Paris, France — Lors de ses vœux à la presse, le Leem a encore une fois regretté les coupes budgétaires du PLFSS 2023 sur le poste de dépense des médicaments, tout en proposant des solutions contre les pénuries de médicaments, de même que pour « réinventer » leur financement.
C'est peu de dire que les administrateurs du Leem, son président en tête, ont du mal à se projeter avec sérénité dans la nouvelle année qui vient, tant le vote de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 leur a laissé un goût amer.
C'est ce qui ressort des vœux à la presse du Leem, prononcé par son président Thierry Hulot, accompagné par Philippe de Pougnadoresse, administrateur du Leem et directeur général d'Ipsen France et de Corinne Blachier-Poisson, administratrice du Leem et présidente d'Amgen France.
« Il y a un an, du fait de la crise du Covid, tout le monde avait pris conscience de l'importance de notre industrie. La France avait repris en main sa politique en matière d'innovation, de recherche ou d'emploi, mais l'année écoulée a marqué un arrêt brutal de cet élan. Le PLFSS 2023 est un PLFSS contre le médicament, c'est une taxation sectorielle sans fin, nous sommes revenus à une gestion comptable du médicament. Cela m'inquiète pour les patients français, les innovations de rupture sont disponibles partout sauf en France », a déclaré en préambule Thierry Hulot.
1 000 ruptures de médicaments en 2022 contre 900 en 2021
Quoi qu'il en soit, si l'année s'annonce difficile selon les dires des administrateurs du Leem, du fait de la clause de sauvegarde, un mécanisme qui fait en sorte de taxer 70 % des revenus de l'industrie dès lors que la dépense médicaments a dépassé l'ondam « pharmaceutique » d'un montant 24 milliards cette année, Thierry Hulot s'est tout de même fixé deux objectifs pour l'année 2023 :
l'accès au médicament et la « réinvention » du système de financement de l'industrie.
En termes d'accès au médicament, le chef de file du Leem a dans un premier temps tiré un bilan de l'année 2022 qui vient de s'écouler.
« Sur les 10 premiers mois de l'année, nous avons rencontré 1 000 ruptures de médicaments contre 900 en 2021. Ce sont les mêmes types de dynamique : des produits essentiels et souvent génériqués.
Première cause de ces ruptures : l'imprévisibilité de la demande. En effet, les pathologies hivernales sont arrivées plus tôt que prévu et personne n'a anticipé leur ampleur, qu'il s'agisse du rhume, de la grippe ou de la bronchiolite ; cela a aspiré toute la demande mondiale.
Deuxième cause : la demande mondiale année après année est de plus en plus importante.
Par ailleurs , pour ce qui est de la production des principes actifs, en Chine ou en Inde, il est difficile de savoir ce qui s'y passe.
Et il faut aussi compter sur les spécificités françaises : nous avons les prix les plus bas d'Europe, donc la France n'est pas prioritaire en cas de tension d'approvisionnement. Nos prix sont inférieurs de 30 % aux prix allemands par exemple.
Enfin, il a fallu compter avec le contexte d’hyper-inflation . »
Accès aux médicaments : quelles solutions ?
Pour parer à ces problèmes d'approvisionnement, Thierry Hulot cite, encore une fois, l'exemple allemand : « Le gouvernement allemand a décidé, pour 200 molécules thérapeutiques essentielles, une augmentation du prix de 50 %. En France, 9 mois après ma demande, j'attends toujours la réponse de notre tutelle. »
Autre souci : il n'existe pas en France de pilotage de la politique industrielle ce qui freine fortement la réactivité en cas de problème.
« S'il y a un problème de production dans une usine, on doit le rapporter à l'administration française qui va réunir les industriels : le temps d'analyse se compte en semaines, voire en mois. Aujourd'hui cela doit être fait en temps réel grâce à l'intelligence artificielle. »
À cela il faut ajouter un problème de visibilité : « Il existe 12 000 spécialités pharmaceutiques en France dont 200 à 300 molécules indispensables, cela fait des années que l'on demande d'établir la liste de ces molécules, il faut le faire maintenant et déterminer un plan d'action pour chacune de ces molécules. » Pour répondre à cette problématique, Thierry Hulot a annoncé la mise en place dès mars-avril d'un étalon d'un nouveau genre : « Le Leem a décidé de mettre en place un baromètre de l'accès aux médicaments. Nous publierons tous les trimestres les médicaments en rupture, les innovations arrivées en Europe, le point sur l'industrialisation, en comparant données françaises et données européennes. »
Des atouts mais un marché français en berne
Deuxième priorité : le financement du médicament, tant le constat dégagé par le Leem est sombre en la matière. « Nous vivons une situation dramatique : le chiffre d'affaires net du médicament n'a pas évolué depuis 2009. C'est une confiscation de la croissance.
