La conspiration du silence

Dre Jesica Naanous Rayek

Auteurs et déclarations

2 février 2023

Dissimuler de l’information au patient est contraire au principe éthique d'autonomie. Pourtant, la pratique d’un « pacte du silence », que ce soit de la part du médecin et ou de la famille, est un phénomène plus courant qu’on ne le pense.

Qu’est-ce que la « conspiration du silence » ? Il s’agit d’un phénomène peu discuté, mais néanmoins fréquent, qui se produit lorsque, face à une maladie potentiellement grave ou mortelle, l’état de santé réel du patient lui est caché par le corps médical et/ou l’entourage afin de modifier, atténuer, dissimuler la vérité du diagnostic et/ou du pronostic. L’emploi de ce procédé peut survenir à la demande de la famille et constitue une pratique courante dans certaines cultures.

Ce phénomène, appelé également « pacte du silence » ou « protection de l’information », reste répandu et représente un problème majeur à la prise en charge optimale des patients atteints de maladies graves.[1] De même, Serrano-Gemes et al. définissent la conspiration du silence comme un « accord explicite ou implicite entre membres de la famille, amis ou professionnels de santé afin de modifier les informations rapportées relatives à l’état de santé d’un patient ».[2] Ceci dans le but notamment de masquer ou minimiser des données sur un état de santé et parfois déformer la vérité quant au diagnostic, sa gravité et son pronostic. 

L’idée qui sous-tend l’utilisation de cette conspiration, considérée comme une faute professionnelle, est celle de vouloir créer une interprétation nuancée de la maladie par le patient, afin qu’il envisage une issue plus favorable. Il s’agit pourtant d’empêcher l’accès du patient à la réalité de son état de santé.

Plus fréquemment chez le patient âgé

Des données en Espagne indiquent que près de 79 % des patients hospitalisées en unité de soins palliatifs ignorent la vérité autour de leur état de santé, incluant le diagnostic, le pronostic et le la prise en charge thérapeutique. Il apparaitrait, au regard de la littérature, que plus le patient est âgé et atteint d’une pathologie grave, plus cette propension à taire ou à déformer la réalité est utilisée. [1,2,3,4]

Malgré le peu d’études sur le sujet, il semblerait qu’il s’agisse d’un phénomène répandu, compte tenu de sa forte incidence, en lien avec l’augmentation des maladies chroniques dégénératives consécutives à l’allongement de la durée de vie. Cette pratique peut entrainer des conséquences néfastes dans le triptyque patient/entourage/corps médical. L’adhésion du patient à sa prise en charge médicale pourrait s’en voir altérée, celui-ci n’ayant pas tous les éléments de sa condition portés à sa connaissance.

Facteurs favorisant le recours au pacte du silence

Il est essentiel, en tant que personnel de santé, que nous nous questionnions autour de la mise en place de ce pacte du silence et que nous abordions les raisons invoquées à son utilisation. Ainsi, plusieurs facteurs favorisent le recours à ce procédé :

  • Premièrement, le désir, de la part des proches et du corps médical, de protéger le patient de l'impact émotionnel engendré par l’annonce d’une maladie grave et d’éviter ainsi les souffrances qui en découlent. Effectivement, dans l’imaginaire collectif, l’annonce d’une maladie grave entraîne une perte d’espoir, une majoration de la détresse psychologique, une progression plus rapide de la maladie et donc de la mort. C’est ce dont l’utilisation de la conspiration du silence souhaite se préserver.

  • Ensuite, le besoin d'autoprotection des membres de la famille et du personnel de santé, cherchant à éviter un phénomène de transfert et de s’éloigner des réactions émotionnelles du patient, auxquelles ils ne sauraient faire face.

  • De plus, beaucoup de médecins n’ont pas reçu de formation spécifique adéquate à l’annonce d’une maladie grave et ne sont pas à l’aise avec la transmission de ces informations. Il leur est donc difficile de se prononcer sur des pronostics exacts et de communiquer autour des sujets de la maladie et de la mort, encore et toujours très tabous.

  • Enfin, il peut exister un sentiment d’échec de la part des médecins à ne pas pouvoir proposer d’autres alternatives thérapeutiques au patient face à sa pathologie. Un médecin est formé à guérir et non à accompagner vers la mort. Par ailleurs, certains s’imaginent qu’il est plus simple d’avoir un patient ignorant sur sa maladie et son pronostic, qu’un patient qui connaisse sa condition et qui serait plus enclin de fait, à perdre espoir.

