POINT DE VUE

Anapath : une IA prouve son utilité dans le cancer du sein

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

20 janvier 2023

France, Israël — L'intelligence artificielle, demain meilleure amie de l'anatomopathologiste ? Des équipes de l'Institut Curie, du Macabi Healthcare Services, de Tel Aviv, et de la société israélienne Ibex, ont publié dans Nature-npj Breast Cancer les résultats prometteurs d’un algorithme d'intelligence artificielle (IA) de lecture de biopsies de cancers du sein. [1]

Grâce à l’apprentissage profond « deep learning » l’algorithme de l’IA, nommé Galen Breast, a été capable d'identifier 51 caractéristiques mammaires spécifiques.

Dans l'étude, les images de lames provenant de 436 biopsies mammaires ont été soumises en aveugle à l’algorithme. L'IA a produit des diagnostics (grade, stade, pronostic…) qui ont été confrontés à ceux réalisés par un duo de pathologistes experts du sein.

L'algorithme d'IA a été capable de bien différencier les sous-types de carcinomes invasifs et les différents grades de carcinomes in situ. Pour le diagnostic des carcinomes invasifs, la spécificité et la sensibilité de l'outil sont ressorties à 93,57 et 95,51% respectivement. Pour les carcinomes in situ, les chiffres étaient de 93,79% et 93,20%. Aussi, l’algorithme a permis d’identifier avec précision les facteurs pronostiques comme les lymphocytes infiltrant la tumeur (TIL) et l’invasion angiolymphatique, ainsi que des caractéristiques non cancéreuses comme la métaplasie cylindrique et les microcalcifications.

Pre Anne Vincent-Salomon

En France, les pathologistes sont encore loin d'utiliser de tels outils en routine. Medscape édition française a cependant demandé à la Pre Anne Vincent-Salomon, cosignataire et l'étude, cheffe du Pôle de Médecine Diagnostique et Théranostique et cheffe du service de pathologie de l'Institut Curie, de faire un point sur les perspectives de l'IA dans sa spécialité.

Que pouvez-vous nous dire de l’algorithme Galen Breast dont les performances cliniques viennent d’être publiées ?

Pre Anne Vincent-Salomon : L'outil que nous avons utilisé a été développé conjointement par la société Ibex et au Macabi Healthcare Services par le Dr Judith Sandbank. Il a été entraîné à partir d'une collection de 18 000 images. Judith Sandbank a « appris à l'IA comme on apprend à un interne », selon sa propre expression.

L'algorithme est robuste ; il a par exemple permis de surmonter les écarts de coloration des lames en France et en Israël, où les techniques de coloration sont différentes (hématoxyline-éosine-safran en France ; hématoxyline-éosine en Israël) et des images provenant de deux types différents de scanners (Philips en Israël et Hammamatsu à Curie).

Utilisé systématiquement en seconde lecture, l'outil nous a étonné. Il reconnaît de nombreux sous-types histologiques de cancers infiltrants du sein et en particulier les carcinomes lobulaires infiltrants.

Nous n'avons pas mesuré le taux de reclassification par rapport à la lecture humaine. Mais il a reconnu des lésions infiltrantes qui n'avaient pas été identifiées par les pathologistes, situation heureusement très rare en pratique diagnostique mais que l’on ne peut pas exclure compte tenu de la charge de travail des pathologistes.

Aussi, quand il s'agit de grader les carcinomes in situ, par exemple, l’algorithme permet de très bien repérer les carcinomes in situ non de haut grade. Ceci représente une perspective intéressante compte tenu des essais de désescalade thérapeutique pour les carcinomes in situ non de haut grade.

 
Il reconnaît de nombreux sous-types histologiques de cancers infiltrants du sein et en particulier les carcinomes lobulaires infiltrants.
 

Pour les pathologistes, quel serait l'intérêt d'un tel outil ?

Pre Anne Vincent Salomon : Le travail des pathologistes est malheureusement peu connu des patients.

A titre indicatif, l'Institut Curie, qui prend en charge chaque année quelques 3800 femmes atteintes de cancer du sein, emploie 11 pathologistes à Paris, et 8 à Saint-Cloud.

Aujourd'hui, la lecture d'une microbiopsie de sein demande 45 minutes, temps d’analyse de l'immuno-histo-chimie compris, et l'analyse d'une pièce opératoire demande 1h à 1h30, parfois plus si la cartographie des lésions est complexe à établir.

Tandis que la classification des cancers se précise et que le nombre de paramètres nécessaires pour la prise en charge thérapeutique des patientes augmente, la charge de travail devient plus lourde, comme dans d'autres spécialités, d'ailleurs.

Dans ces conditions, l'IA permettrait de guider le travail du pathologiste en effectuant un premier screening, et de valider son interprétation par une double lecture. L'outil permettrait d'optimiser le travail, de le rendre plus fluide et d'harmoniser les lectures humaines. C’est ce que nous espérons en tout cas !

 
L'IA permettrait de guider le travail du pathologiste en effectuant un premier screening, et de valider son interprétation par une double lecture.
 

La lecture des biopsies fait partie des applications médicales privilégiées de l'IA. Où en est cette technique aujourd'hui en France ?

Pre Anne Vincent-Salomon : Le couplage de l'IA avec le travail des pathologistes suppose en premier lieu la numérisation complète des laboratoires.

Naturellement, il s'agit d'un investissement : sont en effet nécessaires un système de gestion d'image, un scanner de haute performance, des capacités de stockage de données numériques volumineuses, et autant que possible, une interopérabilité de ces différents outils au sein d’un même laboratoire.

En France, la numérisation des laboratoires n'est pas aussi avancée qu'en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas notamment. L'Institut Curie est le premier centre de lutte contre le cancer en France, disposant de capacités de numérisation complète et de l’utilisation de la pathologie digitale en routine, sur ses deux sites Paris et Saint-Cloud. Mais les choses avancent, puisque des appels d'offre ont été lancé cet été par les Agences Régionales de Santé et que plusieurs structures hospitalières comme les CHU de Bicêtre et de Rennes ont adopté la pathologie numérique pour leur activité diagnostique depuis quelques années. Des structures libérales sont également équipées comme Medipath ou Cypath.

Une fois la numérisation en place, vient la seconde étape, qui est celle de l'IA proprement dite, pour la lecture des images. Par rapport au diagnostic numérique, elle constituera un coût supplémentaire.

 
En France, la numérisation des laboratoires n'est pas aussi avancée qu'en Grande-Bretagne ou aux Pays-Bas notamment.
 

Quelles autres spécialités en oncologie l'IA intéresse-t-elle ?

Pre Anne Vincent Salomon : En se limitant au domaine du cancer, elles sont déjà nombreuses. Les radiologues sont bien sûr intéressés par l'analyse d'image, de même que les dermatologues. Mais il faut également citer les médecins nucléaires, les chirurgiens, qui planifient les interventions à partir d'outils de réalité virtuelle, qui peuvent inclure l'IA. Et jusqu'aux généticiens, aujourd'hui confrontés à des bases de données tellement complexes que des outils d'IA sont envisagés pour les interroger.

 

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