Ouverture du procès en appel de l'affaire Médiator : quels enjeux ?

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

9 janvier 2023

France — Le procès en appel du Médiator s'ouvre lundi 9 janvier et se tiendra jusqu’au 28 juin 2023.

Il s’agit d’un procès hors-norme : 692 tomes de procédures, plus de 7 500 parties civiles et une décision de première instance de plus de 2 900 pages.

Pour rappel, le 29 mars 2021, le Tribunal correctionnel de Paris avait reconnu certaines sociétés des laboratoires Servier et l’ancien directeur opérationnel de Servier, Jean-Philippe Seta, coupables de « tromperie aggravée » et d’« homicides et blessures involontaires » pour avoir dissimulé pendant des années la propriétés pharmacologiques du Médiator® (benfluorex), associées à des risques de valvulopathie et d’hypertension artérielle pulmonaire.

Le groupe pharmaceutique avait alors été condamné à une amende de 2,718 millions d’euros et Jean-Philippe Seta à quatre ans d’emprisonnement avec sursis et à 90 600 euros d’amende. Les amendes ont été payées (execution provisoire du jugement) et il est aujourd'hui difficile pour les victimes d'accepter que l'on puisse remettre en cause une somme qu'elles ont déjà touchée et qu'elles devront peut-être restituer.

En revanche, le tribunal avait relaxé Servier et Jean-Philippe Seta des délits d’« escroquerie » et d’« obtention indue d’autorisation de mise sur le marché », en raison principalement de délais de prescription.

Rapidement, les prévenus avaient fait appel des deux premiers jugements alors que le parquet de Paris et les victimes avaient fait appel de la relaxe partielle des délits d’obtention frauduleuse d’autorisation de mise sur le marché et d’escroquerie.

L’ensemble de ces infractions seront donc rejugées à partir de lundi.

Notons que l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM), jugée pour avoir tardé à suspendre la commercialisation du Mediator avait, quant à elle, été condamnée à 303 000 euros d’amende et qu’elle n’a pas fait appel.

Invitée par Marina Carrère d'Encausse à participer au Magazine de la Santé à quelques jours du début du nouveau procès, la pneumologue Irène Frachon (CHRU Brest), pionnière dans la lutte pour l’interdiction du Médiator® et particulièrement engagée auprès des victimes, a une nouvelle fois fait part de son indignation : « 5 millions de français ont été exposés à un poison et aujourd’hui Servier a pignon sur rue. Comment est-ce possible ? Comment a-t-on pu leur proposer une subvention gouvernementale l’année dernière ? Comment est-ce possible que l’on décore les anciens membres, pas les actuels, qui ont ourdi les complots pour protéger le Médiator ? Comment tout ça peut-il continuer ? Il faut assainir. »

 
5 millions de français ont été exposés à un poison et aujourd’hui Servier a pignon sur rue. Comment est-ce possible ? Dr Irène Frachon
 

 

Des milliers de victimes
D’après une étude Inserm publiée en 2012, au moins 3000 hospitalisations et 1300 décès dues à des valvulopathies induites par le Médiator® seraient survenues entre 1976 et 2009. Le nombre de décès liés aux HTAP n’est, en revanche, pas connu.
Aussi, selon un bilan de l’Ansm, depuis la commercialisation du dérivé de l’amphétamine et jusqu’au 30 avril 2015, 6 743 cas de valvulopathie et 1 273 cas d'hypertension artérielle pulmonaire ont été imputés au benfluorex en France. « La majorité des notifications de valvulopathies a été rapportée entre 2011 et 2012, et se tarit depuis 2014 avec seulement 664 (10,3 %) cas rapportés entre le 1er janvier 2014 et le 30 avril 2015 », indiquait alors l’agence.
À noter que 126 nouveaux cas d'hypertension artérielle pulmonaire ont été imputés au benfluorex entre 2015 et 2020, selon un rapport de l’Ansm de 2022.

Appel : quelles sont les peines encourues ?

D’après la saisine de la Cour d’Appel, la peine principale désormais encourue concernant « l’infraction d’homicide involontaire avec manquement délibéré » est pour les personnes physiques de 5 années d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende et pour les personnes morales de 375 000 euros d’amende.

La peine principale pour « l’infraction de blessures involontaires avec incapacité totale de travail supérieure à 4 mois avec manquement délibéré » est pour les personnes physiques de 3 années d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende et pour les personnes morales de 225 000 euros d’amende.

La peine principale pour « l’infraction de blessures involontaires avec incapacité totale de travail inférieure à 3 mois avec manquement délibéré » est pour les personnes physiques de 1 année d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende et pour les personnes morales de 75 000 euros d’amende.

La peine principale pour « l’infraction de blessures involontaires sans incapacité avec manquement délibéré » est pour les personnes physiques et les personnes morales de 1 500 euros d’amende contraventionnelle. La peine principale pour les personnes morales est de 7 500 euros d’amende contraventionnelle.

Concernant « l’infraction de tromperie sur la marchandise entrainant un danger pour la santé », la peine principale encourue pour les personnes physiques est de 2 années d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende et pour les personnes morales de 375 000 euros d’amende.

Pour « l’infraction d’obtention frauduleuse de document administratif » [AMM], la peine principale pour les personnes physiques est de 2 années d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amendes et pour les personnes morales de 150 000 euros d’amende.

Enfin, est requise pour « l’infraction d’escroquerie », une peine principale pour les personnes physiques de 5 années d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende et pour les personnes morales une amende de 1 875 000 euros.

 

 

À 5 jours du procès en appel sur l’affaire du Médiator, les éditions Delcourt ont publié une bande dessinée : Mediator, un crime chimiquement pur dans laquelle Irène Frachon raconte l'histoire du Mediator mais aussi celle des laboratoires Servier, et d'un autre de ses médicaments interdit dans les années 90 : l'Isoméride.
La BD a été écrite avec l'ancien journaliste d’investigation Éric Giacometti (également scénariste de la BD Largo Winch) et dessinée par François Duprat.
« La bande dessinée raconte dès les années 60 l’aventure de cette firme délinquante dans son ADN, les drames vécus par les victimes et les scandales successifs de ces coupe-faim, l’isoméride puis le Médiator », a rapporté Irène Frachon lors du Magazine de la Santé avant d’ajouter : « Si vous êtes révolté, il y a une pétition pour qu’on puisse retirer à Jacques Servier, à titre posthume, ce que le règlement actuel interdit, l’insigne de grand officier la légion d’honneur qui lui a été accrochée par Nicolas Sarkozy en 2009. »

 

Mediator, Un crime chimiquement pur, Delcourt, 23,95 €

 

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