Paris, France — La Cour des comptes vient de rendre son rapport sur « la vaccination contre la Covid 19 ». Si la France affiche un taux de vaccination plus qu'honorable de sa population, il semble qu'elle ait encore des progrès à faire pour atteindre des populations fragilisées selon l'âge, l'état pathologique ou la précarité socio-professionnelle.
Des vaccins mis au point en un temps record
La campagne vaccinale contre le Covid (débutée le 27 décembre 2020) en France a-t-elle été une réussite ? L'organisation mise en place était-elle optimale ? Combien cela a-t-il coûté ? Y a-t-il des disparités dans la couverture vaccinale selon les types de population ? C'est à l'ensemble de ces questions (et à bien d'autres encore) que la Cour des comptes, dans un rapport rendu public ce jour, a tenté de répondre. « Ce rapport thématique de la Cour est donc le premier rapport public spécifiquement consacré au contexte, à l’organisation et aux résultats de la campagne vaccinale », s'enorgueillit la Cour.
Organisé en trois chapitres, ce rapport aborde dans une première partie le contexte de cette campagne de vaccination, puis son organisation pour finir par évaluer ses résultats. Pour ce qui est du contexte, jamais auparavant une campagne de vaccination n'avait été déployée aussi rapidement, après une épidémie, rappellent les rapporteurs de la rue Cambon.
Un an, à peine, sépare le début de la pandémie de Covid-19 du commencement de la vaccination en France, grâce à l'autorisation de cinq vaccins. Cette campagne de vaccination, autre fait inédit, a vu l'apparition de vaccins à ARN messager, dont l'efficacité a été réévaluée au fil du temps. Ainsi, rapporte la Cour, « les vaccins contre la Covid-19 n’offrent pas une protection absolue : ce n’est jamais le cas des vaccins, mais dans ce cas, le caractère innovant des solutions proposées par la science n’a pu que s’accompagner d’une résolution progressive de multiples interrogations ».
Si ces vaccins innovants ont évité un grand nombre de décès, de l'ordre de 500 000 en Europe selon l'OMS, il s'avère que de nombreuses incertitudes demeurent portant notamment sur « la prévention de la transmission même du virus et l'incidence de l'apparition de nouveaux variants ». Par ailleurs, renchérit la Cour, la protection de ces vaccins « faiblissait en quelques mois, après la vaccination, ce qui a conduit à envisager une répétition des injections ». Quoi qu'il en soit, ces vaccins ont permis d'éviter des formes graves des infections, et de saturer les services de soins intensifs.
Effets secondaires : les pouvoirs publics ont fait preuve de vigilance
Au sujet de la question des effets secondaires, la Cour est catégorique : « À ce jour, les vaccins n’ont pas entraîné d’effets secondaires substantiels, ni dans l’absolu, ni par comparaison avec d’autres produits pharmaceutiques ». Mais, dès qu'un doute est apparu, les pouvoirs publics ont redoublé de vigilance.
La France, à l'instar d'autres États, n'a pas hésité à suspendre le 15 mars 2021 la vaccination avec le vaccin d'AstraZeneca, « du fait d’événements thromboemboliques et des troubles de la coagulation survenus dans d’autres pays européens ». Après examen du dossier et des avis favorables tant de l'Agence européenne du médicament (EMA) que de la Haute autorité de santé (HAS), le gouvernement français a décidé de reprendre la vaccination avec le produit AstraZeneca, dès le 20 mars pour les plus de 55 ans.
Vaccination : la crainte d'une résistance majoritaire de la population a été surévaluée
Qu’en est-il de l'approvisionnement de ces vaccins en France ? Après des débuts jugés catastrophiques par l'opinion publique, la France a rattrapé son retard, non seulement vis-à-vis d'autres pays de l’Union européenne, mais aussi par rapport aux États-Unis ou encore l'Angleterre, qui avait débuté leurs campagnes de vaccination dès novembre et début décembre 2020.
