ont rédigé une tribune dans le Journal du dimanche pour dire tout le mal qu'ils pensent de cette nouvelle procédure. Signée par André Grimaldi, professeur émérite en diabétologie, Jean-Paul Vernant, professeur émérite d'hématologie, Xavier Emmanuelli, médecins et fondateur du Samu social, et Rony Brauman, ancien président de médecins sans frontières, cette tribune souligne le principal danger de la carte « talents », qui serait de priver l'Afrique de ses ressources médicales.

« En somme, on souhaite transférer nos déserts médicaux dans les pays issus de nos anciennes colonies [...] Nous demandons au gouvernement de retirer de son projet de loi cette proposition de titre de séjour spécifique pour attirer les personnels médicaux, et de négocier avec les gouvernements concernés des accords pour aider au développement de la santé sur leur territoire. »

 
En somme, on souhaite transférer nos déserts médicaux dans les pays issus de nos anciennes colonies.
 

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