Ne dites plus « ATU », dites « autorisations d’accès précoce ou compassionnel »

Hélène Joubert

Auteurs et déclarations

26 janvier 2023

Paris, France – La réforme 2021 de l’accès dérogatoire aux médicaments avait pour objectif de simplifier l’accès rapide aux traitements innovants à des patients en impasse thérapeutique, avant même leur mise sur le marché. A-t-elle convaincu ? Retour sur cette refonte, avec des experts de la question.

De 6 anciens régimes à 2 nouveaux

Les anciens régimes ont été regroupés en deux nouveaux (autorisations d’accès précoce-AAP et compassionnel-AAC) pour mieux accompagner la mise à disposition de produits innovants de façon précoce, sûre et équitable.

Dr Valérie Denux

« Le système ATU-RTU était assez complexe, composé de six régimes distincts (ATUn, RTU, ATUc, ATUel, Post-ATU, PECT- prises en charge temporaires post-AMM) », explique la Dr Valérie Denux, directrice Europe & Innovation à l’ANSM.

« L’idée était donc de simplifier le système d’accès aux médicaments, de le rendre plus homogène et plus lisible. La préoccupation était également de répondre à des besoins thérapeutiques non couverts, en favorisant l’accès à l’innovation. Par ailleurs, la réforme demande un recueil formalisé et systématique pour l’accès précoce des données en vie réelle de ces produits de santé prescrits de manière dérogatoire. Grâce aux protocoles d’utilisation thérapeutiques (PUT), la Haute Autorité de Santé (HAS) collecte des données en vie réelle, notamment celles estimées par le patient lui-même (via des PROMS). »

Quelle différence entre accès précoce et compassionnel ?

Une partie des médicaments innovants sont, au départ, délivrés dans le cadre d’un accès compassionnel, donc individuel et de manière très précoce, ceci même si les données issues des essais cliniques sont encore incomplètes à ce stade.

Kévin Fournier

« Cet accès répond à une urgence, confirme Kevin Fournier, chef du pôle accès précoce et compassionnel - Direction Europe et Innovation (ANSM), pour des patients en impasse thérapeutique et sur la demande d’un professionnel de santé pour un patient donné. Il s’agit donc d’une prescription nominative. Puis, lorsque les données sont suffisamment étoffées du point de vue clinique et non clinique selon l’ANSM (essais cliniques de phase 3 concluants, par exemple) et que le produit de santé répond également aux critères de la HAS comme son caractère innovant, l’industriel dépose une demande d’accès précoce, afin que le produit de santé puisse être suivi, via son PUT, avec les nouveaux critères de la HAS, notamment en vie réelle. A l’issue, ce suivi permettra de faciliter sa mise sur le marché et son remboursement. Ceci afin de bénéficier au plus grand nombre et que sa prescription soit ouverte de manière plus générale. Il s’agit alors d’une mise sur le marché, selon des conditions de prescription particulières. »

 

L’accès compassionnel en détail

L’accès compassionnel (prescription nominative) remplace les anciennes ATUn (autorisation temporaire d’utilisation nominative) et RTU (recommandation temporaire d’utilisation). Il existe donc deux types d’accès compassionnel.

L’autorisation d’accès compassionnel pour un patient donné (AAC) concerne les médicaments non destinés à être commercialisés dans l’indication concernée, sans développement en cours/prévu et sans démarche en vue d’une AMM.

L’autorisation d’accès compassionnel concerne les médicaments en développement dans une indication considérée. Cet accès est possible sur demande d’un professionnel de santé hospitalier, après validation de l’ANSM et accord de l’industriel de mettre son produit à disposition dans ce cas particulier.

 

Le cadre de prescription compassionnel (CPC) correspond à la formalisation d’un usage hors AMM d’un médicament à la suite du signalement par le ministère, l’Institut national du cancer, les conseils nationaux de professionnels, les associations de patients agréées ou encore l’auto-saisine de l’ANSM.

« L’objectif est alors d’harmoniser et de cadrer les pratiques sous la bannière d’un cadre de prescription compassionnelle ; le CPC permettant une mise à disposition encadrée du médicament au sein d’une population qui n’était pas concernée par l’indication initiale de l’AMM », justifie le Dr Denux.

L’accès précoce en détail

L’accès précoce remplace les ATUc (autorisation temporaire d’utilisation de cohorte), ATUei (autorisation temporaire d’utilisation d’extension d’indication), post-ATU (post-autorisation temporaire d’utilisation) et PECT (prise en charge temporaire).

L’accès précoce concerne les médicaments destinés à être commercialisés dans l’indication concernée, présumés innovants, présentant des données cliniques ou en cours de recueil.

Cet accès peut alors se faire sur demande du laboratoire avant l’AMM ou juste après son obtention et la décision revient à la HAS après avis de l’ANSM sur le rapport bénéfices/risques.

Les délais pour bénéficier d’un médicament sont ainsi raccourcis grâce à l’accès précoce : « dans un délai de trois mois à compter de la recevabilité du dossier, le laboratoire saura si son produit obtient une autorisation d’accès précoce. Il devra alors le mettre à disposition des patients dans les deux mois ».

