1 cardiologue sur 4 rapporte des problèmes de santé mentale, dans une enquête internationale

Monde – Plus d'un quart des cardiologues interrogés dans le cadre d'une enquête internationale a déclaré souffrir de problèmes de santé mentale allant de l'anxiété à la dépression majeure ou à d'autres troubles psychiatriques. 

La prévalence de ces troubles variait selon la sous-spécialité de la cardiologie et le nombre d'années de pratique, était plus fréquente chez les femmes que chez les hommes, et était étroitement liée au fait de supporter des environnements de travail hostiles et à d'autres contraintes de la vie professionnelle.

L'enquête, menée quelques mois seulement avant la pandémie de Covid-19 et avec son lot de limites, dresse tout de même un tableau peu reluisant.

Par exemple, des problèmes de santé mentale ont été signalés par environ 42 % des répondants qui ont cité un environnement de travail hostile, défini par le fait de connaître sur le lieu de travail une discrimination fondée sur l'âge, le sexe, la religion, la race ou l'origine ethnique, ou bien un harcèlement moral ou sexuel. À l'inverse, la prévalence de tels problèmes n'atteignait que 17 % parmi ceux qui ne connaissaient pas de telles conditions de travail.

Souffrance silencieuse

L'étude montre une réelle superposition entre les cardiologues qui signalent de l'hostilité au travail et ceux qui ont des problèmes de santé mentale, « et c'était un résultat significatif », a déclaré la Dre Garima Sharma de la faculté de médecine de l'université Johns Hopkins, Baltimore, Maryland, à theheart.org | Medscape Cardiology.

Cependant, seuls 31 % des cardiologues masculins et 42 % des cardiologues féminins (P < 0,001) ayant signalé des problèmes de santé mentale ont déclaré avoir cherché l’aide d’un.e professionnel.le au sein ou en dehors de leur propre institution.

Cela signifie « qu'il y a beaucoup de souffrance silencieuse » dans le domaine, a déclaré la Dr Sharma, qui est l'auteur principal de la publication du 28 décembre dans le Journal of the American College of Cardiology.

Aborder le sujet

Les résultats de l'enquête, a-t-elle ajouté, indiquent au moins deux façons dont la communauté cardiologique peut s'efforcer de réduire ce qui pourrait être une cause sous-jacente majeure des problèmes de santé mentale et de leurs conséquences.

« Si vous vous efforcez de réduire l'hostilité au travail et de faire de la santé mentale une priorité pour votre personnel, alors ceux qui subissent ces types de conditions flagrantes basées sur l'âge, le sexe, la race, l'ethnie ou l'orientation sexuelle sont moins susceptibles d'être lésés. »

Les problèmes de santé mentale chez les cardiologues sont rarement abordés ouvertement, de sorte que l'étude actuelle peut être « un moyen de les ramener dans la conversation », a déclaré la Dre Sharma. La santé mentale des cliniciens « est extrêmement importante car elle a un impact direct sur les soins aux patients et la productivité. »

Les problèmes de santé mentale signalés dans l'enquête « sont un problème général en médecine, et aussi chez nos étudiants en médecine », a observé l'auteure principale la Dre Laxmi S. Mehta, professeure de médecine interne à l'Université d'État de l'Ohio, Columbus, Ohio, dans une interview. L'étude actuelle fournit de nouveaux détails sur leur prévalence et leurs facteurs prédictifs en cardiologie et, espère-t-elle, peut améliorer la prise de conscience du domaine et les efforts déployés pour résoudre ce problème.

« Nous devons soutenir ceux qui souffrent de problèmes de santé mentale sous-jacents et améliorer l'environnement de travail pour réduire les facteurs contribuant aux maladies mentales. Et nous devons également travailler à réduire la stigmatisation associée à la recherche d'un traitement et à réduire les obstacles à l'obtention d'un traitement », a déclaré la Dre Mehta, qui préside le groupe de travail sur le bien-être des cliniciens de l'American College of Cardiology, qui a mené l'enquête en 2019.

 
Nous devons soutenir ceux qui souffrent de problèmes de santé mentale sous-jacents et améliorer l'environnement de travail.
 

Une perspective mondiale

Des cardiologues d'Afrique, des Amériques, d'Asie, d'Europe, du Moyen-Orient et d'Océanie – 5890 au total – ont répondu aux questions sur la santé mentale dans le cadre de l'enquête, inédite par sa portée mondiale et ses apports sur les différents continents et les différentes cultures.