De janvier à février, un peu moins d'un million de Français était éligible à la vaccination (personnes âgées en Ehpad et personnels y travaillant). Dans un second temps, quelque 14 millions de personnes étaient appelées à se faire vacciner, entre mi-février et le printemps 2021, « la vaccination devant ensuite être élargie à l'ensemble de la population ».
Au passage : la crainte d'une résistance majoritaire de la population à la vaccination a été surévaluée : « Le Haut conseil de la santé publique (HCSP) a pour sa part évaluée à 10 % de la population la résistance à la vaccination », note la Cour.
Après une période de pénurie des vaccins, qui a pris fin en 2021, l'ensemble de la population a pu être prise en charge sans anicroche : « L’ouverture de la vaccination à l’ensemble de la population a commencé le 10 mai 2021 par les personnes âgées de 50 ans et plus. Dès le 31 mai 2021, toutes les personnes majeures ont pu être vaccinées. À partir du 15 juin 2021, cela a également été le cas des adolescents de 12 à 17 ans. »
L'accélération de la vaccination a été provoquée par l’instauration d'un pass sanitaire généralisé en juillet 2021, suivie par la mise en place d'un pass vaccinal en janvier 2022 : « L’instauration du pass sanitaire a entraîné une forte augmentation du nombre d’injections : entre le 27 et le 30 juillet, près de 500 000 injections quotidiennes de la première dose de vaccin ont été effectuées, alors que la moyenne des injections était inférieure à 200 000 du 5 au 11 juillet 2021 ; le 13 juillet 2021, le nombre de deuxième injection a atteint son niveau le plus élevé, soit 586 789 injections. »
Couverture vaccinale honorable
En fin de parcours, les résultats obtenus par la France, au titre du premier schéma vaccinal, au regard de ses voisins, restent honorables : « Avec un taux de 78,7 % (données Our World in Data), la France se situe dans une bonne position, meilleure que celles de l’Allemagne et des Pays-Bas et quasi équivalente à celles de la Belgique et de la Finlande. Elle s’inscrit cependant en deçà de celle des pays d’Europe du Sud et du Danemark, les plus performants. »
La Cour fait cependant remarquer que si l'on ne considère que la population éligible et non la population générale, alors le taux de vaccination en France dépasse les 90% : « Ainsi corrigé de la population non éligible à la vaccination, le taux national de vaccination au titre du schéma initial à deux doses gagne 12 points pour atteindre 90,6 % pour les 12 ans et plus et 92,1 % pour les sujets majeurs, selon les données de la Cnam. »
Quid de la dose de rappel, ouverte à l'automne 2021 ? Rapporté à la population générale, le taux n'est que de 59,8%, ce qui peut paraitre faible. Mais rapporté à la population éligible, ce taux est bien meilleur : « Près de 94% des personnes de 18 ans et plus ayant reçu le schéma vaccinal initial auraient bénéficié d’une immunisation supplémentaire soit par l’injection d’une 3ème dose de vaccin, soit par une contamination. »
Disparités selon les régions, l’âge et le niveau socio-économique
Après avoir dressé un constat globalement positif, la Cour des Comptes a aussi pointé un certain nombre de lacunes. Parmi celles-ci, d'importantes disparités territoriales et socio-professionnelles : « le niveau de vaccination est plus élevé sur la façade Atlantique et plus faible sur l’arc méditerranéen. La vaccination est particulièrement faible dans certains départements et régions d’Outre-mer, avec respectivement 39,6 %, 45,2% et 46,3 % pour la Guyane, la Guadeloupe et la Martinique. »
Par ailleurs, les données de la Drees semblent démontrer « une moindre adhésion à la vaccination pour les catégories sociales les moins aisées » affirme la Cour.
Plus inquiétant : la classe d’âge des 80 ans et plus est la moins bien vaccinée des populations majeures, « avec un taux de 88 % pour le schéma initial à deux doses contre 89,5 % pour l’ensemble des autres majeurs (de 18 à 79 ans) ». Cause de cette défaillance : l'isolement de ces personnes âgées, la difficulté pour eux de prendre un rendez-vous sur Internet, la crainte d'être contaminé dans un centre de vaccination...
