
Dr Guillaume Fond
France – Les interactions bidirectionnelles entre le système nerveux central (SNC) et le système gastro-intestinal sont aujourd’hui de plus en plus reconnues comme étant impliquées dans les mécanismes physiopathologiques sous-jacents de différents troubles somatiques et neuropsychiatriques, dont la dépression. Le Dr Guillaume Fond, psychiatre (AP-HM, Marseille) et auteur de l’ouvrage Bien manger pour ne plus déprimer a rappelé les différentes voies mises en jeu, le rôle du microbiote et l’intérêt potentiel des probiotiques [1].
Intestin et cerveau : une influence mutuelle
L’intestin et le cerveau exercent une influence mutuelle dont la compréhension a considérablement progressé au cours de la dernière décennie, notamment avec la découverte de l’importance du microbiote – 1,5 kg de bactéries présentes dans l’intestin. L’une des preuves les plus marquantes du rôle de ce dernier dans la santé mentale est l’apparition chez l’animal de symptômes évoquant la maladie mentale après transfert d’un microbiote d’un être humain souffrant de cette pathologie. Cela a été démontré pour la dépression, l’autisme, la schizophrénie, l’anxiété associée au syndrome de l’intestin irritable et la maladie de Parkinson.
Des études publiées récemment montrent, par ailleurs, que les patients dépressifs présentaient des microbiotes moins riches et moins diversifiés que les personnes en bonne santé mentale (Fond G, 2020). En général, le microbiote de l’adulte est dominé à 90% par les phyla Bacteroidetes et Firmicutes. Les études chez les patients dépressifs et dans les modèles animaux ont révélé des altérations dans l’abondance de différentes espèces parmi les phyla Bacteroidetes, Firmicutes, Proteobacteria et Actinobacteria (Winter G, 2018).
Concernant les interactions entre cerveau et intestin, nous savons aussi désormais que le stress psychologique peut augmenter la libération de cortisol, qui va augmenter la perméabilité intestinale.
A l’inverse, l’intestin peut communiquer avec le cerveau par la libération d’hormones que l’on retrouve au niveau des cellules de l’intestin mais aussi dans les circuits émotionnels du cerveau. Les modèles animaux ont montré que le microbiote intestinal fournissait le cerveau en sérotonine mais également en dopamine, GABA, acétylcholine, noradrénaline et endocannabinoïdes.
Enfin, l’intestin est connecté directement au cerveau par le nerf vague, le plus long nerf de l’organisme dont 80% des informations vont de l’intestin vers le cerveau et sont traitées de façon inconsciente à chaque instant par le cerveau.
La modulation du microbiote : une approche pertinente
« Prendre soin de son intestin est donc indispensable au fonctionnement du cerveau et au bien-être mental. Un cerveau perturbé va en effet être plus vulnérable à l’anxiété, à la dépression, aux troubles du sommeil et à la baisse des performances cognitives », considère le Dr Fond.
Toutes ces connaissances font de la modulation du microbiote une approche pertinente pour la prise en charge de troubles relevant de la sphère de la santé mentale comme l’anxiété, le stress, voire la dépression. D’où l’importance de l’alimentation – régime méditerranéen, anti-inflammatoire –, de l’apport de certains nutriments – les oméga-3 en tête –, vitamines et minéraux et potentiellement des probiotiques comme alternatives ou compléments de choix pour aider à préserver ou à réparer l’équilibre psychique.
« Il est aujourd’hui parfaitement démontré dans plusieurs méta-analyses que la consommation de fruits, de légumes et l’alimentation méditerranéenne ont un effet à la fois préventif et curatif sur l’anxiété et la dépression, tout comme l’activité physique », affirme le psychiatre.
La piste des psychobiotiques
« Grâce à une série de méta-analyses parues tout récemment incluant plusieurs dizaines d’études, nous disposons désormais de preuves de l’effet des probiotiques en santé mentale – en curatif mais non en préventif », ajoute le médecin marseillais.
Des études précliniques et cliniques ont en effet montré que certaines souches probiotiques (voir encadré), utilisées seules ou en association, pouvaient avoir un impact sur les réactions liées au stress, à l’anxiété, à la dépression, aux fonctions cognitives, et au comportement. Les probiotiques (et/ou prébiotiques) qui régulent le fonctionnement du SNC par des voies neurales, humorales, et métaboliques, afin d’améliorer la santé mentale sont appelés psychobiotiques.
Une méta-analyse a montré que la prise de probiotiques réduisait le stress subjectif chez des volontaires sans modifier les taux de cortisol. Et cinq méta-analyses ont conclu à l’efficacité des probiotiques dans la dépression (Huang R, 2016 ; Ng Q, 2018 ; Liu B, 2018 ; Goh K, 2019 ; El Dib R, 2021). Cet effet était plus important si les analyses étaient restreintes aux patients les plus sévèrement atteints, un effet classique retrouvé avec d’autres traitements actifs (comme les antidépresseurs).
Pour le Dr Guillaume Fond, les probiotiques trouvent toute leur place dans l’arsenal thérapeutique du traitement de la dépression, en complément aux antidépresseurs, aux côtés des oméga-3. D’ailleurs des recommandations publiées en mars 2022 par deux sociétés savantes de psychiatrie (World Federation of Societies of Biological Psychiatry (WFSBP) et Canadian Network for Mood and Anxiety Treatment Taskforce (CANMAT)) sur les compléments alimentaires (nutraceutics) qui peuvent être proposés dans le traitement de la dépression recommandent les oméga-3, la vitamine D, le zinc, les probiotiques, de même que de la phytothérapie dans les troubles anxieux.
Qu’est-ce que les probiotiques ?
Les probiotiques sont des bactéries ou des levures, encapsulées la plupart du temps. Ils sont disponibles dans le commerce sous forme de gélules ou de comprimés, de sachets de poudre, sous forme de liquides et dans des aliments spécifiques, tel que le yaourt. « La plupart des études testent des probiotiques, alors que la plupart des produits vendus dans le commerce sont des postbiotiques. Si le produit se conserve à température ambiante, il s’agit d’un postbiotique », indique le Dr Fond.
Le Dr Guillaume Fond est orateur pour le laboratoire Pileje.
Il est l’auteur de l’ouvrage Bien manger pour ne plus déprimer (Prendre soin de son intestin pour prendre soin de son cerveau), Ed. Odile Jacob, 2022, 267 p, 22,90 €

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Citer cet article: Santé mentale : l’importance de l’axe intestin-cerveau - Medscape - 12 déc 2022.
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