Transplantation rénale : quels sont les freins à un accès équitable ?

Stéphanie Lavaud

Auteurs et déclarations

8 décembre 2022

Paris, France — A ce jour, il faut compter 2 ans en moyenne quand on est sur liste d’attente pour accéder à la transplantation rénale – un délai qui peut d’être plus long selon l’âge du receveur, sa localisation géographique mais surtout selon son statut immunitaire, et ce bien que les critères d’attribution aient été repensés ces dernières années pour lutter contre les inégalités. La Dr Sarah Drouin (chirurgien urologue, La Pitié-Salpêtrière) a fait le point sur les délais d’attente à la greffe rénale lors du dernier congrès d’urologie ( AFU 2022 ).

Moins de donneurs et une liste d’attente qui s’allonge

« Le prélèvement de rein ne va pas très bien, a expliqué d’emblée l’oratrice. Versus 2017, on est à – 17% de donneurs. Le Covid peut expliquer cette chute mais en 2021, le différentiel était toujours de – 14%, ce qui montre une baisse importante des donneurs décédés par mort encéphalique ». Pourquoi ce recul ? « Parce que les donneurs d’autrefois n’en sont plus, considère la chirurgienne. Aujourd’hui, les AVC sont sauvés grâce à la thrombolyse et la prise en charge précoce, qui se traduit par une baisse de 30% en 5 ans de ces donneurs ».

En parallèle, la liste d’inscrits à la greffe continue de s’allonger – mais moins en 2020 à cause du Covid. « En 2021, on a 20 000 inscrits en liste d’attente, soit 21 nouveaux inscrits tous les jours alors que l’on ne réalise que 14 greffes par jour, en tenant compte des 2,6 personnes sur liste d’attente de transplantation qui décèdent tous les jours – un chiffre non négligeable », commente la Dr Drouin.

Qui sont les personnes greffées ? Certaines catégories de patients sont-elles désavantagées ? Dans un rapport récent, l’Agence de Biomédecine a noté que trois catégories de patients étaient très défavorisées dans leur accès à la greffe :

les patients jeunes – être dans la tranche 18-44 ans est un facteur de risque important de non-greffe –, le fait d’être hyperimmunisés et résider en Ile-de-France.

La question de l’âge du receveur

Il existe un bénéfice de la transplantation rénale chez les patients âgés. « Chez les plus de 70 ans, une fois passé le risque de complications – souvent chirurgicales – des deux premières années, vous avez une bien meilleure survie une fois greffé que sur liste d’attente », indique la Dr Drouin. Ce bénéfice est encore plus significatif chez les plus de 79 ans, qui ont alors une survie moyenne à 5 ans de 55%. « A titre individuel, il y a donc un bénéfice à être transplanté quand on est très âgé versus la dialyse, où la mortalité cardiovasculaire est très nettement augmentée ».

De plus, les donneurs sont de plus en plus âgés : les donneurs avaient en moyenne 55 ans en 2011, ils ont 59 ans en 2021 – ce qui est en accord avec l’âge des patients en attente : en 2008, 1600 patients avaient plus de 66 ans, on a aujourd’hui 5500.

En revanche, si on s’intéresse à la survie des patients greffés, à 17 ans, on a plus de 90% de chances d’être en vie à 85 ans, alors que si on est greffé entre 65 et 74 ans, la mortalité est non négligeable.

« On a donc certes une population âgée en attente de plus en plus importante et il y a un bénéfice, à titre individuel à être greffé plutôt qu’à rester en dialyse, mais la mortalité est importante. C’est pourquoi, il est important de ne pas sacrifier un greffon jeune pour une personne âgée ou favoriser les personnes âgées comme cela a été fait jusque-là au détriment des patients jeunes », résume l’urologue parisienne.

Deuxième écueil à la greffe : l’hyperimmunisation

La présence d’une immunisation anti-HLA est l’un des obstacles les plus fréquents et les plus difficiles à franchir pour l’accès à la greffe rénale. Qui est concerné ? « Les femmes enceintes à chaque grossesse, les patients à chaque fois qu’ils sont transfusés et à chaque fois qu’ils sont greffés, plus certains phénomènes immunisants que l’on ne connait très bien et qui font que l’on peut avoir des hommes jeunes de 20 ans jamais transfusés avec des auto-anticorps » répond l’oratrice.

Ce phénomène d’hyperimmunisation devient tellement prépondérant que l’Agence de biomédecine a créé un indice, TGI, qui correspond au pourcentage de donneurs pour lequel le receveur n’est pas compatible au cours des 5 précédentes années.

Un TGI à 0, cela signifie que le receveur était compatible avec tous les donneurs du même groupe sanguin, si le TGI est à 100%, aucun donneur n’aurait été compatible au cours des 5 dernières années.

L’hyperimmunisation correspond à un TGI supérieur à 85 %. Ce TGI augmente le délai d’attente, augmente le risque de rejet et diminue la durée de vie.

« Des protocoles de désensibilisation existent mais ne sont pas très efficaces, souligne l’urologue, ce qui pose problème car les hyperimmunisés sont en augmentation, de 2000 dans les années 2008, ils sont 3200 actuellement ».

Troisième obstacle : la disparité régionale

Sans que l’on s’explique pourquoi, l’insuffisance rénale terminale a une incidence différente sur le territoire français. De plus, le rythme des inscriptions sur liste d’attente n’est pas le même selon les régions de France. « En Ile-de-France, on inscrit beaucoup, alors que dans le Nord-Ouest, on inscrit très peu. Non seulement, vous n’avez pas la même probabilité d’être insuffisant rénal, mais vous n’avez pas la même probabilité d’accéder à la greffe, résume la Dr Drouin.