 
Dans un délai de trois mois à compter de la recevabilité du dossier, le laboratoire saura si son produit obtient une autorisation d’accès précoce. Il devra alors le mettre à disposition des patients dans les deux mois.
 

 

HAS, ANSM… qui fait quoi ?

L’ensemble des procédures ayant trait au protocole compassionnel relève du champ de l’ANSM.

En revanche, pour l’accès précoce, la HAS et l’ANSM interviennent conjointement. Avant l’AMM, l’accès précoce, l’ANSM évalue la balance bénéfices/risques. Pour sa part, la HAS (la commission de la transparence puis le Collège) applique ses propres critères, à savoir le caractère innovant du produit de santé, la réponse à un besoin de santé publique, etc.

Concernant les autorisations d’accès précoce post-AMM, seule la HAS est décisionnaire, sur la base d’une décision portant sur le caractère grave, rare ou invalidant de la maladie, la nécessité de ne pas différer l’instauration du traitement chez un patient, l’existence d’autres thérapeutiques médicamenteuses dans la même indication, etc.

Un bilan positif

« Selon les retours d’expérience de la part des industriels, des professionnels de santé, et des associations de patients, recueillis par l’ANSM en novembre 2022, tous se disent satisfaits de la réforme.

Les dossiers d’accès précoce ont fortement progressé et les demandes d’accès compassionnel (initiations et renouvellement confondus) sont passées de 25 000 en 2019 à plus de 64 000 en 2022, soulignant un intérêt marqué des professionnels et des industriels. »

En 2021-2022, l’ANSM, a rendu son avis sur le rapport bénéfices/risques en 50 jours en moyenne, voire, pour certains produits « urgents », en quelques jours » explique Kevin Fournier. On observe donc un raccourcissement des délais de traitement.

 
Selon les retours d’expérience de la part des industriels, des professionnels de santé, et des associations de patients, recueillis par l’ANSM en novembre 2022, tous se disent satisfaits de la réforme.
 

Des progrès restent à faire

« Le retour d’expérience de novembre 2022 a montré qu’il est encore nécessaire de faciliter l’appropriation de la réforme et l’optimisation des outils. L’application e-Saturne par exemple, qui permet de réaliser les demandes d’accès compassionnel, est en cours de refonte afin de faciliter et d’accélérer le traitement des demandes », explique la Dr Valérie Denux. Une nouvelle version devrait être mise en service au premier trimestre 2023.

Pour sa part, Kevin Fournier indique : « la simplification du recueil de données sur le terrain sera également un défi de taille à relever, que tous les acteurs impliqués dans les accès dérogatoires devront porter. Des travaux sont déjà en cours sur le volet des maladies rares et devraient aboutir en 2023. »

 

Trodelvy®, médicament emblématique des dossiers de demande d’accès dérogatoire
Le traitement contre le cancer sein Trodelvy®, (médicament qui multiplie par deux la survie globale des patientes) est emblématique des dossiers de demande d’accès dérogatoire, qui concernent à plus de 50 % la cancérologie, illustre Isabelle Yoldjian, directrice de la direction médicale médicaments, dans une communication de l’ANSM. «

Il est l’exemple des raisons pour lesquelles l’accès précoce à un médicament peut être essentiel : autorisé sur le marché aux États-Unis depuis avril 2020, le Trodelvy ®est prescrit à des femmes jeunes atteintes d’un cancer du sein dit "triple négatif".

Mais ni en France, ni en Europe, les femmes éligibles ne devaient pouvoir en bénéficier avant la fin de l’année 2021, le laboratoire ne pouvant le mettre à leur disposition avant, compte tenu de la complexité de sa fabrication. S’il est un marqueur de cette réforme, c’est qu’il a été l’un des tout premiers à obtenir une autorisation d’accès précoce dans des temps réduits, avec une demande déposée le 28 juillet et une autorisation accordée le 2 septembre 2021.

Cette rapidité est le résultat de mois de mobilisation en amont de la part de nos équipes. En fin d’année 2020, dans le cadre de l’ancien système d’accès dérogatoire, nous avions accordé 64 ATU nominatives. En février 2021, en lien avec les associations de patients et les professionnels de santé, nous avons œuvré auprès du laboratoire et réussi à obtenir quelques lots complémentaires. Début juin, nous avons alors mis en place un dispositif inédit, dit “roulant”, permettant le transfert du traitement des femmes, devenues inéligibles en raison de la progression de leur maladie, à de nouvelles patientes.

Près de 150 patientes ont pu y accéder. Afin d’élargir l’accès au Trodelvy® à l’ensemble de la population cible, estimée à environ 1 500 françaises, nous avons convaincu le laboratoire de déposer fin juillet une demande d’accès précoce, en parallèle de sa demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) en Europe. Notre évaluation du bénéfice/ risque était déjà faite, nous avons pu transmettre notre avis favorable à la HAS en 8 jours. Résultat : le 2 septembre 2021, le Collège de la HAS a autorisé l’accès précoce au Trodelvy®. Ce dernier a pu démarrer le 2 novembre, presque un mois avant la délivrance de l’AMM par la Commission européenne le 22 novembre 2021. »

 

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