Pour ce qui est du deuxième rappel, ouvert le 14 mars 2022, les chiffres ne sont pas bons : le taux de vaccination des personnes de plus de 60 ans ne dépasse pas 33,6%.
« Au regard de l’impulsion de protection que procure la deuxième dose de rappel (ou « booster ») contre les formes graves de Covid 19, ces taux peuvent apparaître inquiétants, d’autant que le rythme d’augmentation du nombre de personnes bénéficiant d’une seconde dose de rappel se tasse, alors que la circulation du virus s’accélère au cours de l’automne 2022 », s'inquiète la Cour des comptes.
Les rapporteurs remarquent aussi que certaines populations vulnérables dont le taux de vaccination dans le schéma initial est inférieur à la moyenne nationale : « les taux sont moins favorables pour le spectre des troubles mentaux ou liés à des dépendances : 71,8 % pour les personnes dépendantes aux opioïdes ; 85,5 % pour celles atteintes de pathologies liées à l’alcool ; 85,4 % pour celles affectées par des troubles psychiatriques et 87,2 % pour celles connaissant des troubles psychotiques ».
Le taux de vaccination en rappel des personnes dialysées chronique est lui aussi bas : 59,6%, « alors qu’elles sont exposées à un risque élevé de formes sévères de Covid en cas de contamination ».
La Cour regrette aussi l'échec de la vaccination des enfants de 5 à 11 ans : « le taux de vaccination par une dose unique était légèrement inférieur à 6 % ; celui du schéma initial à deux doses était encore plus faible, à 4,5 % ». Une exception française, puisque « début avril 2022, l’Espagne et le Portugal avaient d’ores et déjà vacciné environ la moitié des enfants de moins de 12 ans (avec respectivement 54 % et 48, 5 %), la Belgique et l’Italie de l’ordre d’un tiers (respectivement 33,2 % et 37,8 %) et l’Allemagne plus d’un cinquième (22 %) ».
10 % des doses pourraient avoir été perdues
Enfin, la Cour des Comptes dresse, comme son nom l’indique, le bilan comptable de la vaccination qui aura couté, en tout et pour tout, 8,5 milliards d'euros entre 2020 et 2022, dont 7,6 milliards d'euros pour la France, et 0,5 milliards pour l'aide internationale. Y a-t-il eu du gâchis ? « En rapprochant les livraisons de doses de vaccins, les stocks et les injections, il est possible d’estimer qu’environ 10 % des doses pourraient avoir été perdues jusqu’en mars 2022 », estime la Cour. Ces pertes seraient dues à des conditionnement peu adaptés, à des flacons partiellement utilisés, à des doses perdues par les professionnels de santé et à des pertes liées à des erreurs humaines. Sur les années 2021, 2022, 2023, la Cour estime le coût d'une dose à 50 euros environ.
Les recommandations de la Cour des comptes
1. Permettre à la Haute autorité de santé d’assurer ses missions de recommandation, de conseil et d’avis en matière de vaccination dans des contextes de grande urgence ;
2. Définir des procédures dérogatoires à même de permettre la distribution dans les Ehpad des produits de santé affectés par des situations de crise ou de pénurie ;
3. Identifier a priori un vivier de vaccinateurs à mobiliser ;
4. Inscrire la démarche d’« aller-vers le public cible » parmi les objectifs des politiques sanitaires de prévention et de la convention d’objectifs et de gestion (COG) de l’Assurance Maladie pour les années 2023 à 2027 ;
5. Pérenniser l’envoi par l’Assurance Maladie de listes aux médecins traitants de leurs patients concernés par les actions de prévention des principales pathologies ;
6. Inscrire parmi les objectifs opérationnels des principaux détenteurs de données de santé, la publication de données de vaccination anonymisées.
Suivez Medscape en français sur Twitter.
Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur Twitter.
Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix
Crédit de Une : Dreamstime
Actualités Medscape © 2022
Citer cet article: Vaccination COVID: un bilan plutôt positif, mais des lacunes chez les populations vulnérables, selon la Cour des Comptes - Medscape - 19 déc 2022.
Commenter