Fatigue et rhumatismes inflammatoires chroniques : inflammation ou dépression ?

Caroline Guignot

Auteurs et déclarations

27 décembre 2022

Paris, France — La fatigue est une préoccupation légitime en rhumatologie : il n’existe pas d’explication évidente, son intensité est variée et son apparition imprévisible, sans amélioration apportée par le repos. Au cours du congrès de la Société Française de Rhumatologie (SFR, Paris 2022) [1], le Pr Philippe Nuss, psychiatre (Paris), a reconnu que le praticien n’est pas toujours outillé face aux pathologies chroniques associées à des symptômes fonctionnels subjectifs.

Il a donc proposé de questionner sa propre approche clinique de la question car « ce type de plaintes invite à abandonner le modèle pasteurien du “causocoque” » (une plainte, une cause) pour prendre une posture de recul à travers trois temps : le temps médical proprement dit, visant à trouver la ou les causes possibles de la fatigue, et le temps de l’approche plus volontiers psychologique, sachant qu’entre les deux intervient la notion de mémoire traumatique liée à la maladie elle-même.

Rechercher une cause biologique

Trouver la cause de la fatigue consiste à évaluer l’ensemble des éléments qui pourraient favoriser la survenue ou le maintien de la fatigue chez un patient atteint d’un rhumatisme inflammatoire chronique.

Les données scientifiques sur le sujet permettent d’évoquer de nombreux éléments aptes à induire ou maintenir la fatigue du patient dans un contexte de maladie inflammatoire chronique : l’activité du système nerveux central et autonome, les systèmes endocrinien et immunitaire, le sommeil, la génétique, le métabolisme, et sans doute le microbiote.

La stratégie de l’organisme pour gérer les ressources en réponse à des facteurs de stress chronique peut aussi le conduire à rationner et détourner l’énergie pour d’autres besoins, conduisant à la fatigue. Dans ce contexte, l’inflammation joue un rôle certain, mais compliqué sachant qu’il n’existe pas de corrélation entre l’inflammation, l’activité de la maladie et la fatigue. Ceci s’explique probablement par l’origine plurifactorielle de cette dernière.

Sur le plan fonctionnel, il est décrit que la modification de la connectivité fonctionnelle ou l’altération de la voie du tryptophane sont également associés à la fatigue. Un bilan compliqué par le fait que « tous ces facteurs peuvent être impliqués à différents moments, mais la plainte exprimée en consultation est souvent liée à un état séquellaire des causes qui ont conduit à cette fatigue et qui ne sont plus d’actualité. » Sans négliger le fait qu’identifier une cause ne veut pas dire qu’il sera possible de la prendre en charge.

Ne pas oublier la mémoire traumatique

Parallèlement, les facteurs psychosociaux vont intervenir : ils invitent à faire un pas de côté en interrogeant et en s’interrogeant, sans jugement a priori ; une plainte importante de fatigue par rapport à une activité modérée ou contrôlée de la maladie doit interpeller plutôt que créer une contre-attitude de la part du praticien.

Car il ne faut pas oublier qu’il existe « une trace mnésique de l’expérience fatigue. Ce qui fait trauma c’est l’expérience du corps, non son intellectualisation. Dès qu’une expérience vécue est ineffable, elle ne peut être narrée et devient traumatique, surtout si cette expérience donne un sentiment d’impuissance au patient ». À l’image d’un stress post-traumatique lié à un évènement extérieur, l’intrusion inattendue de la douleur induit une détresse psychique que le patient va tenter d’éviter en s’adaptant pour éviter ces situations. Il faut donc pouvoir identifier ces fonctionnements.

Enfin, « dire qu’on est fatigué, est toujours plus légitime aux yeux des patients que de dire que l’on est déprimé ou anxieux ». Être déprimé ou anxieux « n’est pas un diagnostic différentiel mais confirmatoire », a insisté le spécialiste. « Le diagnostic de dépression peut se surajouter. Il faut parfois sortir de l’explication que le patient donne, de fatigue liée à la douleur, aux médicaments et rechercher des signes de perte de plaisir ou de motivation dans ses activités du quotidien. »

Faire parler le patient sur ce qu’il ressent peut aider à s’orienter et repérer une vraie fatigue d’une fatigue découlant d’une dépression par exemple. « Il faut prêter davantage d’attention aux détails et au contexte qui vont aider à décrypter des éléments sous-jacents. Un patient qui se dit envahit par la fatigue, n’est pas le même que celui qui constate être très fatigué. Certains décrivent un investissement personnel fort de patient dans des activités familiales, relationnelles ou professionnelles tout en évoquant une très forte fatigue. Il faut comprendre ce qui se cache derrière ».

Le psychiatre a ainsi invité les médecins à faire la clinique de leur propre ressenti face à un patient pour aider à comprendre certains éléments qui pourraient les interpeller. Paraphraser le patient sur sa plainte concernant la fatigue (“si je comprends bien...”) et l’interroger sur ses facteurs de réussite (“comment avez-vous trouvé la force de…”) permet de faire cause commune avec lui et de faire de sa plainte une problématique partagée.

 

Cet article a initialement été publié sur Univadis.fr, membre du réseau Medscape

 

 

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