Paris, France – Entre le raz-de-marée annoncé des lasers dans la chirurgie de l’hypertrophie bénigne de prostate (HBP), le recul chaque année plus marqué de la chirurgie ouverte et la pléthore de techniques alternatives mini-invasives, une étude fait le point sur la réalité des pratiques entre 2017 et 2021 et révèle quelques surprises.
L’auteur de ce travail, le Pr Marian Devonec, professeur honoraire de chirurgie urologique (GH Lyon Sud, Université Claude Bernard Lyon I), se livre à une explication de texte pour Medscape édition française, à l’occasion du 116e congrès français d’urologie[1].
Depuis 2017, la nouvelle classification CCAM permet d’identifier les différentes techniques chirurgicales utilisées pour le traitement de l’hypertrophie bénigne de prostate (HBP), auparavant restreintes à deux codes CCAM : voie endoscopique et voie ouverte (transvésicale et transcapsulaire).
Avant 2017, il était de ce fait impossible de s’y retrouver entre les différentes techniques par voie endoscopique. Depuis 2017, il existe 9 codes CCAM distincts (voir encadré ci-dessous), qui permettent de connaître chaque année le nombre d’interventions pour chirurgie de l’HBP et la durée moyenne de séjour (DMS) pour chacune des techniques utilisées par l’ensemble des urologues des établissements publics et privés en France. Ces données sont disponibles sur scansanté.fr (Agence technique de l’information sur l’hospitalisation).
AVANT 2017: 2 codes CCAM voie endoscopique et voie ouverte
APRES 2017: 9 codes
JGFA005 adénomectomie ouverte transvésicale
JGFA009 adénomectomie ouverte transcapsulaire
JGFE023 01 résection monopolaire copeaux
JGFE023 02 résection bipolaire copeaux
JGFE023 03 clivage monopolaire
JGFE023 04 clivage bipolaire
JGFE365 01 laser Greenlight
JGFE365 02 laser Thulium
JGFE365 03 laser Holmium
70 000 chirurgies de l’HBP par an en France
Les années se suivent et se ressemblent avec un nombre de chirurgies pour HBP stable, aux alentours de 70 000 interventions entre 2017 et 2021, sauf en 2020 où, pour cause de pandémie de Covid-19, ce chiffre n’a été que de 60 000.
Bond des résections avec courant bipolaire par copeaux
Entre 2017 et 2021, le nombre d’adénomectomies par voie ouverte a baissé de 28 % (JGFA005 et 009) et celui de résections avec courant monopolaire avec copeaux de 21 % (JGFE023 01). Le nombre de résections avec courant bipolaire par copeaux a fait un bond de + 75 % (JGFE023 02).
La part de l’énucléation (clivage entre l’adénome et la capsule prostatique) par courant mono ou bipolaire demeure faible (JGFE023 03 et 04).
« La résection complète mono ou bipolaire par copeaux ou clivage reste encore en 2022 dans notre pays, le standard du traitement curatif et définitif de l’HBP », résume le Pr Marian Devonec.

28 % des interventions pour HBP sont pratiquées au laser
Après plus de 10 ans de pratique, les lasers ne représentent qu’un quart des interventions pour HBP. Leur progression globale est presque exclusivement portée par le laser Holmium (16 % des interventions ; code JGFE365 03), alors que le laser Greenlight (JGFE365 01) plafonne à 10 % et le laser Thulium (JGFE365 02) à 2 %.
« Le laser Holmium a progressivement remplacé la voie chirurgicale ouverte pour les grosses prostates ; il a ainsi réduit de manière significative leur durée moyenne de séjour », commente le Pr Marian Devonec.

Durée de séjour : le laser ne tient pas ses promesses
Sur ces 5 années d’étude, la durée moyenne de séjour (DMS) pour adénomectomie par voie ouverte est de 8 jours, celle pour résection par copeaux ou énucléation mono ou bipolaire de l’ordre de 4 jours et celle des lasers de l’ordre de 3 jours. Entre 2017 et 2021, la durée moyenne de séjour pour la chirurgie ouverte a baissé de 1,5 journée, celle de la résection mono et bipolaire de 1,5 à 2 journées. En revanche, celle des lasers n’a pas accusé de baisse significative et stagne à 3 jours. Par conséquent, « la différence entre les DMS des lasers et de l’énucléation bipolaire n’est que de 0,8 jour seulement », souligne le Pr Devonec.

« Au vu de ces durées moyennes de séjour, on constate que le laser ne tient pas la promesse d’un traitement ambulatoire attendu par la Haute autorité de santé (HAS), affirme le Pr Devonec. Pour preuve, la différence de la durée moyenne de séjour pour les lasers versus celle de la résection bipolaire n’est que d’une seule journée, y compris pour le laser Greenlight réputé pour son hémostase peropératoire. »

