POINT DE VUE

Augmentation des cancers du sujet âgé : il faut réorganiser le parcours de soins

Vincent Bargoin

Auteurs et déclarations

14 décembre 2022

France—Sur les 382 000 cancers diagnostiqués en France en 2018, quelques 60% l'ont été chez des sujets de 65 ans et plus, et 30% chez des sujets de 75 ans et plus.

La démographie va amplifier cette situation dans les prochaines années, de même, par un vrai-faux paradoxe, que les gains de survie thérapeutiques dans les maladies chroniques.

Pour faire face, c'est tout le parcours de soin qu'il faut réorganiser.

Les recommandations du groupe PAC (priorités âge cancer), avec le soutien institutionnel de Sanofi dans le cadre de son engagement mondial « When Cancer Grows Old », sont faites pour répondre à ce défi.

Elles proposent l’implication d’une infirmière pivot, faisant le lien entre les différents professionnels de santé, le patient lui-même, et éventuellement ses aidants.

A l'occasion des 18èmes Journées Nationales de la Société Francophone d'Onco-Gériatrie (SOFOG ; 22-25 novembre 2022), le  Président de son Conseil Scientifique, le Pr Pierre Soubeyran (Directeur adjoint Inserm U1312 et Directeur de la recherche de l'Institut Bergonié, Bordeaux), fait un point sur ces questions.

Pr Pierre Soubeyran

La prise en charge des patients âgés atteints de cancer, est en débat depuis un certain temps déjà. Où en est-on ?

Pr Pierre Soubeyran : Le mouvement général va dans le bon sens.

Ainsi, le décret du 26 avril 2022 fait maintenant obligation de « proposer un traitement adapté aux patients âgés à risque ou en perte d’autonomie atteints de cancer ».

Signalons que l'INCa s'est montré très proactif dans ce décret, ce qui témoigne de son implication.

La situation est cependant complexe, parce que la prise en charge de ces patients l'est elle-même.

Après 70 ans, les deux-tiers des patients atteints de cancer présentent d'autres risques, allant du syndrome gériatrique avec risque de chute, aux maladies chroniques, cardiovasculaires, neurologiques…

Dans ces conditions, il faut réorganiser la filière de soins. La prise en charge est naturellement hyperspécialisée, mais le regard de l'hyperspécialiste ne suffit pas. D'une part, plusieurs regards spécialisés sont généralement nécessaires. D'autre part, ces regards spécialisés doivent être croisés avec un regard généraliste.

Il est donc souhaitable de centrer le modèle de prise en charge sur une IPA ou une infirmière de coordination, qui fait le lien entre le cancérologue, le cardiologue, le diabétologue, le gériatre etc, le médecin de ville, le pharmacien de ville également, qui pourrait être davantage impliqué dans le dispositif, le patient, et ses proches et aidants.

A propos des aidants, rappelons d'ailleurs que, comme les patients, ils sont eux-mêmes de plus en plus âgés.

 
Il est souhaitable de centrer le modèle de prise en charge sur une IPA ou une infirmière de coordination, qui fait le lien entre le cancérologue, le cardiologue, le diabétologue, le gériatre etc, le médecin de ville, le pharmacien de ville […], le patient, et ses proches et aidants.
 

La grande question est celle de la communication ?

Pr Pierre Soubeyran : En un sens, oui. La multiplicité de points de vue est importante, médicaux et non médicaux, et il faut que ces points de vue soient partagés pour coordonner les décisions.

Avec les IPA, un nouveau métier a été créé pour assurer cette fonction. Ce métier doit encore se développer.

Des outils numériques sont également expérimentés. En Région Nouvelle Aquitaine, une messagerie entre professionnels de santé, dite Paaco-Globule a ainsi été déployée, avec le soutien de l'ARS. Il s'agit d'un bel outil, mais son utilisation dans d'autres régions dépend aussi des possibilités de la petite entreprise, locale, qui l'a développé.

Les tenants et aboutissants de la réorganisation du parcours de soins sont évidemment multiples.

Que demandez-vous aux pouvoirs publics ?

Pr Pierre Soubeyran : La question de la prise en charge des patients âgés, multimorbides, reste trop souvent abordée de manière parcellaire, sans vision d'ensemble.

Cette démarche laisse de côté des questions essentielles, en les faisant apparaître comme parfaitement connexes.

Pour prendre un exemple : les patients-experts.

Si l'objectif est une prise en charge centrée sur le patient, ils ont évidemment un rôle-clé. Ils participent aux réunions, travaillent comme les experts : par conséquent, quand envisagera-t-on de les rémunérer ?

Beaucoup de questions faussement secondaires restent ainsi en suspens, qu'il s'agirait de prendre à bras le corps. En faisant les choses sérieusement, la collectivité finira par faire des économies.

 
En faisant les choses sérieusement, la collectivité finira par faire des économies.
 

Sur le plan scientifique, quelle est votre démarche ?

Pr Pierre Soubeyran : Le modèle de prise en charge associe les différents intervenants médicaux, une coordination de l'information par un professionnel aidé d'outils numériques adaptés, et la place centrale du patient.

Aujourd'hui, ce modèle fait consensus dans les sociétés scientifiques : la question est de le valider.

Pour démontrer son bénéfice, l'Université de Bordeaux a répondu à un appel d'offre européen et lancé l'étude GéRonTe .

Commencée en avril 2021, l'étude se déroule dans huit centres français, en Belgique et aux Pays-Bas, mais associe des institutions académiques de sept pays européens.

Les patients sont atteints d'un cancer et d’au moins une autre affection. Ils sont pris en charge en onco-gériatrie (oncologue et gériatre), et par un médecin généraliste. Une IPA coordonne cette prise en charge grâce à un tableau de bord numérique, qui permet à chacun de disposer de la même information sur le cancer, sur les autres morbidités, ainsi que d'éléments gériatriques.

Enfin, cette information partagée comporte les souhaits du patient sur ce qu'il attend de sa prise en charge.

Le patient utilise d'ailleurs lui-même cet outil pour rapporter ses éventuels symptômes à l'infirmière pivot, et recevoir des conseils en retour.

Les résultats porteront sur la qualité de vie et différents critères médico-économiques. Ils ne sont cependant pas attendus avant 2025-2026.

Parallèlement à l'étude proprement dite, une réflexion a commencé sur l'adaptation de ce modèle dans différents pays européens. Ce travail est confié à l'Université de Dublin. Il s'agit de tenir compte non seulement des spécificités nationales des systèmes de santé, mais aussi des initiatives locales, qu'il s'agit de développer et d'intégrer. Citons par exemple le programme « Bien Vieillir », du CHU de Nice. Nous espérons ainsi améliorer les choses en travaillant à la fois à l'échelon local et à l'échelon européen.

 
Pour démontrer le benefice de ce modèle, l'Université de Bordeaux a répondu à un appel d'offre européen et lancé l'étude. GéRonTe
 

 

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