Paris, France — Il peut écrire des poèmes, rédiger des lettres de motivation, proposer des recettes de cuisine et répondre à toutes les questions ou presque qui lui sont posées… Mis en ligne en novembre dernier, le nouvel agent conversationnel ChatGPT, développé par l’entreprise américaine OpenAI et dans lequel a massivement investi Microsoft, pourrait ouvrir d’importantes perspectives dans le domaine de la santé.
Après la chirurgie, la découverte de la pénicilline ou de la vaccination, se souviendra-t-on de ChatGPT comme d’une grande avancée dans le domaine de la médecine ?
Il a fallu moins de trois mois pour que ce modèle de machine learning affole les amateurs de nouvelles technologies. Selon eux, les robots conversationnels, capables de comprendre le langage naturel et de répondre intelligemment aux questions des utilisateurs, pourraient révolutionner certains usages et de transformer de nombreux métiers.
« Depuis environ quatre ans, les "géants du web" comme Google, développent des modèles massifs de langage, tels BERT ou GPT, qui facilitent la mise en œuvre de techniques de traitement automatique de la langue naturelle, comme le résumé de texte, les systèmes de question-réponse, la génération automatique de textes ou le dialogue. Ces derniers surprennent par leur qualité de leur répartie », explique à Medscape édition française Jean-Gabriel Ganascia, spécialiste de l'intelligence artificielle, ex-Président du comité d'éthique du CNRS, président du comité d'orientation du CHEC (Cycle des Hautes Études de la Culture) et membre du Conseil scientifique de l'Observatoire B2V des mémoires.
Un recueil d’une multitude de sources d’informations
De quoi est réellement composé un outil comme ChatGPT et comment fonctionne-t-il ? « Je suis formé à partir de vastes quantités de textes en ligne publiés jusqu'en 2021, incluant des articles de presse, des livres, des pages web, et d'autres sources d'information. Cela me permet de générer du texte informatif et cohérent sur un grand nombre de sujets », relate le modèle de langage, interrogé par Medscape Edition française.
Alorq qu’il ne peut pas accéder à Internet pour vérifier des informations, ChatGPT répond uniquement à partir de données qu’il a précédemment vues.
« Au plan technique ces modèles statistiques de la langue (que l'on appelle parfois des perroquets stochastiques) font appel à des réseaux de neurones formels contenant des centaines de milliards de paramètres, entraînés sur des très gros corpus constitués d'encyclopédies en ligne contenant l'équivalent en quantité de textes de centaines, voire de millions d'ouvrages, comme Wikipédia, ajoute Jean-Gabriel Ganascia. On leur adjoint des techniques d'apprentissage par renforcement pour les systèmes de dialogue, afin de trouver le mot le plus plausible dans chaque contexte. »
Santé : des chatbots qui ont du chien
Les agents conversationnels pourraient ouvrir de nombreuses perspectives dans le domaine de la santé, en apportant en premier lieu une assistance aux patients en leur délivrant des informations sur les pathologies, traitements et médicaments. Ils devraient aussi jouer un rôle important à l’avenir dans l’éducation thérapeutique.
Mais un outil comme ChatGPT pourrait également aider les médecins à évaluer rapidement les symptômes des patients et à déterminer le meilleur traitement. Dans le cadre de la télésurveillance, les agents conversationnels sont en mesure de suivre les patients à distance et fournir des alertes en cas de problèmes potentiels.
ChatGPT n’est pas le seul outil existant. Google et DeepMind travaillent au développement de Med-PaLM, un outil open source conçu pour répondre aux questions des professionnels de la santé ou des patients. La société Wefight s’est quant à elle spécialisée dans des assistants virtuels destinés à informer les patients sur une vingtaine de pathologies.
Un accélérateur de diagnostic
Dans « 2041 : l’odyssée de la médecine* », le Pr Jean-Emmanuel Bibault, médecin chercheur en cancérologie à Paris, qui a exercé un temps à Stanford dans la Silicon Valley, est convaincu que l’IA va bouleverser le métier de médecin.
« Nous sommes en passe d’inventer les machines qui nous soigneront mieux que nous sommes capables de nous soigner nous-mêmes », affirme-t-il.
Entraînés à partir de bases de données massives, et pouvant intégrer un grand nombre de paramètres, les systèmes d’IA devraient accélérer le dépistage et le diagnostic des patients mais aussi la personnalisation de leur traitement. Et ce dans presque toutes les disciplines.
