Un médicament à dose unique pourrait-il signer la fin de la maladie du sommeil ?

Kate Johnson

Auteurs et déclarations

15 décembre 2022

Kinshasa, République démocratique du Congo – Selon les résultats d’un essai clinique testant un médicament expérimental à dose unique, une seule dose d’acoziborole par voie orale a entraîné un taux de guérison ou de guérison probable de plus de 95 % de la trypanosomiase humaine africaine (THA), également connue sous le nom de maladie du sommeil.

Les résultats de l’étude multicentrique, prospective, ouverte, à un seul bras, non comparative et de phase 2/3 ont été publiés dans The Lancet[1]

Ce médicament a « le potentiel de révolutionner le traitement » de la maladie, qui reste endémique en Afrique subsaharienne, a déclaré dans un communiqué de presse le Dr Antoine Tarral, chef du programme clinique sur la trypanosomiase humaine africaine à l’initiative du Drugs for Neglected Diseases (DNDi), basée à Genève, en Suisse, et auteur principal de l’étude.

« C’est une nouvelle fantastique, car c’est la première fois qu’on peut traiter la maladie avec une seule administration », a-t-il déclaré à l’édition américaine de Medscape. « C’est le premier médicament que nous pouvons utiliser sans hospitalisation... tous les médicaments précédents nécessitaient une hospitalisation, et nous ne pouvions donc pas traiter la population de manière précoce, avant que les patients ne commencent à exprimer des symptômes. »

 
C’est le premier médicament que nous pouvons utiliser sans hospitalisation.
 

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) « travaille depuis des décennies à cette possibilité de mettre en œuvre une nouvelle stratégie pour cette maladie », a déclaré le Dr Tarral.

Les directives actuelles (2019) de l’OMS recommandent le fexinidazole par voie orale comme traitement de première intention, quel que soit le stade de la maladie. Le traitement de 10 jours nécessite souvent une hospitalisation et du personnel qualifié. Les recommandations précédentes nécessitaient une stadification de la maladie avec un prélèvement de liquide céphalorachidien et 7 jours de pentamidine intramusculaire pour la maladie au stade précoce ou une thérapie combinée nifurtimox-eflornithine avec hospitalisation pour la maladie au stade avancé.

En revanche, l’acoziborole, qui a été codéveloppé par le DNDi et les laboratoires Sanofi, « est administré en une seule dose et est efficace à tous les stades de la maladie, éliminant ainsi les nombreuses barrières actuellement en place pour les personnes les plus vulnérables aux maladies, telles que les traitements invasifs et les longues distances à parcourir pour se rendre dans un hôpital ou une clinique. Ce traitement ouvre la porte à des approches de dépistage et de traitement dans les villages n’ayant pas accès aux soins », a déclaré le Dr Tarral dans le communiqué.

« Ce développement signifie que nous pouvons opter pour un test simple et un traitement simple, ce qui signifie que nous pouvons atteindre l’objectif 2030 de l’OMS de mettre fin à la transmission de cette maladie. »

Conception pragmatique de l’étude

La maladie du sommeil est causée par le parasite Trypanosoma brucei gambiense (THA gambiense). Elle est transmise par la mouche tsé-tsé et est généralement mortelle en l’absence de traitement.

L’étude a recruté 208 adultes et adolescents (167 à un stade avancé et 41 à un stade précoce ou intermédiaire) dans 10 hôpitaux de la République démocratique du Congo et de la Guinée. Tous les patients ont été traités par 960 mg d’acoziborole – une conception inhabituelle de l’étude.

« En raison de la baisse substantielle de l’incidence, le recrutement de patients atteints de la THA gambiense dans des essais cliniques est un défi », ont écrit les auteurs. « Suivant les conseils de l’Agence européenne des médicaments, cette étude a été conçue comme un essai ouvert, à un seul bras, sans groupe de comparaison ou de contrôle. »

Après 18 mois de suivi, le succès du traitement, défini comme l’absence de trypanosomes et < 20 globules blancs par μL de liquide céphalorachidien, est survenu chez 159 (95,2 %) des patients en phase avancée et chez 100 % des patients en phase précoce et intermédiaire, « ce qui est similaire aux résultats historiques pour le traitement combiné nifurtimox-eflornithine », ont noté les auteurs.

Des événements indésirables graves liés au traitement ont été signalés chez 21 (10 %) des patients, « mais aucun de ces événements n’a été considéré comme lié au médicament », ont-ils ajouté.

Le DNDi et l’OMS sont sur le point d’achever un essai beaucoup plus vaste, en double aveugle, contrôlé par placebo, sur l’acoziborole afin « d’augmenter la base de données sur la sécurité », a expliqué le Dr Tarral.

« Les puristes diront que l’acoziborole n’a pas été évalué selon les normes actuelles, parce que l’étude n’était pas un essai randomisé, qu’il n’y avait pas de groupe témoin et que le nombre de participants était faible », a déclaré le Dr Jacques Pépin, (Université de Sherbrooke – Québec, Canada), dans un commentaire.

