Les « nocturnistes » de l’hôpital : pourquoi ont-ils choisi ce type de pratique ?

Molly MacGilbert

Auteurs et déclarations

4 janvier 2023

Malgré les effets potentiellement néfastes du travail de nuit sur la santé, certains médecins apprécient ce type de pratique nocturne. Ils expliquent pourquoi.

Le soleil se couche et des médecins se lèvent... Ces « nocturnistes », également appelés agents hospitaliers de nuit, vont passer les heures traditionnellement dévolues au sommeil, à travailler, généralement de 18h-19h à 6h-7h, dans les hôpitaux, le plus souvent au sein des services d'urgence.

On pourrait penser que les longues heures de travail et le manque de sommeil ne représentent rien de bien nouveau pour les médecins hospitaliers. Pourtant, les nocturnistes ont fait le choix contre-intuitif de travailler au moment où les autres dorment, dans des conditions qui bouleversent leur alimentation, et avec des ressources limitées (examens complémentaires, avis des confrères…). La nuit, les hôpitaux sont souvent réduits à leur plus simple expression : moins de patients et de visiteurs, moins de membres du personnel et moins de services ouverts. Les couloirs sont souvent vides, éclairés par des lumières crues.

Ces conditions travail, paradoxalement, attirent certains praticiens. Des nocturnistes prétendent que les avantages ― les salaires plus élevés en particulier ― font que malgré l'environnement et les horaires peu orthodoxes, cela en vaut la peine… Ils estiment que ces conditions sont même préférables à celles du cadre de travail classique.

Dre Nina Lum

« L'hôpital est étonnamment plus beau la nuit, selon moi », explique Nina Lum, une médecin généraliste qui travaille occasionnellement de nuit. « C'est plus calme et il y a moins de passage, d’accompagnants ou de familles, ce qui facilite le travail avec les patients. Bien sûr, on peut ressentir de la frustration car on ne dispose pas de tous les examens complémentaires ou des avis spécialisés que l’on peut obtenir plus ou moins facilement en journée. Mais, à mon avis, les patients gagnent à être pris en charge par des soignants moins sollicités ».

Pourquoi préfèrent-ils le travail de nuit ?

En 2011, le Washington Post a décrit l'émergence d'une nouvelle entité de spécialistes désignés par le terme « nocturnistes ». « Avant l'apparition de cette « sous-spécialité », pendant les heures creuses, les patients étaient souvent confiés à des professionnels de santé peu expérimentés (majoritairement des internes ou des jeunes seniors). Il résulta de cette politique de ressources humaines des conséquences désastreuses : une étude réalisée en 2008 a ainsi montré que les patients hospitalisés victimes d'un arrêt cardiaque couraient un plus grand risque de décès si l’évènement survenait la nuit ou le week-end, en comparaison avec les horaires de jour ».

Une série d'études similaires ont fait émerger le concept de recours aux nocturnistes. Dans une enquête menée en 2020 auprès d’internes américains en formation, 61,3 % des répondants ont déclaré que la présence d’un nocturniste permettait de « toujours recevoir une supervision adéquate pour assurer la sécurité des patients pendant la nuit », alors que seuls 40,5 % des internes non supervisés estimaient qu’ils assuraient la sécurité des soins nocturnes des patients.

Aujourd'hui, dans la plupart des pays, il existe un besoin prégnant de professionnels de la santé expérimentés pour travailler au sein des équipes de soignants de nuit. Aux États-Unis, pour inciter les médecins à adopter des horaires décalés, les établissements de santé propose des majorations de salaires de l’ordre de 15 % en moyenne.

Mais l’argent ne fait pas tout face à l'impact à long terme des horaires de nuit sur la santé et le mode de vie des médecins. « L'argent ne constitue plus une motivation lorsque la santé, la qualité de vie, le bien-être ou la stabilité familiale sont en jeu », analyse M. Lum.

À l’inverse, certains nocturnistes mettent en avant une amélioration de leur qualité de vie. « Le salaire était un bonus supplémentaire, mais la principale raison pour laquelle je suis passée aux horaires de nuit était pour pouvoir gérer mon propre emploi du temps », analyse Charmaine Gregory, médecin urgentiste, qui travaille exclusivement de nuit depuis 17 ans. « Je voulais reprendre le contrôle de ma vie. Je me suis dirigée vers la médecine d'urgence parce que je voulais pouvoir travailler pour vivre, et non vivre pour travailler ».

 
La décision de devenir nocturniste est souvent liée à des besoins individuels.
 

 

Matthew Nguyen

La décision de devenir nocturniste est souvent liée à des besoins individuels, au mode de vie, aux différentes étapes de la vie, aux responsabilités familiales et aux priorités professionnelles. « Je recommande l’activité nocturne aux médecins en début de carrière dès leur diplôme obtenu. C’est mon cas par exemple » explique Matthew Nguyen, un spécialiste en médecine interne qui est nocturniste depuis deux ans. « Je pense que c'est bien pour quelqu'un qui est jeune, ou qui débute dans la profession, de travailler de nuit car le temps de présence est exclusivement dédié aux soins. Vos principales tâches pendant la nuit sont de voir les malades, rédiger des ordonnances et admettre des patients, alors que lorsque vous travaillez de jour, vous devez assister à beaucoup plus de réunions et vous devez vous entretenir avec les travailleurs sociaux. La nuit, c'est strictement de la pratique médicale, sans les à-côtés ».

