France – Comment planifier une grossesse quand on est atteinte de sclérose en plaques (SEP) ? Les traitements sont-ils compatibles avec le fait d’être enceinte, avec l’allaitement ? Peut-on s’en tenir au RCP ? Faut-il un suivi particulier ? Les réponses à ces questions ont fait l’objet cette année de recommandations de la Société Française de la Sclérose en plaques (SFSEP). La Pre Sandra Vukusic, neurologue (Hospices civils de Lyon), qui a dirigé ces recommandations en a présenté les grandes lignes lors des Rencontres de Neurologie en décembre dernier [1,2].
De nécessaires recommandations
« On sait depuis une vingtaine d’années qu’avoir une sclérose en plaques n’est pas une contre-indication à la grossesse », a déclaré en préambule la neurologue lyonnaise.
Pendant longtemps les médicaments de la SEP ont été considérés comme incompatibles avec la grossesse en l’absence d’informations suffisantes pour garantir de leur sécurité. Mais depuis 2009, à l’échelle européenne, les autorités sanitaires appliquent la présomption d’innocuité, à savoir qu’en l’absence de preuve que le traitement est dangereux pour la grossesse, il n’est pas contre-indiqué, mais contiendra un libellé où est décrit ce que l’on sait du produit, a-t-elle expliqué.
Au fil des années, les femmes qui ont démarré une grossesse sous traitement ont permis de faire évoluer les RCP, à l’image des interférons – commercialisés depuis 1996 et initialement contre-indiqués dans les RCP par absence d’informations. Depuis, des milliers de grossesse ont été exposées sans qu’il y ait de problème, et les RCP ont évolué en 2019.
« Pour les médicaments les plus récents, le neurologue est souvent confronté à une situation où il lui revient de lire les RCP et de prendre une décision au cas par cas en fonction du rapport bénéfice/risques, ce qui peut conduire à une inertie thérapeutique. En effet, le praticien est susceptible d’arrêter le traitement pour protéger la grossesse mais, de fait, oublie de protéger la mère. On se retrouve avec des femmes qui sont insuffisamment traitées sous prétexte qu’elles ont un projet de grossesse, alors qu’elles ont parfois besoin d’un traitement de haute efficacité », a considéré l’oratrice.
Ce manque d’informations sur certains traitements a justifié la rédaction de ces recommandations [2], tout comme l’existence de controverses sur l’accouchement, avec des obstétriciens qui considèrent encore qu’une femme avec une SEP doit avoir une césarienne ou un accouchement programmé ou des anesthésistes qui pensent qu’elle ne doit pas recevoir de péridurale, ni de rachis anesthésie.
« Des situations qui arrivent encore, même si elles sont moins fréquentes, et qui ont nécessité l’écriture de ces recommandations, qui fait suite à un gros travail de lecture de la littérature scientifique [2] » a rappelé la Pre Vukusik.
Comment planifier une grossesse chez une femme avec une SEP ?
« Tout d’abord, il faut dire qu’une grossesse n’est pas déconseillée en cas de SEP et le dire au moment du diagnostic, que la femme ait ou non déjà des enfants. Ensuite, il faut préciser que la planification de la grossesse doit être privilégiée dans une période tranquille de la maladie – cliniquement parlant –, si possible d’au moins 12 mois.
« Ne pas hésiter à discuter très tôt des éventuels projets de grossesse de la femme en âge de procréer pour la conseiller sur ses choix thérapeutique et ré-aborder le sujet régulièrement à chaque mise en route d’un traitement ou à chaque fois que l’on va envisager de changer le traitement », précise l’oratrice.
Quel suivi pendant la grossesse chez une femme avec une SEP ?
Le suivi de la grossesse est un suivi normal dans la grande majorité de cas, le même que celui de la population générale, à l’exception des patientes avec un handicap très important.
L’idéal est de mener une consultation avec la patiente, et si possible son conjoint, pour anticiper, puis de nouveau, lorsque la grossesse a débuté. « C’est important de redire les choses et communiquer avec les autres professionnels de santé qui vont intervenir dans la gestion de la grossesse, que ce soit les sages-femmes, les obstétriciens et les anesthésistes », a indiqué la neurologue.