Dans un contexte hyper inflationniste, on nous impose, dans le PLFSS, 800 millions d'euros de baisse de prix. L'Ondam médicaments est très en dessous de la consommation réelle : il est de 24,6 milliards d'euros, mais la consommation va atteindre 28 milliards d'euros.
Conséquence : contrairement à tous les grands pays d'Europe, le marché du médicament en France s'est contracté entre 2018 et 2021.
Mais il y a lieu d'espérer, car la Première ministre semble vouloir renouer le fil du dialogue avec les industriels : « Élisabeth Borne semble avoir pris conscience de cela, elle m'a annoncé son intention dans les jours qui viennent de lancer une mission interministérielle pour envisager des réformes structurelles afin de faciliter l'arrivée de l'innovation, entre autres. Il va falloir réfléchir à de nouveaux modes de financement, car nous sommes coincés par un PLFSS sur une année, il nous faut des plans d'investissement pluriannuels . »
D'autant que la France a une carte à jouer, tant ses atouts sont importants dans l'industrie pharmaceutique, même si elle a perdu du terrain ces dernières années : « la France était le premier producteur européen en 2004, elle est tombée à la 5e position. Sur 488 AMM entre 2016 et 2022, 42 sont issus de la France contre 112 en Allemagne. Mais ce n'est pas une fatalité : nous possédons un vrai savoir-faire avec 271 sites de production dont 32 en bio production », a analysé Philippe de Pougnadoresse, administrateur du Leem et directeur général d'Ipsen France.
Relocaliser une partie de la production pharmaceutique en France
« Il faut prioriser urgemment les médicaments à rapatrier et lancer un plan d'investissement ambitieux. 150 millions d'euros ont été investis par l'État dans le cadre du plan France relance, pour 119 projets, mais seuls 18 de ces projets ont pour ambition de rapatrier des molécules. Il faut aussi traiter le problème en aval : il faut que les prix augmentent sur certaines molécules ».
Innovation : augmenter le budget médicament et accélérer les process d’AMM
Les industriels ont aussi profité de cette cérémonie des vœux pour tirer la sonnette d'alarme en matière d'innovation : « Où en somme nous ? Beaucoup d'espoirs ont été placés dans le plan innovation santé en termes de réindustrialisation, de bioproduction, de recherche fondamentale et clinique, et pour un meilleur accès aux innovations », a rappelé Corinne Blachier-Poisson, administratrice du Leem et présidente d'Amgen France.
« Mais depuis le dernier PLFFS, a-t-elle poursuivi, la France est devenue illisible pour cette industrie, nous pouvons vous citer des exemples d'innovation inaccessibles aux patients français. »
Thierry Hulot avait en effet rappelé que « les médicaments anti CGRP dans la migraine chronique invalidante sont disponibles partout en Europe sauf en France. »
Corinne Blachier-Poisson a poursuivi en détaillant les trois conditions indispensables pour la relance de l'innovation en France :
« Il nous faut un financement adéquat, c’est une condition sine qua none. Le vieillissement de la population, la chronicisation des pathologies nécessitent un budget à la hauteur de nos concitoyens. Les prix pour les médicaments sous brevets sont 33 % moins élevés que les prix allemands, et 18 % en dessous des prix italiens. Nous devons revoir un budget médicament qui est le même depuis 10 ans.
Deuxième condition : favoriser l'accès précoce aux traitements innovants. Il nous faut l'approbation des essais cliniques pour les médicaments innovants le plus rapidement possible. À ce sujet, nous travaillons avec la DGOS sur la création d'un portail d’essais cliniques pour les patients.
Enfin dernière condition : fournir des moyens à l’agence d'innovation en santé née fin 2022. Nous la soutenons à condition qu'elle ait les moyens de simplifier et valoriser l'innovation à son juste niveau. »
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Citer cet article: Accès aux médicaments : le Leem propose des solutions - Medscape - 19 janv 2023.
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