POINT DE VUE

Urgences : « Nous sommes le réceptacle d'un système de santé qui est à bout de souffle »

Jacques Cofard

Auteurs et déclarations

9 janvier 2023

Dr Marc Noizet

Paris, France— Engorgement des urgences, morts inattendues dans les services d’accueil des urgences (SAU), grève des médecins généralistes… Le Dr Marc Noizet, président du syndicat Samu Urgences de France (SUdF) appelle à mise en place d’un plan blanc national pour libérer l’offre soins. Entretien.

Medscape édition française : Entre la mission flash de cet été, et la crise des urgences de cet hiver, on a l'impression que les urgences sont en crise permanente. Comment expliquez-vous cela ?

Dr Marc Noizet : en fait, il ne s'agit pas de la crise des urgences, qui ne se portent pas si mal que cela. Nous sommes le réceptacle d'un système de santé qui est à bout de souffle. Nous avons connu une crise des urgences au début de la pandémie de Covid, lorsqu'il a fallu accueillir de nouveaux patients, et depuis, nous ne vivons que les conséquences d'un système de santé à genoux.

Si les urgences sont en difficulté, c'est la conséquence de la résurgence d'épidémies, qui génère de nombreux appels au centre 15, faute de régulation par la médecine libérale.

Il faut ajouter à cela la fermeture de nombre de cabinets pendant les congés de fin d’année, et la prolongation du mouvement de grève des médecins libéraux jusqu'au 8 janvier.

L'offre de soins est donc insuffisante et nos centres 15 restent saturés, comme on l'a rarement constaté. Par ailleurs nos SAU (services d'accueil des urgences) souffrent des mêmes maux depuis 2013 : l'aval des urgences est insuffisant au regard de nos besoins d'hospitalisation.

Les hôpitaux ne savent pas s'organiser pour laisser le nombre de lits disponible en nombre suffisant pour nos patients, ce qui fait qu'ils s'accumulent dans nos couloirs.

Nos personnels sont sursollicités pour prendre en charge ces patients dans les couloirs, mais aussi accueillir de nouveaux patients dans de bonnes conditions.

Structurellement, on ne peut pas dire que les urgences dysfonctionnent : nous rencontrons des problèmes de recrutement et d'attractivité mais pas plus que les autres services hospitaliers, et puis nos personnels perdent le sens de leur travail, du fait de cet engorgement permanent des urgences qui nous obligent à oublier le sens de notre mission.

 
L'offre de soins est donc insuffisante et nos centres 15 restent saturés, comme on l'a rarement constaté.
 

Donc c'est plus une question de ressources humaines qu'une question de capacitaire, pour ce qui concerne uniquement les urgences ?

Dr Marc Noizet : Un petit peu les deux. Il y a beaucoup de SAU qui sont dans des locaux exigus. Et la courbe d'augmentation de notre activité va plus vite que la courbe d'augmentation de nos urgences. Mais il y a effectivement en priorité une problématique de ressources humaines, liée au stationnement de ces patients sur des brancards. Si l'on supprime ce problème, l'on se rend compte qu'actuellement notre activité est supérieure de 10 à 15% à la normale, ce n'est pas démesuré et nous sommes capables de l'absorber. En revanche, nous ne savons pas gérer ces patients qui restent dans les couloirs, ce qui a pour conséquence, également, d'allonger les délais de prise en charge, lesquels occasionnent des défauts de surveillance et un certain nombre de décès inattendus que nous recensons actuellement.

 
Nous ne savons pas gérer ces patients qui restent dans les couloirs, ce qui a pour conséquence, également, d'allonger les délais de prise en charge, lesquels occasionnent des défauts de surveillance et un certain nombre de décès inattendus que nous recensons actuellement.
 

Ce n'est pas la première fois que plusieurs épidémies (covid, grippe, bronchiolite) touchent les SAU. Comment se fait -il que les pouvoirs publics n'aient pas anticipé, cette année, cette addition d'épidémies ?

Dr Marc Noizet : J'ajoute que cette année, nous avons dépassé de très loin le pic de la grippe 2021. La grippe cette année est bien plus virulente que les années précédentes.

Pour répondre à votre question, je pense en effet qu'il y a un défaut de clairvoyance des pouvoirs publics sur cette question, qui pour des raisons politique ne veulent pas mettre en place un dispositif national pour préserver le système de santé.

