
Dr Yanis Hassaïne
Grenoble, France – Une étude française confirme une tendance à l’augmentation des cancers du sein chez les jeunes femmes au cours des dernières décennies. Ces données, publiées dans Breast Cancer Research, proviennent du registre de l'Isère, et couvrent la période 1990-2018. [1]
Sur plus de 23 000 cancers du sein invasifs colligés durant cette période, 1 343 concernaient des femmes de moins de 40 ans. La maladie reste donc relativement rare chez les femmes jeunes. Le problème est que l'incidence augmente globalement de 0,8 % par an sur la période considérée, et de 2,1 % par an chez les femmes de moins de 40 ans.
En outre, quand l'incidence des triple-négatifs diminue en moyenne de 0,8 % par an entre 2011 (année à partir de laquelle les sous-types sont inscrits dans le registre) et 2018, elle augmente en revanche de 1,4 % par an chez les femmes jeunes – et de 4 % par an après 75 ans.
Statistiquement, les écarts ne sont pas significatifs, mais en tendance, ils sont parlants.
Dans ces conditions, l'amélioration de la survie à 10 ans, qui, chez les femmes jeunes, passe de 74,6 % à 78,3 % entre 1990-1999 et 2000-2008, est à pondérer.
Face à ces données, le Dr Yanis Hassaïne (CHU de Grenoble), cosignataire de l'étude, appelle à renforcer les campagnes de prévention et remettre en question la population cible du dépistage organisé. Interview.
L'épidémiologie du cancer du sein évolue. Quelles sont vos observations ?
Dr Yanis Hassaïne : L'incidence croissante du cancer du sein chez les femmes jeunes est un phénomène connu depuis un certain temps déjà. L'augmentation des diagnostics de cancer du sein portés chez des femmes jeunes devient tellement évidente que les médecins la perçoivent dans leur pratique clinique quotidienne.
Le phénomène est donc important ; il est d'ailleurs signalé partout dans le monde, y compris en Afrique.
Et pourtant, en me penchant sur la bibliographie, je me suis rendu compte qu'il reste étonnamment peu décrit.
Parce que nos impressions cliniques nous y incitaient, nous avons donc analysé le registre de l'Isère, qui collige tous les cas de cancer du sein survenus dans le département depuis 1990, avec les courbes de survie, et les cause de décès, et à partir de 2011, les données sur les sous types.
Les résultats sont clairs : la progression d'incidence concerne toutes les tranches d'âge, mais elle est plus de deux fois plus importante chez les femmes de moins de 40 ans.
Les triple-négatifs (sous types de cancers du sein les plus agressifs), sont également en augmentation chez les femmes jeunes, et davantage encore après 75 ans.
Enfin, les tumeurs surexprimant HER2 sont globalement en augmentation de 6 % par an, de 6,8 % chez les femmes jeunes, et de 12,7 % après 75 ans.
Notons que deux facteurs peuvent aussi expliquer cette augmentation importante de l’incidence du cancer du sein chez la femme jeune : l’amélioration des performances diagnostiques et la meilleure connaissance de l’histoire familiale.
Cette évolution a-t-elle des conséquences dans la prise en charge ?
Dr Yanis Hassaïne : À ce jour, non. La tendance est trop récente pour impacter les pratiques.
Sur le plan thérapeutique, les lignes de traitement sont les mêmes chez les femmes jeunes. Mais une réflexion pourrait s'ouvrir, par exemple sur le devenir de la fonction cardiaque, puisque les traitements comportent souvent des molécules cardiotoxiques, et que les femmes jeunes reçoivent en proportion plus de chimiothérapies du fait de l’agressivité plus importante des cancers du sein qu’elles développent.
Il faut y ajouter les perturbations hormonales et les problèmes de fertilité induites par les traitements du cancer du sein à l’âge où ces patientes souhaitent fonder une famille.
Les enjeux psychosociaux, par ailleurs, ne sont évidemment pas les mêmes chez une femme de 30 ans, et chez une femme de 60 ans. Sur ce plan aussi, si la tendance se confirme, des adaptations de la prise en charge devraient se justifier.
Et en termes de prévention, comment s'opposer à cette évolution ?
Dr Yanis Hassaïne : La part des cancers du sein héréditaires est de 5 %. Elle monte à 12 % chez les femmes jeunes, mais les risques évitables restent prédominants.
La prévention peut donc largement se déployer sur les thèmes classiques des modes de vie occidentaux : tabac, alcool, sédentarité, mauvaise hygiène alimentaire.
À cela s'ajoutent des facteurs protecteurs : le nombre de grossesses et l’allaitement.
Il n'est pas du tout certain que ces facteurs soient tous bien intégrés, dans toutes les couches de la population.
On peut par exemple s'interroger sur la proportion de femmes qui connaissent le rôle préventif de l'activité physique, ou de l'allaitement, vis-à-vis du cancer du sein.
Malheureusement, les oncologues en parlent peu, puisqu'ils sont déjà face à la maladie, et qu'il n'est plus temps de prévenir. Donc qui en parle ?
Pour le moment, la prévention primaire s'adresse peu aux femmes jeunes. Le renforcement des campagnes de santé publique à ce sujet pourrait contenir ce phénomène.
En matière de dépistage, quelles sont vos recommandations ?
Dr Yanis Hassaïne : Le dépistage systématique du cancer du sein se pratique aujourd'hui de 50 à 74 ans.
Par ailleurs, avant 40 ans, le cancer du sein reste une maladie rare, dont le dépistage ne se justifie que sur des critères familiaux.
Reste la décennie 40-50 ans, durant laquelle la question d'un dépistage pourrait être posée, sans doute pas de manière systématique mais en intégrant le profil de la patiente et les facteurs de risque personnels.
La question d'une personnalisation du dépistage se pose d'ailleurs de manière très générale et représente probablement l’avenir du dépistage du cancer du sein.
Le dépistage du cancer du sein tel qu'il est organisé aujourd'hui, est efficace : il réduit la mortalité de 20 %, de multiples études l'ont prouvé.
Cependant depuis qu'il est en place, on a aussi constaté ses limites : participation des femmes, coût, effets indésirables (surdiagnostics, cancer de l’intervalle, faux positifs).
Sur tous ces aspects, on peut supposer que des procédures un peu plus personnalisées sont mieux adaptées.
Une étude européenne comparant le dépistage systématique au dépistage personnalisé, est d'ailleurs en cours : MYPeBS.
Ce que l'on constate pour le cancer du sein, concerne-t-il tous les cancers ?
Dr Yanis Hassaïne : Globalement, les incidences augmentent, même si certaines progressions sont moins rapides que d'autres. L'épidémiologie du cancer évolue, et demande une constante adaptation. Rappelons par exemple qu'en 2030, le cancer du pancréas, dont l'incidence croît de manière exponentielle, pourrait devenir le premier cancer digestif, dépassant le cancer du côlon.
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Augmentation de l’incidence du cancer du sein chez les jeunes femmes en France : est-ce vrai ?
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Citer cet article: Incidence croissante du cancer du sein chez les femmes jeunes : renforcer la prévention et adapter le dépistage - Medscape - 2 févr 2023.
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