Paris, France - Les pneumologues ont été submergés d’appels après une interview sur BFMTV d’un responsable d’Enedis annonçant que les patients sous assistance respiratoire à haut risque vital ne seraient pas exemptés d’éventuelles coupures électriques. Le Dr Frédéric Le Guillou, pneumologue au Pradet (Var) et président de l'association Santé respiratoire France met les points sur les i. « Les professionnels sont organisés pour maintenir à domicile les patients insuffisants respiratoires dans de bonnes conditions. Ce n’est pas une panne de courant de deux heures qui va changer quoi que ce soit », affirme-t-il à Medscape édition française.

Dr Frédéric Le Guillou
Ces dernières heures, vous prenez la parole pour rassurer les patients sous assistance respiratoire du faible risque que feraient courir d’éventuelles coupures de courant. Pourquoi ? Avez-vous le sentiment que certains font inutilement peur aux insuffisants respiratoires ?
Dr Frédéric Le Guillou : Oui. Or, il ne faut surtout pas agiter la peur, elle est extrêmement mauvaise conseillère. En France, près de 140 000 personnes sont sous oxygène au long cours (depuis plus de 3 mois), 1,5 million de personnes utilisent un appareil pour les apnées du sommeil et 95 000 sont sous ventilation non invasive (sorte de dialyse respiratoire qui permet d’épurer le gaz carbonique tout en assurant une ventilation). Or, pour la très grande majorité de ces patients, d’éventuelles coupures de courant ne causeront aucun problème majeur.
On est devant un faux problème ?
Dr Frédéric Le Guillou : Bien sûr. Il n’y a pas de drame quand les patients souffrant d’apnées du sommeil n’utilisent pas leur appareil une nuit. Pour la ventilation non-invasive, 85% le portent moins de 12 heures par jour. Il suffit d’adapter les horaires de traitement et cela ne pose pas de problème pendant les deux heures de coupure. Enfin, la plupart des patients sous oxygénothérapie le sont 15 heures ou 18 heures par jour. Il leur suffit là aussi d’adapter les horaires. Pour les personnes sous oxygène plus de 20 heures sur 24, la loi impose d’avoir un obus d’oxygène gazeux [bouteille de 15 litres] en cas de problème.
Le risque de coupure électrique est donc déjà pleinement pris en compte dans le suivi des patients sous respirateurs artificiels ?
Dr Frédéric Le Guillou : Evidemment ! Les patients peuvent avoir des travaux à leur domicile et ne pas avoir de courant, il peut y avoir un gros orage et une coupure d’électricité. Plein d’aléas de la vie peuvent entraîner des coupures de courant. Nous n’avons pas attendu qu’un responsable d’Enedis vienne donner des consignes à la télévision pour nous organiser. Tout a été pensé depuis de très nombreuses années pour garantir la sécurité aux patients à leur domicile. Que ce soient les professionnels de santé, les industriels qui fabriquent le matériel ou les prestataires à domicile qui l’apportent et en assurent l’entretien.
Aujourd'hui, les appareils respiratoires électriques disposent-ils tous d’une batterie de secours avec un minimum d’autonomie ?
Dr Frédéric Le Guillou : Oui. Il existe des dispositifs portables qui ne fonctionnent que sur batterie, ils rechargent sur le courant et la batterie a ensuite une autonomie de 2 heures. Les appareils de ventilation ont des batteries de secours. Quand, sur le plateau du Téléthon, des personnes myopathes trachéotomisés avec une ventilation restent assis sur leur fauteuil pendant plusieurs heures, personne ne se pose la question de savoir comment fonctionne leur appareil respiratoire et pourquoi il n’est pas branché sur le secteur. Leurs appareils ont des batteries. N’agitons pas la peur en créant de faux problèmes.
Y a-t-il tout de même une catégorie de patients plus à risque pour lesquels les une vigilance accrue s’impose ?