Contraire à l’éthique

La conspiration du silence est contraire au principe éthique de l'autonomie du patient, à savoir, la possibilité de disposer soi-même de sa santé et de choisir les options qui correspondent à ses souhaits, ses valeurs ou ses projets de vie.

Afin d’éviter l’utilisation de ce pacte du silence et de partager des informations précises, véridiques et compréhensibles avec le patient, Anthony Tuckett énumère les principales raisons éthiques.[3]

  1. Enoncer la vérité constitue un précepte moral et universel.

  2. Par le principe d’autonomie, l’individu, donc le patient, a droit à la transmission de toutes les informations concernant sa santé, lui permettant ainsi de prendre des décisions selon son libre arbitre.

  3. En ayant toute connaissance de sa condition, le patient peut contribuer plus efficacement au traitement.

  4. La transmission d’informations au patient sur sa condition réduit le sentiment d’abandon ou de déception envers son entourage ou ses équipes soignantes. Dans la plupart des cas, le patient perçoit un changement d’attitude chez ses proches et chez le corps médical lorsque la dissimulation ou de la déformation de l’information est amorcée.

Situations particulières

Des situations particulières peuvent cependant se présenter. Par exemple lorsque le patient ne souhaite pas connaitre la vérité concernant son état de santé en « évitant les informations ou en les niant ». Peut-on considérer cela comme une conspiration du silence ? Il semblerait que non, puisqu’il n’existe pas d’omission ni d’inexactitude sur la conformité des informations, mais plutôt un refus émanant directement du patient. La problématique apparait donc comme différente, celle du désir rapporté du patient à ne pas savoir.

De même, il convient de mentionner la contrepartie majeure au fait de ne pas utiliser la conspiration du silence, à savoir la brutalité informationnelle, qui se produit lorsque les renseignements médicaux sont transmis de manière excessivement détaillée, émaillés de nombreux termes techniques, souvent incompréhensibles pour le patient. L’utilisation d’un vocabulaire très spécifique fait partie des pratiques courantes permettant au médecin d’informer le patient sans savoir s’il est en mesure de comprendre l’intégralité de ce qui lui a été partagé. Sans une approche correcte et adéquate, la brutalité de la réception de l'information peut être tout aussi nocive.

Annoncer les « mauvaises nouvelles » protocole de Buckman

En omettant des informations au patient, on lui enlève la possibilité d'affronter la maladie, le deuil et on lui impose une sorte de fermeture spirituelle, un barrage aux problèmes qu'il aurait voulu résoudre. 

Si le patient dispose de toutes les informations concernant sa pathologie, il peut décider de la manière dont il souhaite aborder les modalités thérapeutiques, antalgiques, et le pronostic. Et, dans certains cas, il peut choisir la façon dont il préfère passer la dernière étape de sa vie, dans le respect de ses convictions et de ses valeurs. 

Une « mauvaise nouvelle » peut être définie comme « toute information qui affecte négativement et sérieusement la vision qu'un individu a de son avenir » et la communication autour de celle-ci n’est jamais aisée.

Dans cette mesure, le protocole de Buckman et al., proposé chez des patients atteints de cancer, recommande d’aborder l’annonce d’une mauvaise nouvelle en six étapes, selon l'acronyme EPICEE (SPIKES)[4]

  • Environnement (planifier un entretien dans un cadre dédié, préparation personnelle du médecin, du patient, si besoin de sa famille).

  • Perception du patient sur son état (s’informer des connaissances du patient sur sa condition, sur ce qu’il a envie de savoir)

  • Invitation à recevoir des informations.

  • Connaissance (délivrer les informations et s’informer sur comment elles ont été reçues).

  • Exploration des sentiments qui découlent de cette annonce (étapes : acceptation du déni etc.).

  • Stratégies futures : proposer un autre entretien si le déni est très marqué, proposer des modalités thérapeutiques, antalgiques, un support psychothérapeutique.

Il apparaît donc important de définir clairement les informations délivrées au patient, lui permettant, ainsi qu’à ses proches, de réfléchir autour de ses doutes et d'analyser sa compréhension du diagnostic et du pronostic. 

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