Le cri est une forme de communication à la fois élémentaire et complexe qui reflète et évoque un large éventail d'émotions. Quels sont les différents types de cris ? Quels bénéfices mental et physique peuvent-ils apporter ? Le point avec le Pr Harold Gouzoules (Université Emory, Atlanta. É.-U.).
Titulaire d'une maîtrise en psychologie et d'un doctorat en zoologie, le Pr Harold Gouzoules étudie les cris des animaux et des humains depuis 40 ans. Il est certainement l'une des personnes qui a consacré le plus de temps à analyser ce type d’interaction entre les êtres vivants. Il a accumulé une audiothèque de dizaines de milliers de cris. Les nouveaux étudiants du département de psychologie où il enseigne et procède à ses recherches, sont d’ailleurs sensibilisés dès leur arrivée au risque d’être confrontés à des sons particulièrement troublants...
Différents types de cris humains (source : Harold Gouzoules)
Les cris sont la plupart du temps le signe d’une situation dramatique : si vous êtes en colère, si vous avez besoin d'aide, lorsque vous avez peur ou êtes en extase… vous criez ! Si un proche pousse un cri dans une autre pièce de la maison, vous accourrez… pour le secourir, pour entendre la bonne nouvelle ou pour voir l'araignée qui l’effraie. Le cri reflète et évoque donc un large éventail d'émotions.
Si le cri sous toutes ses formes est avant tout instinctif, plusieurs modèles permettent de perfectionner son interprétation. Le cinéma a élevé le cri au rang d'art avec les « Scream Queens », comme Janet Leigh dans Psychose ou Jamie Lee Curtis dans Halloween. Les spectateurs, dans la salle de cinéma, crient d’ailleurs au même moment, en participant à une scène qu’ils « comprennent » sans vraiment la vivre. Et qu'en est-il des moments où il est tout à fait acceptable de se laisser aller en compagnie d'autres personnes ? Que ce soit dans un stade (le bruit de foule le plus intense ― 142,2 décibels ― a été enregistré au Arrowhead Stadium de Kansas City lors d’un match de football américain) ou dans une salle de concert (Roger Daltrey, du groupe The Who, offre un des plus grands cris du rock 'n’roll avec la chanson "Won't Get Fooled Again".)
Tant de cris différents : que signifient-ils ?
Harold Gouzoules a été attiré par la recherche sur les cris alors qu'il effectuait son post-doctorat à l'Université Rockefeller sous la houlette du spécialiste des neurosciences, Peter Marler, qui étudiait la communication animale. Gouzoules travaillait alors avec des singes rhésus et plus spécifiquement sur leurs diverses vocalisations émises lors de disputes ou à titre d’avertissement pour leurs congénères. Ses premières analyses l’ont ensuite conduit à l'étude des cris humains, qui sont beaucoup plus diversifiés et qui ― bien que pouvant s’inscrire dans un comportement universel ― restent un « trou noir » de la compréhension comportementale.
Le chercheur a étudié six grands contextes qui sont prétextes à des cris chez les humains : la peur, la douleur, la surprise, le bonheur, colère ou l’agression, la frustration ou le malheur.
La peur : c'est le type de cri le plus habituel chez l’homme et probablement le premier dans notre répertoire évolutif. Ces cris exigent une grande force vocale et font vibrer les cordes vocales de manière chaotique et peu incohérente. Un cri de peur est intense, fort, perçant et inattendu. Il est conçu pour effrayer un prédateur, que ce soit un tigre aux dents acérées ou un méchant dans un film de super-héros. Il permet aussi d’attirer l'attention. Lorsque vous n'avez plus d'autres options, le cri de peur est la dernière tentative désespérée de l'évolution pour tenter de s'échapper.
La douleur : ce type de cri renvoi à la notion d'agonie. « Il est plus profond, plus guttural et plus grave qu'un cri de peur », explique Harold Gouzoules. Il peut s'agir d'un appel au secours ou d'une expression vocale plus intime, d'une blessure physique ou mentale.
La surprise : les cris de surprise, aussi appelés de « sursaut », ont tendance à être courts et acoustiquement peu complexes, comparés aux autres cris. Pensez aux vidéos où quelqu’un est déguisé en buisson ou en statue et s'anime soudainement : il fait sursauter le passant. Ou à votre réaction lorsque vous allumez la lumière au milieu de la nuit et que vous apercevez un cafard. Le cri largement involontaire qui en résulte est plus le reflet d’une surprise que d'une peur réelle.
Le bonheur : ce cri est également appelé cri « d'excitation » ; il a pour finalité de communiquer le plaisir. On l'entend par exemple lorsqu'on ouvre un cadeau, ou chez des adolescents ravis d’être présents dans une salle de spectacle et de voir leur idole sur scène. L’orgasme sexuel est lui aussi considéré comme un cri de bonheur.
La colère ou l’agression : ce cri survient généralement lorsque vous êtes furieux après quelqu'un. C'est l'agression verbale qui précède l'agression physique. Certains pourraient même utiliser le mot « rugissement », selon Harold Gouzoules. Le film récent « The Northman » illustre bien que ce type de cri caractéristique n'est pas forcément solitaire. Lorsque les Vikings partent au combat, ils crient tous ensemble. Selon David Poeppel, professeur de psychologie à l'université de New York et chercheur réputé dans le domaine des cris, ce comportement est un exemple de synchronisation. Il explique que lors d’actions de groupes ― qu'il s'agisse d'un match sportif ou d'une guerre ― les cris nous unissent, libèrent de l'adrénaline et contribuent à concentrer notre attention vers un finalité définie.