Les répondants d'Amérique du Sud et d'Amérique centrale ont signalé les prévalences les plus élevées de problèmes de santé mentale, atteignant les taux aberrants d'environ 39 % et 33 %, respectivement. Les taux pour la plupart des autres régions géographiques varient étroitement entre 20 et 26 %, les taux les plus bas étant enregistrés en Asie et au Moyen-Orient.

La Dr Sharma reconnaît que les facteurs sociaux et culturels susceptibles d'influencer les réponses à l'enquête varient probablement beaucoup entre les différents pays, tout comme l'interprétation de la terminologie de la santé mentale utilisée dans le questionnaire ou le degré de stigmatisation des troubles.

« Je pense qu'il est difficile de dire comment les gens peuvent ou non réagir culturellement à un certain mot ou à une certaine métrique », a-t-elle déclaré. Mais d'après les résultats de l'enquête, « que vous exerciez dans une région rurale de l'Amérique, de l'Inde, des Émirats arabes unis, de l'Océanie ou de l'Europe de l'Est, il y a une certaine cohérence, dans l'ensemble, dans ce que les gens reconnaissent comme des problèmes de santé mentale ».

Médecins juniors et médecins seniors

La perspective mondiale « est un point positif de l'étude, et les taux élevés en Amérique centrale et en Amérique du Sud sont, je pense, un aspect dont la spécialité n'était pas consciente et qui constitue une contribution importante », a déclaré le Dr Srijan Sen à theheart.org | Medscape Cardiology.

L'impact psychologique des environnements de travail hostiles est un problème dans toute la médecine, « mais il semble plus important dans certaines spécialités, et la cardiologie est peut-être l'une de celles où le problème est le plus important », a observé le Dr Srijan Sen, qui étudie la santé mentale des médecins à l'Université du Michigan, Ann Arbor, Michigan, et n'est pas associé à l'enquête.

Dans l'enquête, les problèmes de santé mentale étaient nettement plus fréquents chez les femmes que chez les hommes (33,7 % contre 26,3 %), et chez les cardiologues plus jeunes que chez les plus âgés (32,2 % pour les moins de 40 ans contre 22,1 % et 16,8 % pour les 55-69 ans et les 70 ans ou plus, respectivement).

Ces résultats semblent logiques, a observé le Dr Sen. « En général, la cardiologie et la médecine au sens large sont hiérarchisées, donc être plus junior peut être stressant. Et s'il y a plus d'hostilité sur le lieu de travail, cela peut se répercuter sur les personnes plus jeunes ».

 
En général, la cardiologie et la médecine au sens large sont hiérarchisées, donc être plus junior peut être stressant.
 

De plus, dans d'autres études, « un niveau élevé de conflit travail-famille est un véritable moteur de la dépression et de l'épuisement professionnel, et cela affecte probablement les jeunes médecins, en particulier les jeunes femmes médecins », qui peuvent avoir des enfants plus jeunes et pour qui s’en occuper est une charge plus importante que pour leurs aîné.es.

Le Dr Srijan Sen a souligné que le faible taux de réponse à l'enquête constituait une limite importante de l'étude. Sur les 71 022 cardiologues invités à participer, seuls 5 890 (8,3 %) ont répondu aux questions sur la santé mentale.

Avec un taux de réponse aussi faible, une enquête « peut être biaisée d'une manière que nous ne pouvons pas prévoir », a noté le Dr Sen. En outre, toute personne préoccupée par la toxicité de son propre lieu de travail pourrait être « plus susceptible de répondre à l'enquête que si elle travaillait dans un endroit plus agréable. Cela donnerait une idée faussée de l'expérience globale des cardiologues ».

Toutefois, ces questions ne sont peut-être pas un problème avec l'enquête actuelle, « car les résultats sont cohérents avec d'autres études ayant des taux de réponse plus élevés. »

 
Sur les 71 022 cardiologues invités à participer, seuls 5 890 (8,3 %) ont répondu aux questions sur la santé mentale.
 

Un rapport qui donne à réfléchir

Un éditorial accompagnant l’article considère que la Dre Sharma et ses collègues ont fourni « un rapport qui donne à réfléchir sur la prévalence globale et les facteurs qui peuvent contribuer aux problèmes de santé mentale » dans la population étudiée.

