Nouveaux anticoagulants : le point sur les inhibiteurs du facteur XI en développement

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

19 janvier 2023

Paris, France — L’anticoagulant idéal permettant de réduire le risque ischémique sans augmenter le risque hémorragique sera-t-il bientôt à portée de main ? Une session des Journées européennes de la Société française de cardiologie (JESFC 2023) a fait le point sur le développement des inhibiteurs de facteur XI qui pourraient s’avérer utiles dans certaines indications associées à un risque hémorragique élevé.

Par voie orale, en sous cutané ou en intraveineux, plusieurs inhibiteurs de facteur XI sont actuellement testés en prévention du risque thromboembolique. Que ce soit avec l’ARN antisens (FXI-ASO), les anticorps anti-XI (osocimab et abelacimab) ou les peptides anti-XI (milvexian et asundexia), ces nouveaux anticoagulants ont donné des résultats intéressants dans des études de phase 2, notamment sur le risque hémorragique.

Mécanismes de l’hémostase préservés

Malgré l’arrivée des anticoagulants oraux directs (AOD), il existe un besoin de disposer de nouveaux anticoagulants dans certaines indications, a expliqué le Pr Gilles Montalescot (hôpital de la Pitié-Salpêtrière, AP-HP, Paris), lors de sa présentation [1]. Des antithrombotiques plus efficaces et mieux adaptés sont, par exemple, attendus en post-infarctus, chez les patients coronariens, chez les plus âgés avec comorbidités multiples ou encore ceux en réanimation.

Les attentes sont d’autant plus fortes que certaines recherches dans ce domaine se sont avérées décevantes. C’est le cas notamment avec la bivalirudine, un inhibiteur de la thrombine administré en intraveineux, finalement retiré du marché faute de résultats satisfaisants. L’otamixaban, un anti-facteur Xa injectable prometteur a lui aussi été recalé après des résultats négatifs dans le post syndrome coronarien aigu.

Le rôle du facteur XI dans la thromboembolie n’est pas encore bien compris, mais il semble agir uniquement sur l’une des deux voies de la coagulation, celle de la thrombose, et non pas celle de la coagulation sanguine normale. Les anti-facteurs XI auraient donc la capacité d’altérer la thrombose tout en préservant les mécanismes de l’hémostase, ce qui en théorie n’augmente pas le risque de saignement.

Plusieurs inhibiteurs du facteur XI sont actuellement en développement, en explorant différents modes d’action. Il s’agit de petits peptides ou d’anticorps spécifiques qui ont un effet inhibiteur plus ou moins prolongé et, plus original, d’un oligonucléotide antisens (ARN antisens) capable de bloquer la synthèse du facteur XI au niveau hépatique en se fixant à l’ARNm codant le facteur.

Premier test en chirurgie orthopédique

Premier facteur XI à avoir été testé : un ARN antisens dénommé FXI-ASO (Isis Pharmaceuticals). Dans un essai de phase 2, dont les résultats ont été publiés en 2014, le traitement a été comparé au traitement standard par énoxaprine (40 mg/jour en sous-cutané), une héparine de bas poids moléculaire (HBPM), chez 300 patients opérés pour une arthroplastie totale du genou, une intervention particulièrement thrombogène [2].

Le traitement par l’antisens a été initié 36 jours avant la chirurgie en injectant en sous cutané trois doses la première semaine, puis une dose les semaines suivantes. La dernière dose est administrée trois jours après l’opération. En 8 à 12 jours après chirurgie, le taux de thrombo-embolisme veineux est de 4 % avec le FXI-ASO à 300 mg, contre 27 % dans le groupe énoxaprine.

« L’antisens est apparu efficace à la posologie de 300 mg pour réduire de façon majeure le risque de thromboembolie veineuse symptomatique et non symptomatique, sans augmenter le risque hémorragique », a commenté le Pr Laurent Bertoletti (CHU de Saint-Étienne) pendant sa présentation [3].

Le taux de facteur XI est apparu réduit de 83 % chez les patients traités avec 300 mg de FXI-ASO.

Deux anticorps anti-XI à l’essai

Plus récemment, l’anticorps osocimab a également montré des résultats positifs, là encore en prévention de la thromboembolique veineuse chez des patients opérés pour une arthroplastie totale. L’étude de phase 2 FOXTROT a inclus 600 patients randomisés pour recevoir de l’énoxaparine (40 mg/jour en sous-cutané), l’AOD apixaban ou une injection en intraveineuse osocimab à des doses variables avant ou après chirurgie [4].

