La dyspareunie féminine dans tous ses états

Hélène Joubert

Auteurs et déclarations

24 janvier 2023

France – La dyspareunie, symptôme charnière entre la gynécologie et la sexologie, est la perception d’une douleur lors de la pénétration vaginale et/ou due aux mouvements coïtaux. D’ailleurs, il serait plus juste de parler de dyspareunies au pluriel, tant cela regroupe une variété de pathologies à la fois organiques mais aussi psychologiques. Ces deux versants des dyspareunies étaient explorés aux Journées francophones de sexologie et de santé sexuelle (JE3S ; 8-10/09/22, Montpellier) [1]. L’éclairage des Drs Carine Martin et Patrick Leuillet, gynécologues médicaux et sexologues.

Les dyspareunies, des entités à la limite de la psyché et du soma

La dyspareunie est un trouble lié à des douleurs génito-pelviennes ou à la pénétration et qui existe depuis 6 mois, selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux et des troubles psychiatriques (DSM5).

« Il est ainsi mentionné dans une même entité le vaginisme, la vulvodynie et la dyspareunie, d’où une source probable de confusion », fait remarquer le Dr Carine Martin, gynécologue médicale et sexologue, responsable pédagogique DIU de Sexologie - Étude de la sexualité Humaine (Faculté de Lille).

Le préfixe « dys » pour « difficulté » renvoie à « algo » douleur et « pareunie » à accouplement. Les dyspareunies sont scindées en deux grandes entités décrivant soit une douleur à l’intromission ou superficielle, soit une douleur profonde. De plus, elles peuvent être primaires ou secondaires. Elles sont fréquentes, et concerneraient 10 à 40 % des femmes selon les études [2].

« Une fréquence plus réaliste se situe probablement autour de 20 %, c’est-à-dire une femme sur cinq », précise-t-elle. Les périodes à risque de dyspareunie d’intromission sont le début de la sexualité, le post-partum et la ménopause, avec parfois une insuffisance ovarienne prématurée [3].

 
Une fréquence plus réaliste se situe probablement autour de 20 %, c’est-à-dire une femme sur cinq.
 

Du fait de leurs multiples conséquences, ces douleurs requièrent une prise en charge spécialisée. En effet, les dyspareunies peuvent « contaminer » les autres phases de la réponse sexuelle, génèrent également une anxiété anticipatoire, des troubles du désir et de l’excitation, des difficultés de lâcher-prise au risque d’une anorgasmie, une sècheresse vaginale, des troubles de la réceptivité sexuelle, un travail d’intégration inconscient de la douleur lors des rapports sexuels… « et, de ce fait, encore plus de dyspareunies ! complète le Dr Martin. Un cercle vicieux s’installe. Il faut rappeler en préambule aux patientes que c’est normal de ne pas désirer un moment dont on sait qu’il sera douloureux ».

Outre ces conséquences, les dyspareunies sont souvent responsables de l’éloignement des protagonistes. La femme évite le rapport douloureux. Avec moins de séduction et de féminité, elle cherche à ne pas plaire, déploie des conduites d’évitement.

Les dyspareunies, un motif fréquent de consultation

 « A nous, soignants, de nous éloigner de la plainte pour entrer dans l’histoire de la patiente afin de comprendre le symptôme, par le biais d’un échange plutôt que d’un interrogatoire, poursuit l’experte. Celui-ci devra balayer l’histoire médicale (antécédents médicaux et chirurgicaux, traitements passés ou en cours, le type de contraception, les suivis en cours, les événements douloureux en sachant "doser" le côté intrusif). »

La vie affective doit être abordée, sur la situation de la femme (en couple ou non, et si oui depuis combien de temps), l’entente et la communication entre les partenaires.

Les symptômes doivent être précisés, portant sur la réalité de la dyspareunie (vaginisme, vulvodynie…) et sur le type (intromission, douleur en dehors de la pénétration vaginale…). Enfin, des symptômes associés doivent être recherchés, au niveau de la vulve, du vagin, d’éventuelles pertes, des troubles urinaires (cystites…), des troubles digestifs (une tendance à la constipation…), des dysménorrhées, etc.

Ensuite vient le moment d’aborder la sexualité, en commençant par préciser si la dyspareunie est un trouble primaire ou secondaire, son ancienneté, sa localisation « à l’entrée ou au fond », sa manifestation éventuelle avec d’autres partenaires, les dépistages des IST, etc. le médecin doit faire préciser à la patiente le déroulé du cycle de réponse sexuelle (désir, plaisir, orgasme, douleur…), sur le moment exact de survenue de la douleur, en relation (ou non) avec une certaine durée de pénétration, la fréquence des rapports sexuels, etc.

Une question majeure à poser est l’adaptation de la femme à la situation : « je sers les dents... », « j’arrête tout contact physique », « stimulations et caresses externes sans pénétration avec beaucoup de plaisir »…

Comment explorer la douleur génitale féminine ?

L’examen clinique, proposé et non imposé, est réalisé avec bienveillance, respect, et toutes les précautions possibles. Le soignant applique ces trois principes : communiquer, expliquer, rassurer. La femme doit avoir la possibilité de se déshabiller à l’abri des regards et porter un linge [4].

Ensuite, la cartographie des zones douloureuses permettra d’identifier une dyspareunie d’intromission ou profonde. A cette fin, l’observation de la vulve est essentielle, comme le toucher vaginal à un doigt (si profession autorisée), puis, si cela est envisageable, la pose d’un speculum, le plus petit possible. Le professionnel de santé doit évaluer la possibilité d’une échographie pelvienne, apprécier la flore vaginale et proposer un dépistage (chlamydia, gonocoque, ECBL).