« Mais il s’agissait de défis difficiles à relever, compte tenu de la réduction drastique du nombre de patients atteints de THA et de leur dispersion sur un vaste territoire, notamment en République démocratique du Congo. Pour ces raisons, les auteurs ont plutôt adopté une approche pragmatique », a-t-il écrit.

Un nouvel outil potentiel pour l’éradication de la maladie du sommeil

« Il s’agit d’un développement vraiment passionnant, qui sera utile dans la campagne d’éradication/interruption de la transmission de cette maladie », a déclaré le Dr Pépin à l’édition américaine de Medscape.

Le Dr Pépin a traité environ 1 000 patients atteints de trypanosomiase lors d’une épidémie au Zaïre au début des années 1980. Comme la période d’incubation asymptomatique de la maladie peut durer plusieurs mois, voire plusieurs années, « la stratégie de base pour contrôler la maladie est le dépistage actif », a-t-il déclaré lors d’une interview.

« Vous essayez de convaincre l’ensemble de la population des villages endémiques de se présenter un jour donné, puis vous avez une équipe mobile d’infirmières qui examinent tout le monde, en essayant de trouver ceux qui ont une trypanosomiase précoce. Cela comprend un examen physique des ganglions lymphatiques du cou, mais aussi un test sanguin dont les résultats sont disponibles en quelques minutes seulement. […] Jusqu’à présent, ces personnes ayant une sérologie positive devaient subir des examens sanguins supplémentaires, qui demandaient beaucoup de travail, pour essayer de trouver des trypanosomes et prouver qu’elles avaient la maladie. À ce jour, les personnes ayant une sérologie positive et des tests parasitologiques négatifs (les “suspects sérologiques”) n’étaient pas traitées, parce que les traitements étaient toxiques et lourds, et parce qu’une proportion importante mais inconnue de ces “suspects” ont juste un faux positif de leur test sérologique, sans avoir la maladie », a-t-il précisé.

« Désormais, avec l’acoziborole, qui semble avoir peu de toxicité grave... et qui peut être administré en une seule dose par voie orale, il pourrait être raisonnable de traiter ceux qu’on appelle les “suspects sérologiques” », a-t-il ajouté.

« Si l’on va un peu plus loin, il pourrait être possible de ne faire que le test sérologique et de traiter tous les individus dont la sérologie est positive sans prendre la peine de faire des tests parasitologiques. C’est ce qu’on appelle la stratégie “tester et traiter”. Cela aurait du sens, à condition que nous soyons sûrs que le médicament soit très bien toléré. »

Le Dr Pépin ajoute qu’il est « juste légèrement inquiet » au sujet de trois patients décrits dans l’article qui ont présenté des effets indésirables psychiatriques trois mois après le traitement. « Si cela arrive à des patients qui ont effectivement la trypanosomiase, c’est un prix raisonnable à payer compte tenu de la toxicité des autres médicaments. Si cela arrive à des suspects sérologiques, dont beaucoup n’ont aucune maladie, cela devient un sujet de préoccupation. »

Mais selon le Dr Tarral, « nous n’avons aucune indication que le médicament puisse provoquer des symptômes psychiatriques. En fait, les symptômes psychiatriques ne sont pas apparus – ils sont réapparus après 3 mois en raison du refus de certains patients d’être suivis ».

« Nous avons inclus des patients à des stades très avancés de la maladie, et ces symptômes sont considérés comme des séquelles de la maladie », a poursuivi le Dr Tarral. « La majorité des patients qui présentent de tels symptômes psychiatriques ont besoin d’un suivi après le traitement, sinon, ils peuvent rechuter très tôt. De nombreux patients présentaient de tels symptômes et les investigateurs ont proposé qu’ils soient suivis par un psychiatre, mais certains d’entre eux ont refusé. Seuls trois de nos patients ont eu cette rechute, et ils ont été guéris après un soutien psychiatrique. »

 

Financements et liens d’intérêts
L’étude a été financée par le DNDi et a bénéficié de subventions de la Fondation Bill & Melinda Gates, de UK Aid, du ministère fédéral de l’Éducation et de la Recherche par le biais du Kreditanstalt für Wiederaufbau (connu sous le nom de KfW), en Allemagne, de l’Agence suisse pour le développement et la coopération, de Médecins Sans Frontières, du ministère néerlandais des Affaires étrangères, aux Pays-Bas, de l’Agence norvégienne pour la coopération au développement, de la Fondation Stavros Niarchos, de l’Agence espagnole pour la coopération internationale au développement, en Espagne, et de la Fondation Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (connue sous le nom de BBVA). Un certain nombre de chercheurs de l’étude, dont le Dr Tarral, déclarent travailler pour le DNDi. D’autres investigateurs déclarent avoir reçu des honoraires du DNDi pour le rapport statistique, des honoraires de consultation de CEMAG, D&A Pharma, Inventiva, et OT4B Pharma. L’Institut Tropical et de Santé Publique Suisse a agi en tant que prestataire de services pour la DNDi en surveillant les sites de l’étude. Le Dr Pépin n’a déclaré aucune relation financière pertinente.

 

Cet article a initialement été publié sur Medscape.com sous l’intitulé Will a One-Dose Drug Mean the End of Sleeping Sickness? Traduit par Mona El-Guechati.

 

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