La réalisation d’IRM pour suivre l’évolution de la maladie est préconisée. Les données montrent qu’il n’y a aucun problème pour en réaliser une pendant la grossesse si besoin. « En revanche, il n’y a pas de justification à faire un suivi systématique de la SEP par IRM pendant la grossesse qui est plutôt une période calme de la maladie », indique la neurologue.
Pour les femmes avec un handicap plus important comme un trouble moteur, de la spasticité et des troubles vésico-sphinctériens par exemple, il est important de mettre en place une prise en charge pluridisciplinaire pour que la grossesse se passe pour le mieux – même en ayant baissé les traitements symptomatiques.
Quid de l’accouchement et du post-partum ?
Il se déroule comme chez toutes les femmes, par voie basse ou par césarienne – le handicap n’a pas d’impact. « L’orientation vers une maternité de type particulier n’est pas liée à la maladie maternelle, mais beaucoup plus au pronostic fœtal, donc les femmes atteintes de SEP peuvent accoucher dans tous types de maternité, voire même à la maison en étant suivi par une sage-femme », assure Sandra Vukusic.
Les recommandations pour un déclenchement ou une césarienne sont les mêmes qu’en population générale. Quant à l’indication de ré-éducation périnéale en post-partum, elle est la même qu’en population générale, en présence de troubles vésico-sphinctériens trois mois après l’accouchement.
Concernant la péridurale avant l’accouchement, on peut proposer aux femmes avec une SEP les mêmes modalités d’anesthésie et d’analgésie – péri ou rachi-anesthésie – que dans la population générale.
Pour ce qui est de l’allaitement, il est possible et a peut-être même un effet protecteur mais il dépend des traitements d’où l’importance de discuter avec la patiente, même en cas de maladie active, pour décider, par exemple, quand reprendre un traitement.
Les traitements immunoactifs peuvent-ils être utilisés lors de la conception, pendant la grossesse et pendant l’allaitement ?
Acétate de glatiramère
« Il peut être poursuivi jusqu’au diagnostic de grossesse avec un niveau de preuve de grade B, bien qu’il soit possible, chez certaines patientes dont la maladie est peu active de l’arrêter car on sait que la grossesse a un effet protecteur sur l’activité inflammatoire », a commenté l’oratrice. Néanmoins, les recommandations SF-SEP stipulent qu’il peut être poursuivi pendant la grossesse si l’activité de la maladie le nécessite. À noter que l’allaitement est possible chez les patientes traitées par acétate de glatiramère car il ne passe pas dans le lait maternel.
Interférons bêta
Les recommandations de la SF-SFP sont que le traitement par interférons bêta peut être poursuivi jusqu’au diagnostic de grossesse et, comme pour l’acétate de glatiramère, il est conseillé de discuter avec la patiente du fait de le poursuivre ou non pendant la grossesse, selon l’activité de la maladie et son choix personnel, sachant qu’il n’y a pas de risque de fausse-couche en poursuivant les interférons bêta comme cela a été dit.
Tériflunomide (Aubagio®)
L’Aubagio fait partie des médicaments dont l’utilisation est contre-indiquée pendant la grossesse. Même si la tératogénicité n’a pas été démontré il existe une suspicion assez forte du fait du mécanisme d’action et les données chez l’animal. La recommandation est donc d’arrêter la tériflunomide avant d’interrompre la contraception.
Le délai d’attente avant de démarrer une grossesse est de 2 ans mais il est possible de bénéficier d’une procédure accélérée d’élimination avec du charbon activé ou de la cholestyramine, qui permet d’éliminer le produit en 10 jours. Il faut demander à la femme d’être prudente car cette procédure peut altérer l’efficacité de la contraception minidosée estroprogestative et vérifier ensuite les taux sériques pour s’assurer que le traitement est indosable, sachant qu’il est recommandé de maintenir la contraception de la femme tant que le dosage sanguin du tériflunomide est supérieur à 0,02 mg/L.
L’allaitement est, en revanche, contre-indiqué chez les patientes traitées par tériflunomide.
