Étude de cas : de quoi souffrait ce prince anglais ?

Dr Thomas Kron

Auteurs et déclarations

30 janvier 2023

Un éminent militaire de carrière présentait depuis plusieurs années une maladie chronique caractérisée par des épisodes répétés. On suspecte les conséquences d'une blessure de guerre ou bien celles d'une dysenterie chronique, mais des scientifiques britanniques remettent en cause  ces hypothèses. De quelle maladie, qui s’est avérée fatale, cet homme de l’Histoire surnommé le « Prince Noir », souffrait-il ?

Le patient et son histoire

Il s'agit d'Édouard de Woodstock, né en 1330, plus connu sous le nom de « Prince Noir ». Il a débuté sa carrière militaire très jeune, avec un baptême du feu à l'âge de 16 ans lors de la fameuse bataille de Crécy (en 1346, durant la guerre de Cent Ans).

Sa maladie chronique aurait commencé après sa victoire à la bataille de Nájera en Espagne en 1367, selon l'expert militaire britannique James Robert Anderson et ses collègues.[1] Édouard se reposait alors dans la ville de Valladolid, au nord du pays : nous sommes au début de l'été et la vie est dure pour les soldats. Selon les auteurs, une chronique raconte que jusqu'à 80% des hommes du Prince mourront de dysenterie et d'autres maladies (Dont moult endura de destrois [détresse]/Son ost [armée], et de soif et de fain,/Par defaute de vin et pain).

Le périple d'Édouard, d'Espagne jusqu'en France, est d'ailleurs relaté par le poète Chandos le Héraut dans sa Vie du Prince Noir. On y lit : 

Assez tost après ce avint

Que à Angouleme logier vint

Lui noble Prince d'Aquitaine ; 

Et là, c'est bien chose certaine, 

Li comencea la maladie 

Qui puis dura toute sa vie. 

Avant le siège de Limoges en 1370, son état est tel qu'il doit garder le lit (« si malade qu'il se gisoit »). En 1372, alors que la tentative de libération de Thouars échoue, le Prince Noir embarque pour sa dernière campagne, signe selon les auteurs britanniques d'une possible amélioration de ses symptômes gastro-intestinaux. Pour les années 1374-75, pratiquement rien n'est connu des actions militaires d'Édouard, ce qui évoque une possible résurgence de sa maladie. Sa santé se détériore gravement en avril 1376. Il décèdera le 8 juin.

Hypothèses diagnostiques et discussion

De quelle maladie souffrait le Prince Noir et à quoi a-t-il succombé ? Selon le Dr Anderson et ses co-auteurs, [1]  il est peu probable qu'il soit mort, comme on le pense généralement, des suites d'une dysenterie chronique comme la dysenterie amibienne, très répandue dans l'Europe médiévale. Les infections à Entamoeba histolytica sont généralement asymptomatiques, mais peuvent entraîner une amibiase intestinale (dysenterie amibienne) et/ou un abcès amibien (amibiase extra-intestinale). Outre la fièvre et les symptômes généraux, l'amibiase intestinale se caractérise par des diarrhées glaireuses et sanglantes. Les cas de chronicité sont rares, même s'il existe un risque élevé de récidive.

Selon les auteurs, il est peu probable qu'un Prince Noir souffrant de diarrhée chronique eusse été en état de voyager en bateau, pour peu qu'il ait été le bienvenu à bord par ailleurs. Il y a quelques années, des doutes sur l'hypothèse d'une dysenterie chronique ont également été émis par l'historien David Green. Dans le Journal of Medieval History, [2]qui s'est fait une spécialité de l'histoire du Prince Noir, David Green penche pour d'autres maladies, comme une fistule, une inflammation rénale ou une cirrhose, seules ou associées.

Selon le Dr Anderson, un autre « candidat » à la maladie chronique du Prince pourrait être une maladie inflammatoire chronique de l'intestin (MICI). Il est même possible que des complications de cette maladie soient apparues, comme une fistule périanale. Le fait que le chirurgien John Arderne, qui aurait été en campagne en France à la même époque qu'Édouard, ait écrit en 1376 un traité sur les maladies proctologiques ( Treatises of fistula in ano, haemorrhoids, and clysters ) [3  ]a de quoi mettre la puce à l'oreille, mais il n'est pas certain qu'il ait traité le Prince Noir.

La brucellose pourrait également être une cause de la maladie d'Édouard. Elle était très répandue dans l'Europe médiévale et on sait que lors des campagnes militaires, seule la noblesse recevait certains aliments qui pouvaient être contaminés par l'agent pathogène de la brucellose.

Le paludisme pourrait également être suspecté. Au 14e siècle, l'écrivain Geoffrey Chaucer parle d'une fièvre tertiaire (se manifestant tous les trois jours), une possible référence au paludisme, notamment à son agent pathogène, Plasmodium vivax, qui était très répandu dans la France et l'Espagne médiévales. Selon le Dr Anderson, l'évolution fluctuante de la maladie d'Édouard et sa détérioration croissante vers la fin de sa vie pourraient correspondre au paludisme. 

Conclusion

Le Prince Noir a finalement succombé à une maladie et non à une blessure de combat, en dépit d'une vie passée presque continuellement à guerroyer. Plusieurs infections ou maladies inflammatoires pourraient être à l'origine de son décès, notamment le paludisme, la brucellose, des MICI ou encore des complications à long terme d'une dysenterie aiguë. Une dysenterie chronique est toutefois très improbable.

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