Des moyens ont été accordés, dans le cadre du Ségur, personne ne peut le nier, mais ces moyens ont participé à un rattrapage du sous-investissement de ces dernières années dans notre système de santé.

Je pense que notre système de santé a aussi besoin d'être réorganisé : aujourd'hui, le nombre de personnels de santé est insuffisant au regard de la demande, donc il faut réorganiser notre système pour répondre à cette demande.

 
Aujourd'hui, le nombre de personnels de santé est insuffisant au regard de la demande.
 

Il faut donc gérer l'accès aux soins, comme cela n'a jamais été fait. En France l'accès aux soins a toujours été libre. Il a été pseudo-régulé via la mise en place du médecin traitant qui adressait les patients vers des spécialistes, mais l'on sait que cette réforme a été partiellement mise en œuvre, et ce dispositif n'empêche pas non plus la prise de rendez-vous du patient avec qui il le désire et quand il le désire.

Aujourd'hui nous sommes confrontés à un problème d'accès aux soins : exemple, un patient n'arrive plus à voir son médecin traitant alors qu'il traine une grippe depuis une semaine.

À l'hôpital, il est compliqué d'obtenir un rendez-vous immédiat, et pas dans 6 mois, avec un spécialiste pour un problème aigu. Donc la seule manière pour ces patients d'accéder à un médecin est de rentrer par la porte des urgences. Il faut donc réguler cette offre.

 
À l'hôpital, il est compliqué d'obtenir un rendez-vous immédiat, et pas dans 6 mois, avec un spécialiste pour un problème aigu.
 

Pour désengorger les urgences, il faut donc s'attaquer à la régulation en médecine de ville ?

Dr Marc Noizet : Notamment, mais pas seulement. Les médecins traitants n'ont aucune visibilité sur l'urgence de leur demande de rendez-vous : est-ce pour établir un certificat pour pratiquer un sport ou bien pour prendre en charge une grippe ?

Il faut pouvoir libérer l'offre de soins, d'où l'intérêt de déclarer au niveau national la situation actuelle comme exceptionnelle. Je comprends que ce n'est pas souhaitable de faire cette déclaration maintenant au regard des réformes qui vont être engagées, notamment à l'endroit des retraites, mais néanmoins, il faut rester lucide et constater que la situation est critique et qu’il faut protéger notre système de santé.

Il faut que nos concitoyens ne pâtissent pas de la dégradation des soins comme on le voit dans les SAU.

 
Il faut que nos concitoyens ne pâtissent pas de la dégradation des soins comme on le voit dans les SAU.
 

Vous appelez à la mise en place d'un plan blanc national. Du fait de l’extinction de l'épidémie de bronchiolite pensez-vous que cette demande est toujours d'actualité ?

Dr Marc Noizet : Bien sûr. Tant que nous aurons des morts dans nos couloirs, tant que l'hôpital sera incapable de fournir des lits d'hospitalisation pour ceux qui en ont besoin, tant que les patients ne trouveront pas de rendez-vous en médecine générale pour se soigner dans un délai respectable, alors il faudra mettre en place une organisation pour libérer de l'offre de soins.

La première ministre Élisabeth Borne estime que la situation n'est pas suffisamment dégradée pour justifier la mise en place d'un plan blanc national. À vrai dire, je ne comprends pas ce discours. Nous sommes en capacité de montrer aujourd'hui que la dégradation de l'offre de soins occasionne des décès...

 
Nous sommes en capacité de montrer aujourd'hui que la dégradation de l'offre de soins occasionne des décès...
 

Vous avez dénoncé l'engorgement de la médecine de ville par l'établissement de certificats, entre autres. C'est aussi un leitmotiv brandi par le collectif médecins pour demain qui a reconduit la grève des cabinets de médecine générale jusqu'au 8 janvier. Vous rejoignez donc leurs revendications ?

Dr Marc Noizet : Sur certaines revendications nous sommes en accord. Nous sommes dans un monde où l'offre de soins est devenue très fragile, donc il faut la préserver. Le Collectif médecins pour demain a tout à fait raison de dénoncer le trop-plein d'actes administratifs qui empêche les médecins de voir des patients. Il faut simplifier, mais je pense aussi qu'il faut prioriser les consultations, dès la prise de rendez-vous.