La frustration ou le malheur : ce type de cri est de nature agressive, souvent involontaire, et généralement dirigé contre soi-même ou contre une situation. On y trouve aussi de la colère, mais à un degré différent des autres catégories de cris. Pensez à un embouteillage : vous pouvez taper sur le volant et crier votre frustration.
Bien que ces cris soient les plus courants, ils n'ont pas de limites strictes. Ils peuvent se chevaucher. Ce qu’on observe sur les montagnes russes par exemple, est bien un mélange de peur et d'excitation. Un cri de douleur, lorsque vous êtes initialement blessé, peut se transformer en un cri de colère et de rage lorsque vous cherchez à vous venger.
Selon Harold Gouzoules, il existe « une palette émotionnelle riche de cris », dont certains ne sont peut-être pas encore découverts ou catégorisés...
Rôles et bénéfices du cri
Le cri en lui-même est fascinant, mais l'effet qu'il a sur les autres humains est également remarquable. Pourquoi les enfants crient autant ? Selon Harold Gouzoules, c'est un moyen de conditionner leurs parents à reconnaître les cris uniques de leurs enfants et, de ce fait, leur permettre d’être alertés plus facilement lorsqu’ils sont confrontés à une situation difficile.
De même, pourquoi les habitués des parcs d’attraction préfèrent se rendre dans les maisons hantées ou sur des manèges à sensations fortes en groupe plutôt que seuls ? Là encore, il semblerait qu'il s'agisse d’une mise en situation pour aider nos amis à savoir quand nous avons vraiment besoin d'aide. En effet, dans des conditions expérimentales, les participants sont incapables de faire systématiquement la différence entre les cris de peur et les cris de bonheur ou d'excitation, ce qui suggère que tous les cris attirent l'attention.
Mais les cris peuvent-ils aussi être utilisés de manière proactive pour améliorer la vie quotidienne ? Voici quelques domaines où des recherches expérimentales et comportementales suggèrent des applications :
Réduire le stress : la thérapie par le cri primal existe depuis plus de 50 ans, popularisée par diverses célébrités dont John Lennon dans son album John Lennon/Plastic Ono Band. Elle consiste essentiellement à remplacer les séances de psychothérapie conventionnelles par l'évacuation des émotions refoulées par des cris ou d'autres actions considérées comme primitives. Par exemple, dans le cabinet du thérapeute, au lieu de vous allonger sur le canapé, vous pouvez le frapper (le canapé) en hurlant. Cette approche est pour le moins controversée : Harold Gouzoules estime que la psychologie scientifique a discrédité la thérapie par cri primal, mais David Poeppel, pour sa part, pense que les cris ordinaires peuvent probablement fournir une libération émotionnelle de situations ou d'états anxieux, tout comme frapper un sac lourd ou pleurer un bon coup.
Augmenter la force musculaire : plusieurs études suggèrent que les cris rapides, forts et gutturaux pouvaient majorer la force physique. [1,2] Lorsque les participants effectuent des kiai , ces expirations brusques appelées cris de combats dans les arts martiaux (qui ne sont peut-être pas techniquement des cris selon la classification habituelle), leur force de préhension augmentent de 7 % par rapport à ceux qui ne font aucun bruit. Les auteurs supposent que l'expulsion rapide d'air ― comme on le voit souvent lors des services de tennis ou avant une frappe dans les sports de combat ― pourrait stabiliser le tronc et permettre à la force de se propager plus rapidement dans les membres. Le fait que ces sons semblent être involontaires pourrait appuyer cette hypothèse, mais les cris poussés au service au tennis pourraient aussi servir à éviter que l’adversaire analyse l’intensité du bruit de la balle contre la raquette. Une technique à essayer lorsque vous tenter d'ouvrir un bocal à cornichons ou de faire un dernier mouvement en haltérophilie.
Se motivier et améliorer les performances : le Haka est traditionnellement exécuté par les équipes de rugby de Nouvelle-Zélande avant un grand match. Cette danse de guerre cérémoniale maorie se caractérise par des chants et des cris de groupe particulièrement impressionnants pour les spectateurs. C'est un autre exemple d'équipes qui utilisent la synchronisation pour se motiver et intimider leurs adversaires, explique David Poeppel.
Optimiser les déclencheurs d’alarmes : les cris de peur ont une propriété auditive désignée sous le terme de « rugosité ». Il s'agit de la vitesse à laquelle le son change de volume ou d'amplitude. Les cris dont la rugosité est la plus élevée sont les plus terrifiants et attirent le plus d'attention. Ces phénomènes se produisent au sein de l'amygdale, la partie du cerveau qui régit la réaction de peur, comme l’explique David Poeppel. Des ingénieurs ont tenté de déterminer comment les alarmes de sécurité ou les sirènes d'urgence peuvent être modifiées pour y inclure plus de rugosité et, ainsi, obtenir des réactions plus rapides. « L’idée d'essayer de trouver d'autres déclencheurs acoustiques, comme la rugosité dans les cris, est très intéressante », selon David Poeppel. « Imaginez qu'il existe une liste d'attributs telle que si vous en entendez un, il pénètre dans votre cerveau et produit immédiatement un comportement spécifique... Les cris sont fondamentaux pour l’identité humaine, mais les connaissances sont encore limitées » pour les utiliser pleinement.
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Source image : Dreamstime
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Citer cet article: La science du cri - Medscape - 25 janv 2023.
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