Diméthylfumarate
Si le diméthylfumarate n’est pas recommandé pendant la grossesse et chez les femmes en âge de procréer n’utilisant pas de méthode appropriée de contraception, la SF-SEP considère cependant, au vu des données dont elle dispose que le traitement peut être poursuivi jusqu’au diagnostic de grossesse en demandant à la patiente d’être vigilante sur le début de la grossesse, de façon à l’arrêter dès diagnostic de grossesse dès que les bêta hcg sont positifs. L’allaitement n’est pas recommandé.
Ocrelizumab/Rituximab
Il est recommandé de ne pas utiliser les anti-CD20 pendant la grossesse si l’on suit les RCP, et on est sensé attendre 12 mois avec une contraception depuis la dernière perfusion.
« Néanmoins, l’ocrelizumab est une IgG1, et l’on sait que les IgG1 ne passent pas la barrière placentaire au cours du premier trimestre. De plus, la demi-vie de l’ocrelizumab est de 26 jours et il faut 5 demi-vies pour l’éliminer (soit 5 mois).
De fait, l’ECTRIMS et la SF-SEP recommandent, elles, un délai d’au moins 2 mois – donc plus court – entre la dernière perfusion d’anti-CD20 et l’arrêt de la contraception.
« Si la sclérose en plaques reste active pendant la grossesse et que la future mère ne va pas bien, on peut se poser la question de reprendre le traitement au cas par cas, et après discussion en réunion pluridisciplinaire – sachant que la pire décision serait d’interrompre la grossesse », considère l’oratrice.
Autre avantage, l’effet biologique de ces molécules est plus long que leur présence dans le sang maternel, surtout si la patiente est traitée depuis 1 ou 2 ans, il permet un contrôle de la maladie beaucoup plus long que les 6 mois de l’intercure recommandée par les RCP, ajoute-t-elle.
Fingolimod (Gylenia®)
Alors qu’il n’était pas contre-indiqué pendant la grossesse au début de sa commercialisation, le fingolimod l’est désormais. Un délai de 2 mois est nécessaire entre la dernière prise de fingolimod et l’arrêt de la contraception.
Les patientes sous fingolimod étant des patientes dont la maladie est active, un relai doit impérativement être assuré avec un traitement de fond compatible avec la grossesse suffisamment efficace pour contrôler la maladie. Le choix peut être compliqué et il est conseillé de le discuter lors de réunions pluridisciplinaires. L’allaitement est contre-indiqué chez les patientes traitées par fingolimod.
Natalizumab (Tysabri®)
La SF-SEP considère aujourd’hui que l’on peut poursuivre le natalizumab jusqu’au diagnostic de grossesse, avec un bon niveau de preuves, et sans impact négatif sur le déroulé de la grossesse et sur le développement fœtal.
Il est recommandé de discuter du maintien ou non du traitement pendant la grossesse en réunion de concertation. L’espacement des doses est préconisé, si ce n’est déjà fait, car c’est un moyen d’économiser l’exposition fœtale. Le natalizumab étant une IgG1, le traitement par natalizumab peut être poursuivi, si besoin, au cours des deux premiers trimestres de la grossesse. La poursuite ou reprise du natalizumab au cours du troisième trimestre de la grossesse peut être discutée en RCP mais uniquement quand la sévérité de la pathologie le justifie.
Il est recommandé de reprendre le traitement le plus vite possible après l’accouchement. « Sachant que les femmes peuvent allaiter sous natalizumab, mon conseil aux neurologues est de fixer la date de la reprise de la perfusion avec la date prévue de l’accouchement, et de leur demander de vous prévenir si elles accouchent de manière prématurée », a recommandé Sandra Vukusik.
Pour en savoir plus : La présentation des recommandations de la SF-SEP « Grossesse dans la sclérose en plaques et les maladies du spectre de la NMO » sous la direction de Sandra Vukusik et Christine Lebrun-Frenay est disponible à l’adresse https://sfsep.org/wp-content/uploads/2022/04/SFSEP_Presentation-Recos_Gossesse-20220414.pdf
Sandra Vukusic déclare avoir reçu des honoraires pour des activités d’expertise et de présentations, des financements de congrès et un soutien à son activité de recherche de Biogen, BMS-Celgene, Janssen, Merck Serono, Novartis, Roche, Sanofi Genzyme et Teva.
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Citer cet article: SEP et grossesse : quels traitements peuvent être utilisés ? - Medscape - 2 févr 2023.
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