Sur la base de ses enseignements, le Dr Andrew J. Sauer, Saint Luke's Mid America Heart Institute, Kansas City, Missouri, propose plusieurs « interventions » potentielles que le secteur de la cardiologie pourrait mettre en œuvre.

Il pourrait « promouvoir sélectivement des leaders qui luttent contre les préjugés implicites, la discrimination et le harcèlement tout en faisant progresser la diversité, l'équité et l'inclusion dans les rangs des cardiologues ».

En outre, poursuit-il, « nous devons faire disparaître la stigmatisation de la maladie mentale chez les médecins. Nous devons traiter les problèmes de santé mentale avec compassion et sans blâmer, comme nous nous efforçons de traiter nos vétérans qui souffrent du syndrome de stress post-traumatique. »

 
Nous devons faire disparaître la stigmatisation de la maladie mentale chez les médecins.
 

Enfin, le Dr Sauer écrit que « des programmes de mentorat devraient être formalisés pour aider le cardiologue dans les zones de transition entre le début et le milieu de la carrière, en accordant une attention particulière aux femmes et à ceux dont l’augmentation de la charge familiale viennent s’ajouter aux facteurs existants d'épuisement professionnel et de détresse psychologique sur le lieu de travail ».

Années de pratique

Parmi les cardiologues qui ont répondu aux questions de l'enquête sur la santé mentale, 28 % ont déclaré avoir connu des problèmes de santé mentale pouvant inclure des troubles liés à la consommation d'alcool ou de drogues, des tendances suicidaires, une détresse psychologique (y compris l'anxiété, l'irritabilité ou la colère), d'« autres troubles psychiatriques » (tels que le trouble panique, le stress post-traumatique ou les troubles de l'alimentation) ou des troubles psychiatriques majeurs tels que la dépression majeure, le trouble bipolaire ou la schizophrénie.

Les cardiologues ayant exercé pendant 5 à 10 ans après leur formation étaient plus susceptibles que les cardiologues exerçant depuis plus longtemps (au moins 20 ans) d'avoir des problèmes de santé mentale (31,9 % contre 22,6 %, P < 0,001).

Les problèmes de santé mentale ont été cités par 42 % des répondants qui ont cité « tout type de discrimination » fondée sur l'âge, le sexe, la race ou l'origine ethnique, ou l'orientation sexuelle, indique le rapport.

Parmi les personnes ayant signalé un problème de santé mentale, 2,7 % ont envisagé le suicide au cours de l'année écoulée et 2,9 % l'ont envisagé plus de 12 mois auparavant. Les femmes étaient plus susceptibles que les hommes d'envisager le suicide au cours de l'année écoulée (3,8 % contre 2,3 %), mais elles étaient également plus susceptibles de demander de l'aide (42,3 % contre 31,1 % ; P < 0,001 pour les deux différences), écrivent les auteurs.

 

Dans l'analyse multivariée, les prédicteurs des problèmes de santé mentale et leurs rapports de cotes incluaient :

  • Le harcèlement émotionnel, 2,81 (IC 95 %, 2,46-3,20).

  • Toute forme de discrimination, 1,85 (IC 95 %, 1,61-2,12)

  • Le fait d'être divorcé, 1,73 (IC 95 %, 1,26-2,36)

  • Âge < 55 ans, 1,43 (IC 95 %, 1,24-1,66)

  • Milieu de carrière (vs fin de carrière), 1,36 (IC 95 %, 1,14-1,62).

Comme l'enquête a été menée de septembre à octobre 2019, avant que les effets traumatisants de la pandémie ne se déploient sur les soins de santé presque partout, « je pense qu'il faudra faire un suivi à un moment donné, quand la situation se sera stabilisée », a déclaré la Dre Sharma. L'étude actuelle est « une base de référence, et pas une base saine », sur l'état de la santé mentale sur le terrain qui a probablement empiré pendant la pandémie.

Mais même en l'absence d'un tel suivi, l'étude actuelle « est suffisamment exploitable pour nous obliger à agir dès maintenant ».

 

Les Drs Sharma, Mehta, leurs coauteurs, Sen et Sauer n'ont signalé aucun liens d'intérêt pertinents.

 

L’article a été publié initialement sur Medscape.com sous l’intitulé One in Four Cardiologists Worldwide Report Mental Health Issues. Traduit par Stéphanie Lavaud.

 

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