En résumé, l’examen clinique des dyspareunies comprend la vulve, le vestibule, la flore vaginale, les muscles périvaginaux et leur tonicité, le bassin osseux, les charnières, les douleurs pelviennes et, plus largement l’examen de la douleur génitale, la sphère vésico-urinaire, la sphère anorectale et digestive, les veines, les nerfs, et enfin l’état général (IMC, aspect dermatologique général : psoriasis, eczéma, lésions buccales...).

Les examens paracliniques (échographie et IRM pelviennes) sont indispensables dans les dyspareunies profondes et parfois utiles dans les dyspareunies d’intromission.

« Les dyspareunies profondes sont génératrices de dyspareunies d’intromission mais pas l’inverse, rappelle le Dr Martin. En effet, à force de subir des pénétrations douloureuses, une hypertonie musculaire s’instaure, d’où l’apparition de dyspareunies d’intromission secondaires à des dyspareunies profondes. Par ailleurs, les dyspareunies profondes peuvent évoluer vers des vulvodynies. »

 
Les dyspareunies profondes sont génératrices de dyspareunies d’intromission mais pas l’inverse.
 

Dyspareunies d’intromission : quels examens ?

Dyspareunies profondes : quels examens ?

OP : Oestroprogestative

« La sexualité coïtale doit être fortement déconseillée en cas de douleur à la pénétration, en attendant de trouver une solution, avertit le Dr Martin. Le professionnel de santé doit inviter la patiente à développer la sensorialité, la sensualité, à restaurer les autres moments de la sexualité, à envisager la peau comme premier organe de communication, et peut proposer le Sensate Focus [5], une méthode de relaxation thérapeutique afin de susciter un plaisir partagé. »

 
La sexualité coïtale doit être fortement déconseillée en cas de douleur à la pénétration, en attendant de trouver une solution.
 

Le volet psychogène des dyspareunies

« Le diagnostic d’organicité reste le pivot de la cure, il renvoie dans un premier temps la consultation sur le terrain de la clinique gynécologique habituelle en laissant de côté la plainte d’ordre érotique – sans pour autant la sous-estimer. Il faut savoir néanmoins que lorsqu’une femme consulte pour dyspareunie, ce symptôme peut prendre un tout autre sens (conscient ou inconscient), avance le Dr Patrick Leuillet, médecin gynécologue, sexologue, sexothérapeute et directeur d’enseignement des DIU de Sexologie et d’Étude de la Sexualité Humaine d’Amiens. Surtout si la dyspareunie persiste depuis plusieurs mois voire plusieurs années. »

Lorsqu’une femme consulte pour dyspareunie, elle cache bien souvent sa plainte derrière d’autres termes et d’autres plaintes et la douleur semble être, pour certaines, le seul symptôme « présentable ».

Toute la pathologie génitale lésionnelle ou sine materia est prise obligatoirement, dès qu’elle dure, dans un système complexe de résonance individuelle et conjugale, qui prend parfois le pas sur le point de départ qui n’est alors plus qu’une épine irritative (ou même le souvenir de l’épine), selon son histoire singulière, ses croyances, ses idées sur la féminité, le couple, la fertilité, la place de la sexualité.

Il n’est pas inutile de rappeler que l’être humain vit d’abord dans un corps imaginaire avant d’être physique, investi de significations et de valeurs avec lesquelles il intègre le monde en lui et s’intègre lui-même au monde. C’est pourquoi chaque organe et chaque maladie interpellent à la fois l’imaginaire collectif et l’imaginaire individuel, et se réfèrent à une symbolique singulière et aux fantasmes liés au corps. De fait, la partie du corps malade met l’imaginaire de chacun au travail et raconte quelque chose de lui-même.

Par conséquent, « tout symptôme sexuel est un « mot de passe », une « carte de visite » en sexologie pour entrer en lien avec le thérapeute, affirme le Dr Patrick Leuillet : la douleur « proposée », « exposée » au thérapeute. La sexualité féminine et son épanouissement dans le plaisir est un long chemin nécessitant un apprentissage psychocorporel dans un contexte plus général d’autorisation de la femme elle-même au plaisir, contexte dans lequel figurent la nécessité de prise de pouvoir de l’intelligence sur l’instinct, et probablement la nécessité de transgression de la « loi » de la douleur, lot des femmes et héritage du passé culturel. Les menstruations, la défloration, l’accouchement ; tout ce que Freud a appelé le roc du biologique de la douleur annoncée. »

Les dyspareunies psychogènes... La quête du sens

La lecture psychogène s’appuie sur le continuum vivant de la construction de la sexualité féminine, considérée comme évolutive de la naissance à la mort et sensible aux événements de vie et de l’expérience. Dans les dyspareunies psychogènes, « on peut distinguer les problématiques psychosexuelles, les conflits conjugaux et/ou relationnelles, les syndromes dépressifs et les état névrotiques, résume Patrick Leuillet. Le plus souvent, les dyspareunies psychosomatiques sont névrotiques par réactivation de souvenirs de traumatismes dans l’enfance ou lors des premiers rapports sexuels. »

 
Le plus souvent, les dyspareunies psychosomatiques sont névrotiques par réactivation de souvenirs de traumatismes dans l’enfance ou lors des premiers rapports sexuels.
 

 

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