
Dr. Aghakhani
Bicêtre, France – Face à la contestation du peuple, le régime iranien se maintient en usant de la répression. Les médecins font ainsi face sur deux fronts : en tant que citoyens d'une part, comme soignants, d'autre part. Et c'est à ces deux titres, civil et professionnel qu'ils subissent l'arbitraire et la violence.
Dans un communiqué récent, le Pr Dider Samuel, Président de la conférence des doyens des facultés de médecine, le Dr Thierry Godeau, Président de la conférence des présidents de CME des CH, et le Pr Rémi Salomon, Président de la conférence des présidents de CME des CHU, alertaient le corps médical français sur la situation des étudiants et de l'université, des médecins et des hôpitaux en Iran.
Ils dénonçaient tout particulièrement le cas du Dr Hamid Ghareh Hassanlou, arrêté après une manifestation et condamné à mort après un procès expéditif. Medscape édition française a demandé son témoignage au Pr Nozar Aghakhani, neurochirurgien d’origine iranienne exerçant à l’Hôpital du Kremlin-Bicêtre (94).
Medscape France : Alors que la contestation s'étend, la répression se durcit et se banalise en Iran. Quelles sont les conséquences pour les médecins ?
Pr Nozar Aghakhani : Les médecins subissent la pression à double titre : citoyens et soignants. Actuellement, la situation la plus alarmante est celle du Dr Hamid Ghareh Hassanlou, un confrère radiologue condamné à mort par le régime.
Le Dr Ghareh Hassanlou n'a commis aucune violence ; il est au contraire bien connu et apprécié dans la population pour son action philanthropique et notamment dans la construction d'écoles dans les régions défavorisés du pays.
Avec son épouse, il avait participé à une manifestation non loin de leur domicile. Au retour, ne pouvant circuler en voiture, ils ont décidé de rentrer à pied, et sont passés à côté d'un endroit où un milicien venait de se faire passer à tabac par la foule. Il a filmé la scène. Signalons qu'un peu plus loin, il a également croisé un religieux, lui aussi pris à partie par la foule, qu'il a soigné et envoyé à l'hôpital.
Cette personne n’a pu apporter son témoignage car empêchée de le faire.
Dans la nuit, les miliciens sont venus arrêter le Dr Ghareh Hassanlou à son domicile. La violence de son arrestation était telle que les complications ont requis plusieurs interventions chirurgicales. On le voit porter des drains thoraciques sur les images de son procès. Il a toujours nié avoir participé à l’agression de ce milicien.
Le procès s'est limité à trois brèves audiences, lors desquelles son avocat l'a paradoxalement davantage chargé que le juge. Il faut savoir que dans les procès politiques, en Iran, le prévenu doit choisir son avocat sur une liste d’avocats « agréés », établie par le gouvernement.
A l'issue de ces audiences, le Dr Ghareh Hassanlou a été condamné à mort ; la sentence lui a été annoncée sur son lit d'hôpital.
Mme Farzaneh Ghareh Hassanlou, a, elle, été condamné à 25 ans de prison.
Ce sont les faits.
Les institutions de santé iraniennes prennent-elles position ?
Pr Nozar Aghakhani : L'Ordre des Médecins iranien a manifesté publiquement son inquiétude, ce qui est une chose exceptionnelle. La prise de position est bien sûr professionnelle : les médecins demandent à pouvoir faire leur travail – soigner la population – sans pression et librement, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Après les manifestations, les miliciens viennent en effet chercher les blessés aux urgences : il n'est même plus possible de les soigner tranquillement ; l'enceinte des hôpitaux a perdu son caractère sacré.
Dans ces conditions, beaucoup de blessés ne vont plus à l'hôpital, et certains médecins prennent sur eux de les soigner clandestinement, au risque d'être eux-mêmes arrêtés. La Dr Aida Rostami, qui soignait des personnes clandestinement, a été retrouvée morte dans des circonstances non élucidées.
En outre, la répression a fait plus de 450 morts parmi les manifestants, et les médecins ont été quelques fois forcés de mentir sur les causes de décès.
D'une manière générale cependant, même sans décès, les blessures sont graves. Les ophtalmologues ont ainsi protesté contre les tirs à grenaille, qui blessent les yeux des manifestants. Beaucoup de personnes, des jeunes notamment, auraient ainsi perdu la vue.
Il faut y ajouter – et ce n’est pas le moins grave – les traumatismes psychologiques suites aux brutalités physiques et psychologiques que les manifestants et/ou les prisonniers subissent.
Dans quel état le système de soins iranien se trouve-t-il aujourd'hui ?
Pr Nozar Aghakhani : Les hôpitaux manquent de médicaments et de matériel. Le gouvernement prétend que la faute en revient aux sanctions internationales, ce qui n'est vrai que marginalement.
La vraie cause, c'est l'état économique du pays et l’organisation générale du système de santé.
Par ailleurs, pour des motifs à la fois économiques et politiques, beaucoup de médecins iraniens partent à l'étranger.
Le gouvernement lui-même a reconnu, à mi-voix, que l'an dernier, entre 1000 et 1500 médecins avaient quitté le pays.
Ils sont nombreux en France, mais plus encore aux Etats-Unis, où des cliniques fonctionnent avec du personnel entièrement iranien.
Enfin, un certain nombre de postes, dans la hiérarchie médicale, sont occupés par des gens qui ont bénéficié de passe-droits pour accéder à l'université, et dont la principale compétence est l'allégeance au régime.
Ceci se voit d'ailleurs dans tous les secteurs, pas uniquement en médecine.
Selon vous, quelles actions utiles au peuple iranien peuvent être menées depuis la France ?
Pr Nozar Aghakhani : La diaspora iranienne est bien entendu mobilisée, et nous soutenons nos collègues de l'intérieur, en veillant d'abord à ne pas leur nuire.
Une des difficultés d'organisation est que l'on ne sait pas combien de temps la répression va durer.
Pour le moment, l'action la plus efficace reste l'information et la mobilisation de l'opinion publique internationale.
Le fait que les prisonniers soient connus, que leurs histoires se sachent, est pour eux une source d'énergie, et pour le pouvoir, une source de complications.
Le pouvoir fait semblant d'ignorer cette pression extérieure, mais en réalité, elle lui rend les choses plus difficiles.
Ce sont souvent les prisonniers oubliés qui subissent les peines les plus lourdes. Au contraire, à chaque fois que le monde se mobilise, les choses ont plus de chance d’avancer dans le bon sens.
Je suggère donc aux médecins et citoyens français de signaler à leurs élus la situation du Dr Ghareh Hassanlou, pour que l'information remonte et prenne de l'ampleur. La suspension de la peine de mort est une cause humanitaire et éthique qui doit être défendue à l’échelle internationale.
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Citer cet article: En Iran, il devient difficile et dangereux de soigner les victimes de la répression - Medscape - 26 déc 2022.
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