Idées reçues en psychiatrie : quelques minutes pour venir à bout des intox

Marine Cygler

Auteurs et déclarations

30 janvier 2023

Paris, France – Innovation au congrès de l'Encéphale 2023, la première session Psytox a pour but de déconstruire des idées reçues en psychiatrie. Les orateurs se sont succédé sur la scène avec pour mission de convaincre en sept minutes chrono les participants au congrès. Un format aussi plaisant qu'enrichissant. Doser les antidépresseurs est inutile, la schizophrénie conduit à la démence, la pédophilie est un crime... des experts balaient les idées reçues trop largement répandues. Voici quelques mythes tenaces qui ont été ébranlés.

« Tous les traumas ont les mêmes effets sur le cerveau ! »

Le Pr Wissam El-Hage (psychiatre, responsable du centre de psychotraumatologie, CHRU de Tours) a montré, en s’appuyant sur des données tirées de la littérature scientifique, qu'en fait les traumas produisent une clinique et des modifications cérébrales spécifiques. Les effets sur le cerveau diffèrent selon l'âge de survenue et la répétition mais aussi le type de trauma.

Premier exemple : les personnes victimes d'abus sexuels présentent des modifications au niveau du cortex génio-sensoriel, du circuit de la réponse et de l'amygdale alors que le personnes victimes de maltraitance émotionnelle présentent, elles, une perturbation des réseaux fronto-limbiques responsables de la régulation émotionnelle.

Chez les enfants, une étude de 2016 a montré des effets spécifiques de la violence parentale verbale : perte de matière grise au niveau du cortex auditif et diminution de l'intégrité du faisceau arqué qui relie les aires de Broca (« je parle ») et de Wernicke (« je comprends ce que j'ai entendu ») [1].

Quant au cerveau des enfants témoins de violences conjugales, il présente une diminution du volume de la matière grise des aires visuelles secondaires et une diminution de la connectivité entre les zones cérébrales visuelles et émotionnelles.

Ces effets différents sur le cerveau expliquent, d'une part, que les personnes ne réagissent pas tous de la même façon et que, d'autre part, ils peuvent présenter des tableaux cliniques spécifiques selon le trauma et l'âge de survenue.

« Le lithium est le traitement de maintenance de référence des troubles bipolaires »

« La théorie nous laisse penser que le lithium est bien le traitement de référence dans la prise en charge des troubles bipolaires. Mais est-ce le cas en pratique ? Quel est le taux de prescription du lithium selon vous ? 60-70 % comme attendu ? » interroge le Dr Ludovic Samalin (psychiatre, CHU Clermont-Ferrand).

Dans la cohorte FACE-BD de la fondation FondaMental, un participant sur trois a une prescription de lithium à l'entrée dans l'étude. Le lithium est positionné derrière les anticonvulsivants, les antipsychotiques et les antidépresseurs. « Actuellement la tendance est à une augmentation de la prescription des antipsychotiques de seconde génération, une prescription de lithium moyenne, voire qui diminue, et une diminution de la prescription des anticonvulsivants », indique l'orateur qui a terminé sa présentation avec les résultats, en cours de publication, d'une enquête réalisée par l' ISBD auprès de 1 000 psychiatres sur les freins à la prescription.

Outre la crainte des effets au long terme et de la répétition des tests sanguins, un facteur à l'origine du défaut de prescription est le fait que le psychiatre anticipe les croyances négatives des patients par rapport au lithium. Aussi, Ludovic Samalin considère que pour améliorer les taux de prescription il faudrait davantage impliquer les patients grâce à la décision médicale partagée.

 
Pour améliorer les taux de prescription il faudrait davantage impliquer les patients grâce à la décision médicale partagée.
 

« Il faut forcément plus de psychiatres d'adultes que d'enfants »

Les enfants et les adolescents représentent un quart de la population française. « Très logiquement, il devrait y avoir un quart de psychiatres d'enfants et d'adolescents et le reste pour la psychiatrie adulte, éventuellement celle du sujet âgé », raisonne le Pr Olivier Bonnot (pédopsychiatre, CHU Nantes) qui développe trois arguments pour déconstruire cette idée reçue.