Annoncée au début des années 2010, la révolution des lasers n’a pas eu lieu. Les résections mono et bipolaire restent très majoritaires (65 %).
« Plusieurs explications à cela, avance le Pr Devonec, d’abord liées au coût de l’appareillage et des consommables, à la difficulté de formation à la technique, au faible nombre de sites formateurs, à une longue courbe d’apprentissage, ou encore à l’évolution constante des techniques qui, malgré les années, ne sont pas définitivement standardisées.
Les complications peuvent également être mentionnées, avec la morcellation des lobes énucléés refoulés dans la vessie, la fréquence de l’incontinence post opératoire (un problème qu’il ne faut pas nier ni banaliser en tant que suite normale de la chirurgie de l’HBP) et enfin l’hyperactivité vésicale secondaire à la cicatrisation de la brûlure du laser Greenlight. De plus, la valorisation et l’incitation en faveur d’une durée moyenne de séjour plus courte en cas d’intervention par laser serait insuffisante de la part des autorités de santé. Enfin, le manque de structure, de moyens techniques et humains pour le suivi postopératoire n’incite pas à la pratique de l’ambulatoire. »
Saignement en période postopératoire : un réel problème
Si la durée moyenne de séjour tourne autour de 3 jours, l’hémostase postopératoire pourrait bien en être l’une des raisons majeures. Le saignement en période postopératoire reste d’ailleurs un réel problème, qu’aucune instrumentation en 2022 ne permet de contrôler de façon sûre et reproductible.
« Il existe une méconnaissance de ces données factuelles, pour ne pas dire leur déni, assure l’urologue. L’hémostase reste un problème prouvé par les chiffres officiels communiqués aux autorités de santé par les urologues eux-mêmes. La reprise pour décaillotage vésical ne reste-t-elle pas la crainte du spécialiste et de l’équipe soignante lesquels, par sécurité pour le patient, préfèrent prolonger son hospitalisation ? Il nous faut absolument trouver une manière de standardiser l’hémostase postopératoire avec un dispositif médical dédié et une technique d’hémostase standardisée. La lourdeur du processus « innovation, évaluation, certification » d’un nouveau dispositif médical par les organismes règlementaires est dissuasive pour les industriels, de même que la récente législation européenne MDR (medical device regulation). »
Changer les habitudes professionnelles
Le Pr Devonec souligne également la difficulté à changer les habitudes professionnelles, par exemple la pratique de l’irrigation vésicale systématique après chirurgie de l’HBP employée pour éviter la formation de caillots dans la vessie. Cela a pour conséquence un risque d’obstruction de la sonde laissée en place après l’intervention par les caillots.
« C’est un non-sens physiologique, explique le spécialiste, puisque l’irrigation vésicale entretient le saignement en éliminant les facteurs de coagulation par le lavage, ceci dans l’attente…. d’une hémostase spontanée, qui va alors prendre un à deux jours ! Il faut au contraire favoriser l’hémostase et la formation du caillot et surtout contrôler son volume, en le réduisant à celui de la cavité creusée à l’intérieur de la prostate, c’est-à-dire à 5 ou 10 cc seulement. La lyse physiologique d’un caillot de ce petit volume diminuera également le risque de reprise de saignement du patient après son retour à domicile. Ce saignement secondaire appelé « chute d’escarre » provient de la libération physiologique de plasminogène, lors de la lyse du caillot. Le plasminogène – agent anticoagulant naturel – réactive et entretient le saignement. En toute logique, l’hémostase, c’est favoriser la formation du caillot et non l’inverse avec le lavage vésical. Le saignement per et post-opératoire reste d’actualité ; en effet, la fréquence des traitements anti-agrégant plaquettaire et anticoagulant progresse dans la tranche d’âge des patients opérés de la prostate. »
Les nouvelles techniques se pressent au portillon
Rezum*, Urolift**, I-tind***, Aquablation****, Tulsa*****… Autant de nouvelles techniques mini-invasives et hétérogènes qui viennent concurrencer les lasers. Toutes n’en sont pas au même stade de validation, loin de là.
« Cette profusion technique pourrait jouer en défaveur de leur progression par rapport à la résection classique par courant mono ou bipolaire, analyse l’urologue. En effet, comment savoir si le moment est opportun pour investir dans une technologie nouvelle, et laquelle, alors qu’elles sont souvent onéreuses ? D’autant que la concurrence du mini-invasif est rude, à grand renfort de communications scientifiques et de marketing. A ce titre, vanter la possibilité de préserver l’éjaculation est-il un argument pertinent, alors que la moyenne d’âge des patients opérés est de 70 ans et qu’éjaculation rétrograde ne signifie pas absence d’orgasme ? La véritable séquelle, mais pas formellement garantie, est la stérilité. Ce à quoi, le patient informé honnêtement, répondra souvent en souriant : vous pensez bien Docteur, que j’ai passé l’âge. Opérez-moi de façon classique ».
* Le système Rezum est une thermothérapie à la vapeur d’eau.
** La pose d’implants Urolift® est une procédure mini-invasive consistant à comprimer mécaniquement les lobes prostatiques par des implants, avec pour conséquence immédiate une expansion de la lumière urétrale (en attente de cotation).
*** I-tind est un dispositif en nitinol que l’on positionne temporairement dans l’urètre prostatique pour élargir le passage et faciliter la miction (en attente de cotation).
**** L’aquablation est une technique mini-invasive innovante utilisant un jet d’eau à haute pression délivré par une plateforme robotisée. Le traitement est guidé par vision endoscopique et échographique transrectale simultanée.
***** L’ablation transurétrale par ultrasons focalisés (TULSA) est réalisée en combinaison avec le guidage par IRM.
Le Pr Marian Devonec déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en relation avec cette présentation.
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Crédit image de Une : Dreamstime
Crédit graphes intérieurs : Pr Devonec
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Citer cet article: Chirurgie de l’hypertrophie bénigne de prostate : quels progrès? - Medscape - 13 déc 2022.
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