Et les chatbots, sur le modèle de ChatGPT, pourraient aussi à l’avenir jouer un grand rôle en psychiatrie, pour évaluer la santé mentale d’un patient, lui apporter une information médicale, voire lui proposer une psychothérapie.
« L’IA pourrait aussi servir à la détection et au diagnostic automatisé de syndrome dépressif et du risque suicidaire », ajoute Jean-Emmanuel Bibault.
L’IA prendra-t-elle une place prépondérante dans le diagnostic, au point de supplanter l’homme ?
Sans aucun doute, affirme le chercheur. « Lorsque les performances de l’intelligence artificielle auront très largement dépassé celles de l’humain, le concept même d’une validation ou d’une vérification par un médecin n’aura plus aucun sens, affirme-t-il. Nous aurons atteint un point de non-retour. Quel rôle joueront alors les médecins chargés jusqu’alors de ce type de procédures ? »
D’ici 15 à 20 ans, la thérapeutique devrait aussi être révolutionnée par l’IA qui recommandera les dispositifs et médicaments les plus adaptés à chaque maladie, prédit le médecin. Et peut-être dans 30 ou 40 ans pourra-t-elle donner une consultation médicale « parfaite du point de vue technique » ?
Plaidoyer pour une garantie humaine
On n’en est pas encore là ! À l’origine de l’initiative académique et citoyenne Ethik-IA qui défend une "régulation positive" de l'intelligence artificielle en santé et auteur de plusieurs ouvrages relatifs à l'IA, David Gruson porte un regard plus mesuré sur le développement de ces nouvelles technologies.
« ChatGPT est l’illustration des opportunités que nous offrent les agents conversationnels dans la santé. Ces outils sont utiles dans l’accompagnement et la prise en charge des patients souffrant de maladies chroniques et métaboliques. Ils peuvent accompagner les patients, traiter les données, relancer les professionnels. Mais même en télésanté, où un agent conversationnel peut avoir une place pour préparer les rendez-vous par exemple, son utilisation implique l’intervention d’un humain. »
Le responsable d’Ethik-IA défend la notion de garantie humaine qui consiste à « s’ouvrir résolument à l’innovation en essayant d’en réguler les enjeux éthiques au fil de son application ». Un « IA Act », réglementation de l’usage de l’IA en santé, doit être prochainement adopté au niveau européen. Son entrée en vigueur est attendue à la fin de ce premier semestre.
« Le principe de la primauté de l’humain est central, il s’agit d’un vrai sujet civilisationnel si l’on veut se prémunir des dérives, conclut David Gruson. Il ne s’agit pas avec la garantie humaine de mettre sous surveillance l’algorithme mais de procéder à une étude de cas avec si nécessaire des actions correctives de l’algorithme ou de la pratique humaine. »
Dans une cocasse interview au Jim , ChatGPT se montre extrêmement prudent : « Il est peu probable que l'IA remplace complètement les médecins pour le diagnostic et le choix thérapeutique à court ou moyen terme, assure-t-il. Les professionnels de santé ont une expertise et une expérience qui ne peut être remplacée par une IA. Ils sont formés pour interagir avec les patients, comprendre les facteurs sociaux et émotionnels qui peuvent influencer la santé d'une personne, et prendre en compte les contextes uniques de chaque patient. » Et modeste, avec ça !
*Paru en décembre 2022 aux éditions Equateurs, 204 pages, 19 euros
Alerte à la triche avec ChatGPT
Le succès de ChatGPT a franchi les portes des universités. Le robot d’intelligence artificielle a déjà été largement été testé par des enseignants. Aux États-Unis, des chercheurs ont soumis ChatGPT à certaines épreuves du diplôme de médecine américain (USMLE) réussies avec succès. La crainte est aujourd’hui que des étudiants dissertent avec cet outil (dans tous les sens du terme). Un enseignant de Lyon a relevé que 7 des 14 étudiants suivant un master d’handicapologie avaient fait plancher ChatGPT pour un devoir réalisé à la maison.
L’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po Paris) prend aussi des mesures pour limiter la triche. « L’utilisation de ChatGPT à Sciences Po, ou de tout autre outil ayant recours à l’intelligence artificielle est […] pour l’instant strictement interdite lors de la production de travaux écrits ou oraux par les étudiantes et étudiants », a indiqué le directeur de la formation et de la recherche, dans un message adressé au corps enseignant.
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Crédit de Une : Dreamstime
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Citer cet article: ChatGPT, l’outil d’IA va-t-il chambouler la santé ? - Medscape - 1er févr 2023.
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