En revanche, je ne suis pas d'accord avec ce collectif lorsqu'il dénonce la délégation de tâches, notamment auprès des infirmiers de pratique avancée (IPA).

Je pense que nous n'avons plus la possibilité en médecine générale de faire l'ensemble de ce que nous faisions auparavant. Un certain nombre de tâches doivent être déléguées pour placer l'expertise médicale là où elle est indispensable. Les choses évoluent, aujourd'hui nos pharmaciens vaccinent, ce qui était inimaginable hier.

 
Je pense aussi qu'il faut prioriser les consultations, dès la prise de rendez-vous.
 

La grève du collectif médecins pour demain a-t-elle eu un impact sur les SAU ?

Dr Marc Noizet : Il est compliqué de répondre à cette question, car il aurait fallu demander à chaque patient la raison pour laquelle il est venu consulter au SAU. Comme je vous l'ai dit, les SAU ne débordent pas, nous enregistrons une activité supérieure de 10 à 15% par rapport à la normale. J'ai dénoncé cette grève en disant qu'elle n'arrivait pas au bon moment car quand le système est au plus mal, il ne faut pas quitter le bateau.

Si sur les SAU il n'y a pas eu de retentissement majeur, en revanche, nous en avons ressenti les effets sur la régulation : en semaine 51 nous avons enregistré +61% d'augmentation sur les centres 15, en nombre d'appels entrants. Ce sont des patients qui appellent faute de pouvoir consulter un médecin généraliste.

 
Quand le système est au plus mal, il ne faut pas quitter le bateau.
 

Voyez-vous des similitudes entre la situation critique des urgences en Grande-Bretagne et la situation française ?

Dr Marc Noizet : Je pense que ces systèmes n'ont pas évolué suffisamment vite par rapport à nos sociétés, qui sont beaucoup plus médicalisées qu'il y a 25 ans. La technologie médicale a beaucoup évolué, les médecins font de l'hyper-spécialité...

Il y a 25 ans un cardiologue faisait aussi de la médecine polyvalente en plus de la cardiologie, aujourd'hui ce n'est plus le cas. Et je pense que l'on a un peu oublié la médecine du quotidien, si bien qu'il y a actuellement une inadéquation entre l'offre et la demande.

Par ailleurs un certain nombre de professionnels de santé ont décidé de changer de carrière. Et puis notre système manque cruellement d'investissement, nos hôpitaux sont déficitaires...

L'arrivée de la T2A, de la chirurgie ambulatoire, etc., même si l'on peut estimer que ces changements étaient nécessaires, ont fait en sorte que nos hôpitaux sont devenus déficitaires. Résultat, de nombreux hôpitaux publics sont dans un état avancé de délabrement. Le monde libéral peine à se réorganiser et à sortir du paiement à l'acte.

 
Je pense que l'on a un peu oublié la médecine du quotidien, si bien qu'il y a actuellement une inadéquation entre l'offre et la demande.
 

Quelles seraient les solutions à court et moyen terme pour SUdF ?

Dr Marc Noizet : Je ne serai en capacité de formuler des solutions à moyen terme que lorsque je saurai quelles sont les visées de la tutelle quant au système de santé de demain. Une réforme est censée nous être présentée prochainement, nous discuterons à ce moment-là du moyen terme. À court terme il faut renforcer les plateformes de régulation. L'été dernier, quelques millions ont été mis sur la table, mais ce n'était qu'un feu de paille.

Nos plateformes de régulation sont en surtension du fait d'un dysfonctionnement du système de santé. Il faut donc ajouter des moyens financiers en proportion, sans discuter. Car les enveloppes annoncées l'été dernier ne sont pas présentes. Les Samu sont financés par des enveloppes de mission d'intérêt général, et il faut que ces enveloppes soient augmentées pour que l'on puisse recruter.

Il faut aussi une prise en compte immédiate de la nécessité de libérer des lits d'hospitalisation, pour l'activité non programmée post-urgences. Nous avons réussi à le faire en 2020, je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas le reproduire maintenant.

 
Il faut aussi une prise en compte immédiate de la nécessité de libérer des lits d'hospitalisation, pour l'activité non programmée post-urgences.
 

 

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