Dr Frédéric Le Guillou : Oui mais ces patients sont identifiés, connus des médecins ou des prestataires. Il est prévu, s’il y a des coupures, que cette population sera prévenue au moins 24 heures à l’avance, ce qui lui permettra de s’organiser (lire ci-dessous). Ces patients chroniques ont parfois des pathologies sévères mais ils sont bien adaptés à leur domicile. S’ils préfèrent se déplacer, ils peuvent se rendre chez des amis ou d’autres membres de leur famille non concernés par les coupures. Mais surtout, qu’ils n'aillent pas surcharger les hôpitaux, ça ne sert à rien ! Les hôpitaux n’ont pas besoin de cela à l’heure actuelle. Des pannes de courant de plusieurs heures, la France en a déjà connu, comme lors de la tempête Xynthia fin février 2010, par exemple. Il faut déplacer les patients dans un endroit où ils auront de l’électricité mais pas à l’hôpital au moment où le Covid monte en flèche.
En tant que pneumologue, êtes-vous directement confrontés ces derniers jours à l’inquiétude de patients ?
Dr Frédéric Le Guillou : Mais bien sûr ! L’agitation qu’il y a eu à la suite de la prise de parole de ce responsable d’Enedis et la manière dont cela est repris par des médias qui font leur beurre sur la peur des gens est catastrophique. Cela a créé une peur infondée chez nos patients, un climat de défiance. A la suite de cette intervention, les cabinets de pneumologie ont été submergés d’appels de patients affolés ! Je le dis avec force, les professionnels sont organisés pour pouvoir maintenir à domicile les patients insuffisants respiratoires dans de bonnes conditions. Ce n’est pas une panne de courant de deux heures qui va changer quoi que ce soit.
Comment expliquez-vous que les patients, qui connaissent très bien leur pathologie, soient si inquiets ?
Dr Frédéric Le Guillou : Les patients subissent cette situation, ils ne l’ont pas choisie. Il n’y a pas de fondement scientifique ni médical à cette réaction. Quand certains prennent le train ou un avion long-courrier, ils ne se posent pas la question à partir du moment où c’est leur choix personnel. De la même façon une personne opposée aux vaccins fera le vaccin contre la fièvre jaune si elle veut réaliser un voyage à l’étranger. On peut se déplacer, avec un appareil respiratoire, avec une autonomie suffisante, ce n’est absolument pas un problème. Les patients ont plus que besoin d’une information de qualité, c’est important.
Patients à haut risque vital, ce qui est prévu par les autorités
Ils pourront être délestés mais ne seront pas délaissés. Les patients dits à haut risque vital (sous respirateur artificiel plus de 20 heures par jour) ne font pas partie des clients prioritaires définis par les préfectures pour être exemptés de coupures de courant. Ils pourront donc être concernés par les délestages, comme l’a affirmé à BFMTV Laurent Méric, porte-parole d’Enedis. Ces patients à haut risque vital ou les parents d’un enfant sous nutrition parentérale peuvent bénéficier d’un service particulier pour être informés en amont d’une coupure électrique programmée ou accidentelle.
Il leur faut pour cela se faire connaître auprès de leur ARS qui préviendra le fournisseur d’électricité (retrouver les modalités précises d’inscription sur le site de l’ARS d’Ile-de-France qui exige un certificat médical et de remplir un formulaire spécifique).
En cas de coupure imprévue, ses patients disposeront d’un numéro de téléphone dédié qu’ils pourront composer pour connaître la durée probable de la coupure, leur permettant de s’organiser. Dans le cas d’une procédure de délestage, le service de distribution d’électricité contactera par téléphone les patients concernés pour s’assurer qu’ils sont bien informés.
Enedis a indiqué que les coupures seraient au plus tard annoncées 24 à 48 heures avant et qu’elles ne dureraient pas plus de deux heures. Dans les cas les plus à risque, les malades seront en outre « aidés » par Enedis et transportés « dans un endroit qui ne sera pas délesté pour que la plus grande garantie leur soit apportée ».
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Citer cet article: Patients sous assistance respiratoire : « d’éventuelles coupures de courant ne causeront aucun problème majeur » - Medscape - 8 déc 2022.
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