« L’osocimab a été supérieur à l’énoxaparine dans la prévention du risque de maladie thromboembolique veineuse en post-opératoire ». Le taux le plus faible de thromboembolisme veineux est de 11,3 %, 10 à 13 jours après l’opération, sous osocimab à 1,8 mg/kg reçue avant chirurgie, contre 26,3 % dans le groupe énoxaparine et 14,5 % sous apixaban.

Là non plus, « il n’y avait pas de signal de modification défavorable du risque hémorragique », chez les patients traités par l’anticorps anti-XI, note le Pr Bertoletti.

Un an plus tard, l’anticorps monoclonal anti-facteur XI abelacimab (Anthos Therapeutics) s’est montré lui aussi efficace en prévention de la thromboembolie veineuse post-opératoire. L’anticoagulant a été évalué auprès de 412 patients opérés pour une arthroplastie totale du genou, randomisés entre une injection unique d’abelacimab en post-opératoire (30 mg, 75 mg ou 150 mg) et l’énoxaparine en sous-cutané (40 mg/jour) [5].

L’incidence de la thrombo-embolie veineuse entre 8 et 12 jours après l’intervention est de 13 %, 5 % et 4 % sous les doses croissantes d’abelacimab, contre 22 % sous énoxaparine. Avec un profil de sécurité très rassurant puisque l’incidence des hémorragies était nulle avec la dose la plus élevée d’anticorps.

L’abelacimab est actuellement testé dans deux essais plus larges (ASTER et MAGNOLIA) chez des patients atteints de cancer en prévention de la maladie thromboembolique veineuse, dont certains à très haut risque hémorragique, a indiqué le praticien.

Indications élargis avec les peptides anti-XI

Troisième catégorie d’anticoagulant : les peptides anti-XI. Dans l’essai de phase 2 AXIOMATIC-TKR, le milvexian a été évalué, là encore en chirurgie orthopédique, avec plusieurs doses administrées par voie orale (25, 50, 100 ou 200 mg) selon des modalités différentes (une ou deux fois par jour) [6]. Plus de 1 000 patients opérés pour une arthroplastie totale ont été inclus.

La plus faible incidence de thromboembolie veineuse est de 7 % sous milvexian à 200 mg en une prise quotidienne, contre 21 % sous énoxaparine (40 mg/jour en sous cutané), sans excès d’hémorragie puisque l’incidence des saignements est de 4 %, autant sous milvexian, que sous énoxaparine.

L’asundexian a, quant à lui, été évalué dans la fibrillation atriale (FA) sur des critères de sécurité chez des patients à haut risque hémorragique (essai PACIFIC-AM). Au total, 753 patients ont été randomisés pour recevoir l’asundexian (20 ou 50 mg/jour par voie orale) ou l’AOD apixaban. L’asundexian a été associé à un risque hémorragique plus faible en comparaison avec l’apixaban [7].

Le peptide anti-XI s’est montré plus décevant en prévention secondaire après un accident vasculaire cérébral (AVC). Dans l’essai de phase 2 PACIFIC-STROKE, 1 808 patients atteints d’AVC ont reçu soit l’asundexian (10, 20 ou 50 mg/jour), soit un placebo en plus de la monothérapie antiagrégante habituelle [8].

Les résultats montrent une absence de différence significative entre les deux groupes sur le critère de jugement principal incluant la récurrence à six mois des AVC silencieux ou symptomatiques. Point positif : il n’y avait pas plus d’événements hémorragique sous asundexian, alors que l’association avec un traitement antiplaquettaire est une situation à haut risque hémorragique.

Moins convaincant dans le SCA

Les résultats apparaissent similaires dans PACIFIC-AMI avec l’ajout d’asundexian à la double agrégation seule en prévention des événements cardiovasculaires après un syndrome coronarien aigu (SCA) [9], la différence sur le risque ischémique n’étant pas significative comparativement au groupe placebo. Il n’y a pas non plus de différence concernant le risque hémorragique.

Il reste désormais à vérifier l’efficacité et la sécurité de ces anti-XI dans des essais de phase 3, dont certains sont en cours. « À mon sens, si on arrive à montrer qu’ils sont aussi efficaces que les traitements anticoagulants de référence, ils pourront nous aider dans les situations où le risque émorragique est très élevé », a commenté le Pr Bertoletti.

Selon lui, ces anti-XI auraient surtout un intérêt dans la prévention des thromboses liées à la pose d’un corps étranger (dialyse, TAVI, chambre implantable percutanée, oxygénation par membrane extracorporelle...).

 
À mon sens, si on arrive à montrer qu’ils sont aussi efficaces que les traitements anticoagulants de référence, ils pourront nous aider dans les situations où le risque hémorragique est très élevé. Pr Bertoletti
 

 

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