La délicate question du sommeil

Qui dit travail de nuit, dit sommeil à horaires décalés. Comment dormir suffisamment pour récupérer quand le sommeil est perturbé par la lumière du soleil, le bruit des activités extérieures, des membres de la famille ou les colocataires qui, eux, vivent avec des horaires opposés ?

Selon le Dr Nguyen, il est facile, avec un peu d'aide, de dormir pendant la journée ― en prenant de temps en temps de la mélatonine, en utilisant un masque pour les yeux et des rideaux épais. Mais il reconnaît que pour certains de ses collègues, ces horaires de sommeil peuvent nuire à leur vie de famille. « Je suis célibataire et sans enfant, donc cela ne me dérange pas vraiment, mais pour mes confrères qui ont une famille, c'est parfois difficile. Par exemple, s’ils se couchent à 10h du matin et qu'ils doivent aller chercher leurs enfants à l'école à 15h, ils ne bénéficient que de 4 à 5 heures de vrai sommeil ».

À l’inverse, d’autres comme la Dre Gregory, estiment que les horaires nocturnes facilitent leur vie de famille. Elle en a profité pour faire l'école à la maison pour ses enfants, pour les accompagner en excursions ou à leurs activités sportives ou culturelles. Maintenant que ses enfants sont plus âgés et scolarisés, elle peut assister à leurs matchs sportifs et à leurs activités extra-scolaires. « Je dirais qu'être nocturniste est très propice à ma vie de famille », explique-t-elle. « Je suis capable de faire toutes les choses que, traditionnellement, les mères au foyer feraient. Le fait d'être une nocturniste m'a permis d'être beaucoup plus présente pour mes enfants que si je travaillais avec les différentes équipes de jour ou d'après-midi/soir ». Le fait de vivre dans une maison silencieuse, propice au sommeil à horaires décalés, a facilité son travail de nuit. Pour ceux qui n'ont pas cette chance, elle suggère des rideaux ou des volets très occultants, des boules Quies et des appareils comme des ventilateurs qui créent un bruit blanc et gardent les chambres fraîches.

Quid de l’impact sur la santé ?

Les travailleurs de nuit présentent un risque de dépression et d'anxiété majoré de 25 à 40 % par rapport à la population normale. Ces risques proviennent en partie des perturbations du rythme circadien en lien avec les horaires de sommeil, mais aussi de l'alimentation. Les travailleurs de nuit ont souvent le sentiment de ne pas avoir d'autre choix que d'aligner leurs habitudes alimentaires sur leur horaire, ce qui fait de la « collation de minuit » une nécessité plutôt qu'un choix.

« Je ne prends pas de décisions saines avec mon alimentation quand je travaille de nuit », analyse la Dre Lum. « Je prends mon déjeuner vers minuit, ce qui déséquilibre un peu mon corps. Et souvent, la nuit, je vais chercher une collation dans un distributeur automatique, alors qu’en journée je ne prends habituellement pas de collation ».

Planifier les repas à l'avance permet de limiter les impacts négatifs du mode de vie nocturne sur la nutrition. Même si les repas de nuit sont plébiscités par les travailleurs à horaires décalés, de nouvelles données suggèrent que le fait de ne manger que le jour, et pas du tout la nuit, pourrait prévenir les troubles de l'humeur chez les travailleurs de nuit. Il est également important de boire beaucoup d'eau et de bouger pendant les gardes de nuit. Même aux urgences, les nocturnistes ont tendance à passer une grande partie de la nuit à saisir des données sur l’ordinateur, avec un minimum de pauses pour aller aux toilettes ou s'étirer. Il faut donc prendre les escaliers plutôt que l’ascenseur pour se rendre dans d'autres parties de l'hôpital ou faire quelques minutes d’exercice comme des sauts sur place (jumping jacks). « Vous devez bouger dans votre routine, sinon vous pouvez facilement devenir sédentaire, analyse-t-elle. Pour moi, c'est la sédentarité qui fait le plus de mal. Il faut vraiment rester actif ».

Esprit d’équipe, paix et tranquillité

Aussi, « peut-être parce qu'il y a moins de ressources, nous avons tendance à être très axés sur l'équipe », explique la Dre Gregory. « Peu importe la situation qui se présente, c'est l’équipe qui nous permet de se débrouiller et de faire fonctionner le système de soins. Nous devons trouver une solution. C’est cette attitude positive que j’apprécie chez les médecins de nuit ».

Et lorsqu'ils ne sont pas occupés à résoudre un problème de fin de garde, les nocturnistes peuvent même trouver des moments de paix et de tranquillité. « Souvent, je me retrouve seul à 4 h du matin, à errer dans les couloirs vides pendant les nuits calmes », explique le Dr Nguyen. « Je m'y suis habitué. Pour moi, c'est plus étrange de faire des gardes dans la journée, quand l'hôpital est bondé, et qu'il y a tellement de chaos et de bruits. Je dois même attendre pour utiliser l'ascenseur ! »

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