D'abord, la pédopsychiatrie a un poids majeur dans le fardeau des maladies mentales. En outre, un certain nombre de troubles psychiatriques peuvent débuter dans l'enfance d'après une méta-analyse récente [2]. « Pour toute pathologie mentale confondue, le pic d'apparition est de 14,5 ans, ce qui est un âge très précoce », fait-il remarquer.

Enfin, une autre méta-analyse de la littérature [3] apporte une preuve convaincante de la grande efficacité des traitements, médicamenteux et psychosociaux, chez les enfants. Et le spécialiste de conclure : « Pour moi, il faudrait autant, si ce n'est plus, de psychiatres pour enfants et adolescents que de psychiatres pour adultes ! ».

 
Pour moi, il faudrait autant, si ce n'est plus, de psychiatres pour enfants et adolescents que de psychiatres pour adultes ! Pr Olivier Bonnot
 

« Le dosage des antidépresseurs en routine : trop long et trop coûteux par rapport à son utilité »

« Les principaux arguments que j'entends en défaveur du dosage des antidépresseurs (AD) est que non seulement il est coûteux et trop long mais qu'il n'y aurait pas de relation concentration-efficacité », déplore la Dre Bénédicte Nobile (pharmacienne, CHU Lapeyronie, Montpellier).

Or sur ce dernier point, elle rappelle l'existence d'une concentration minimale efficace, en-dessous de laquelle l'AD ne sera pas efficace, et d'une concentration maximale de tolérance/efficacité, au-dessus de laquelle le risque d'effets secondaires dépasse l'efficacité.

Si la relation concentration-efficacité reste en débat, de plus en plus d'études la retrouvent. Ces travaux mettent surtout en évidence une grande variabilité interindividuelle laquelle peut être due à l'observance thérapeutique, mais aussi au tabac qui a un impact sur le métabolisme des AD ou encore au polymorphisme des CYP qui explique qu'il y a 1/3 de métaboliseurs ultrarapides des AD et 1/3 des métaboliseurs lents.

Concernant le coût du dosage, Bénédicte Nobile propose de le comparer à celui de la dépression résistante qui conduit à des hospitalisations. « Le dosage plasmatique coûte 30,4 euros avec un résultat à sept jours. Il peut épargner une hospitalisation ou un changement d'AD en vain », commente-t-elle.

À qui prescrire le dosage ? Le groupe sur le dosage des médicaments de l'AGNP, une société savante réunissant des psychiatres et pharmaciens suisses, allemands et italiens, recommande le dosage pour différentes catégories de patients. « J'attire votre attention sur une recommandation en particulier : il s'agit de faire un dosage quand le patient est stabilisé sous AD. Ainsi le médecin connaît la concentration d'AD à laquelle le patient répond bien », explique Bénédicte Nobile.

Avant de poursuivre : « Lors d'une rechute dépressive, il faut redoser l'AD afin de vérifier que la concentration ne soit pas modifiée par l'ajout d'un nouveau traitement ou l'apparition d'une comorbidité somatique. »

Pour elle, les psychiatres ont la chance de disposer d'un outil qui peut être utilisé au quotidien, qui permet une prise en charge optimale et la prise de décisions thérapeutiques plus éclairées et de faire des switchs thérapeutiques plus orientés.

