Paris, France — Depuis le retour des Talibans en août 2021, l'activité de l'hôpital français de Kaboul en Afghanistan est dans un état dramatique, a expliqué le Dr Éric Cheysson (chirurgie vasculaire et thoracique, hôpital René Dubos, Pontoise), président de la Chaine de l'espoir, lors des Rencontres Internationales de la Chirurgie Francophone organisées par l’Académie Nationale de Chirurgie fin novembre. Il témoigne pour Medscape édition française.

Dr Éric Cheysson
Medscape édition française : Quelle est la situation à l'hôpital français de Kaboul depuis le retour des talibans ?
Dr Éric Cheysson : Nous n'avions pas prévu ce nouveau drame, à savoir le retour des Talibans le 15 aout 2021. Ce fut la panique totale, car les Afghans avaient déjà connu les Talibans entre 1996 et 2001.
On a essayé de les faire passer pour des Talibans modérés, mais plus ça va, et plus on s'aperçoit que ce sont exactement les mêmes. La semaine dernière les Talibans ont signé un nouveau décret interdisant les bains publics aux femmes, ce qui est dramatique, étant donné qu'en Afghanistan il n'y a pas d'eau courante et pas d'eau chaude. Elles sont également interdites de jardin public, de sport, tandis que de nouveau les Talibans pratiquent des châtiments corporels en public, à savoir des lapidations et des amputations dans les stades...
La situation empire donc de jour en jour et nous le constatons à l'hôpital puisque nous sommes assaillis de patients...
Nous avons néanmoins repris les missions : la semaine dernière, l'équipe de chirurgie cardiaque de l'hôpital de Toulouse était à Kaboul suivie par une équipe londonienne. Nous y avons envoyé également des anesthésistes et des gynécologues, j'y étais moi-même il y a 10 jours.
Nous continuons de faire fonctionner l'hôpital avec l'appui du centre de crises du Quai d'Orsay. Nous avons pour le moment réussi à faire en sorte que le personnel féminin continue de travailler : sur 1000 salariés, nous avons 230 femmes. Nous avons aussi imposé au ministère de la santé afghan de faire en sorte que l'ensemble des patients soit soigné sans discrimination de genre ou d'ethnie.

Unité de soin intensif en néo-natalogie, crédit DR
Il faut savoir qu'actuellement, dans les hôpitaux afghans, il n'y a plus de consommables, et les salaires ne sont plus versés du fait de l'embargo financier international : les 9 milliards de la banque afghane sont bloqués par les Américains et les Européens.
Hôpital de Kaboul, crédit DR
L'hôpital est-il en mesure de fonctionner avec le personnel local ?
Dr Éric Cheysson : Nous avons arrêté les missions en aout 2021 et nous les avons reprises en mars dernier, date à laquelle je suis retourné en Afghanistan. L'Afghanistan connait actuellement une fuite des cerveaux, de nombreux médecins quittent le pays. Sur 1000 personnels, 270 ont fui. Sur 9 réanimateurs par exemple, il ne nous en reste qu'un. Alors que la réanimation de l'hôpital français de Kaboul est la seule réanimation néonatale d'Afghanistan. C'est pour cela que nous envoyons de nouvelles missions pour suppléer et former de nouveaux personnels.
Trouvez-vous des volontaires facilement pour ces missions ?
Dr Éric Cheysson : Au départ, les gens ont peur mais dès qu'ils connaissent l'Afghanistan ils ne souhaitent plus qu'une chose, c'est y retourner. C'est un pays fascinant du fait de ses paysages, sa population... Mais il est vrai que nous rencontrons des difficultés pour trouver des volontaires pour au moins deux raisons : l'Afghanistan malgré tout fait peur, et nous sommes en France en pleine crise de la démographie médicale.
Vous arrivez à recruter à l'international ?
Dr Éric Cheysson : Nous recrutons à l'international et c'est pour cela que j'étais dernièrement aux États-Unis, pour convaincre nos collègues américains, anglais, et européens de faire fonctionner cet hôpital.
Vous avez évoqué un afflux très important de patients récemment à l'hôpital, à quoi est-ce dû ? Effondrement du système de santé ou dégradation de l'état sanitaire de la population ?
Dr Éric Cheysson : Les deux. Qui plus est, l'accès aux soins dans le Pavillon de la femme et de l'enfant est entièrement gratuit. C'est un des rares endroits où les soins sont entièrement gratuits. Aussi, depuis l'arrivée des Talibans, il est plus facile de circuler et les patients peuvent se déplacer jusqu'à nous plus aisément.
Quelle est l'incidence de cette situation sur l'activité de chirurgie cardiaque à l'hôpital ?
Dr Éric Cheysson : Il y a des listes d'attente de plusieurs milliers d'enfants, ce sont des enfants en sursis. Ils devraient normalement être opérés dans la période post-natale ou dans les premières années, mais nous voyons beaucoup d'enfants qui ont entre six et huit ans...

Consultation en écho-cardiographie, crédit DR
Quelle sont les pathologies que vous rencontrez ?
Dr Éric Cheysson : Ce sont les pathologies de la misère, notamment les pathologies rhumatismales, que l'on ne rencontre plus en France mais aussi les pathologies congénitales, qui ne sont pas prises en charge. C'est la même chose en ce qui concerne les pathologies viscérales, la chirurgie orthopédique, la chirurgie plastique... Les listes d'attente sont considérables... Juste après le retour des Talibans, en aout 2021, il y a eu entre trois et six mois de sidération pendant lesquels le pays était inaccessible.
Vous ne travaillez donc pas de manière sereine ?
Dr Éric Cheysson : Non absolument pas, nous sommes dans l'incertitude la plus totale, d'autant que la fuite des cerveaux se poursuit. Je suis incapable de vous dire de quoi demain sera fait. Et la situation politique est très instable, les Talibans sont divisés en deux camps, entre les radicaux de Kandahar, et des Talibans plus "modérés" qui manifestement n'ont pas le pouvoir actuellement.
À court terme, de quoi a besoin l’hôpital de Kaboul ?
Dr Éric Cheysson : Des compétences et de l'argent. Nous sommes pour le moment en partie financé par le centre de crises du quai d'Orsay, mais nous sommes en difficulté pour faire fonctionner le Pavillon qui est gratuit, ainsi qu'un service nutrition de 12 lits, qui est sur financement propre. Le programme nutrition nécessite un budget d'environ 500 000 euros.
Nous rencontrons aussi un autre problème : auparavant nous avions un accord avec le gouvernement pour bénéficier de l'électricité gratuite, mais les Talibans ont rompu cet accord et ils nous réclament un arriéré de paiement d'1,3 million d'euros... Chaque jour, nous rencontrons de nouvelles problématiques.
Quels sont les autres sources de financement à part le centre de crises ?
Dr Éric Cheysson : Aucune, sinon les dons provenant de La Chaine de l'Espoir. Conséquemment, l'activité de l'hôpital de Kaboul est en sursis. Au Pavillon, avant le retour des Talibans, nous opérions 150 enfants et femmes tous les mois. Le mois dernier nous en avons opéré 550, plus de trois fois la moyenne en temps normal. Ce qui veut dire que nous consommons nos budgets à une vitesse fulgurante. Nous arrivons à assurer cette activité grâce à nos missions essentiellement françaises, mais aussi anglaises. Les missions se succèdent en chirurgie cardiaque, anesthésie, réanimation, gynéco...

Bloc de chirurgie cardiaque, crédit DR
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Citer cet article: Retour des Talibans : « l'activité de l'hôpital français de Kaboul est en sursis » - Medscape - 14 déc 2022.
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