Un exemple pratique ? « Vous avez un patient traité avec 40 mg de fluoxetine par jour. Il ne répond pas ou peu au traitement antidépresseur. Vous prescrivez un dosage dont le résultat indique une concentration d'antidépresseur bien en dessous de la concentration minimale efficace. Soit votre patient ne prend pas son traitement antidépresseur, ce qui est le cas d'un patient sur deux, soit il le prend mais il est un métaboliseur rapide du 2D6. Vous switcherez alors vers une molécule comme la sertraline qui est, elle, métabolisée par le cytochrome 3A4. »

 
Faire un dosage quand le patient est stabilisé sous AD, ainsi le médecin connaît la concentration d'AD à laquelle le patient répond bien. Bénédicte Nobile
 

« Les schizophrènes deviennent tous déments »

Orateur invité à déconstruire cette idée reçue, le Dr Gabriel Robert (psychiatre, centre hospitalier Guillaume-Régnier, Rennes) commence par rappeler que tous les troubles mentaux, et pas la seule schizophrénie, sont des facteurs de risque majeurs vers la démence, et que différentes études indiquent que les patients schizophrènes ne perdent pas en fonction cognitive avec le temps. En fait, ce qui fait la différence c’est d'être en institution. L'étude de patients schizophrènes âgés montrent trois types de trajectoire cognitive avec le vieillissement : 50 % ont des fonctions cognitives stables, 40 % présentent un déclin cognitif modéré et 10 % un déclin rapide.

100 % des patients de la dernière catégorie – ceux avec un déclin cognitif rapide, vivent en institution. « Elle est là la Psytox : internes, on est passé dans les pavillons chroniques avec des patients schizophrènes vieillissants présentant des symptômes négatifs majeurs. Vous savez tous que les certitudes acquises pendant la formation ont la peau particulièrement dure », indique-t-il. Autre preuve pour réfuter l'idée reçue, le concept de rémission de la schizophrénie par intégration dans la communauté a émergé depuis quelques années.

« La pédophilie est une infraction. Ce n'est pas de la psychiatrie, elle doit être traitée par la justice »

Il s'agit ici non plus d'une idée reçue mais de trois. La première tient au fait que la pédophilie soit considérée comme une infraction, une idée reçue largement véhiculée par les médias. « Il y a une confusion sémantique : être un agresseur sexuel d'enfants, c'est-à-dire un pédocriminel, n'est pas synonyme de présenter un trouble pédophilique », explique la Dre Anne-Hélène Moncany, présidente de la Fédération française des CRIAVS (Centres ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles).

La psychiatre toulousaine révèle que la plupart des agresseurs d'enfant ne présente pas de trouble pédophilique, et en particulier dans les cas d'inceste. Et le fait de présenter un trouble pédophilique n'est pas synonyme de passage à l'acte, même si c'est un facteur de risque majeur de passage à l'acte. « Le trouble pédophilique est un trouble psychiatrique décrit comme une attirance sexuelle chronique pour les enfants non-pubères. Ce n'est pas à la justice de le traiter car, en France, on n’incarcère pas, aujourd'hui, pour des idées », clarifie-t-elle.

Pour autant, elle indique qu’il arrive que les personnes qu'elle suit en prison aient demandé de l'aide en vain auprès de leur médecin. La révélation des attirances sexuelles problématiques a conduit le médecin, psychologue ou psychiatre à les orienter vers le commissariat, mais sans infraction, rien ne peut être fait pour eux.

« Pour éviter de rencontrer des patients qui ont cherché de l'aide sans en trouver et qui ont fini par passer à l'acte, nous avons mis en place un service téléphonique anonyme et gratuit », poursuit la psychiatre toulousaine. Le service téléphonique Stop (Service téléphonique d'orientation et de prévention – 0806 23 10 63) permet d'être orienté vers un réseau de soin. Car la pédophilie peut se soigner grâce à des traitements prescrits par le psychiatre idéalement avant toute infraction. « Seuls les psychiatres sont autorisés à prescrire un traitement freinateur de libido, preuve supplémentaire si elle était encore nécessaire, que la pédophilie est bien un trouble psychiatrique qui n'est pas nécessairement synonyme de pédocriminalité », argumente-t-elle encore.

 
Pour éviter de rencontrer des patients qui ont cherché de l'aide sans en trouver et qui ont fini par passer à l'acte, nous avons mis en place un service téléphonique anonyme et gratuit.
 

 

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