Par ailleurs, l’Ile-de-France est la région où on pratique le moins de prélèvements multi-organes par habitant. Donc beaucoup d’inscrits et très peu de donneurs, soit une inégalité très importante. A titre d’exemple, si l’on compare l’Ile-de-France et la Bretagne, la probabilité d’être inscrit sur liste d’attente en Ile-de-France est 5 fois plus importante mais on a 5 fois moins de chances d’être greffé en région parisienne ».

Quelles solutions pour réduire les délais d’attente ?

Face à ces inégalités d’accès à la greffe, plusieurs solutions ont été mises en place pour réduire les délais d’attente et augmenter le nombre de personnes pouvant être transplantées. La première d’entre elle a consisté à augmenter le pool de donneurs.

Cela a été le cas avec les protocoles Maastricht 2 et 3 (voir encadré ci-dessous), « mais le taux d’opposition reste de l’ordre 50% - ce qui est beaucoup sur donneur décédé », a indiqué l’urologue.

Tout récemment (mai 2021), l’autorisation de prélèvement et de greffe d’organes provenant de donneurs porteurs de marqueurs du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) a ouvert la possibilité à des personnes infectées par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) de donner leurs organes à des personnes elles-mêmes vivant avec le VIH.

« En septembre 2022, on comptait un donneur VIH + et deux receveurs VIH+ qui avaient bénéficié de greffons rénaux ».

Enfin, la dernière option est celle de la xénotransplantation avec le succès de la greffe d'un rein de cochon génétiquement modifié sur une femme de 66 ans en état de mort cérébrale en septembre 2021, a rappelé la Drouin tout en précisant « n’être pas sûre que le cochon soit le donneur de demain, ou en tout cas pas tout de suite ».

Autre option pour accroître le pool de reins susceptibles d’être greffés : augmenter la durée des greffons, « car un moyen supplémentaire de diminuer la liste d’attente est de faire en sorte que les greffons durent plus longtemps », a expliqué l’oratrice.

Une des façons d’y arriver est de diminuer l’ischémie froide, notamment en rendant prioritaire l’accès au bloc opératoire en cas de greffe, tel que préconisé par le Plan ministériel 2022-2026 ou en mettant les greffons sur machine – « 6 % en 2011 l’était, ils sont aujourd’hui 89%, ce qui est un succès qu’il faut amplifier » a-t-elle commenté.

Enfin, il faut éviter tous mésappariements HLA, pour limiter les risques de rejet.

Comment rendre l’attribution des greffons plus équitables ?

Enfin, pour que l’accès à la greffe soit plus égalitaire, les critères pour la répartition des reins de donneurs décédés ont été modifiés afin que les hyperimmunisés soient prioritaires. Ainsi, « l’Agence de biomédecine a établi un nouveau score d’allocation des greffons en 2015, de façon à avoir un système équitable pour les urgences et les hyperimmunisés et efficace en termes immunologique, en termes d’âge et de temps de transport », a établi la Dr Drouin.

Qu’en est-il aujourd’hui avec ce nouveau score et les nouvelles modalités d’appariement ? « A 3 ans, 49,5% des patients inscrits sur liste d’attente pour un rein – y compris les patients pédiatriques – sont greffés. Un résultat dont on se satisfait d’autant moins que pendant ces 3 ans, 8% des patients sur liste d’attente vont décéder », indique l’oratrice.

Le délai d’attente global, tout patient confondu, est de 2 ans (24,3 mois), sachant que les groupes B et O sont très défavorisés avec des délais d’attente de plus de 3 ans – « sans que l’on ait de solutions à proposer sauf à bénéficier d’un greffon de donneur vivant ». Autre notion dont on dispose : un patient qui est incompatible avec plus de 85% des donneurs au cours des 5 dernières années, attendra 39/40 mois, soit plus de 3 ans. Malheureusement, l’accumulation des facteurs de risque fait qu’un patient de groupe sanguin B avec 85% d’anticorps (hyperimmunisé) verra son délai d’attente s’allonger à plus de 10 ans.

Enfin, avec ce nouveau score, ce ne sont plus les jeunes qui sont défavorisés comme auparavant mais la tranche d’âge 56-75 ans, de même que les habitants d’Ile-de-France.

Quelles informations en tirer pour les urologues ?

Toutes ces données sont autant d’informations à prendre en considération quand un urologue a un patient insuffisant rénal devant lui. Face à un patient qui va s’aggraver, le spécialiste doit s’interroger la question avant de le transfuser. « S’il faut le greffer un jour, lui rajouter 50% d’anticorps diminue ses chances en termes de greffe », a rappelé la Dr Drouin.

Pour conclure sur cette pénurie de greffons « toujours croissante et qui n’est pas sur le point de s’arrêter », l’urologue conseille à ses collègues d’avoir en tête et de dire au patient qu’il en a en moyenne pour deux ans d’attente sur liste d’attente – 40 mois pour certaines populations ».

Elle considère en effet que c’est une information importante à prendre en compte dans sa pratique au quotidien quand on prend en charge des patients insuffisants rénaux, des patients dialysés ou qui ont une pathologie familiale qui les conduira sans doute un jour à être transplanté.

 

Les catégories de « Maastricht » correspondent à quatre situations distinctes pouvant ou non donner lieu à prélèvement :

  • les personnes qui font un arrêt cardiaque en dehors de tout contexte de prise en charge médicalisée et pour lesquelles le prélèvement d’organes ne pourra être envisagé que si la mise en œuvre de gestes de réanimation de qualité a été réalisée moins de 30 minutes après l’arrêt cardiaque (stade I de Maastricht) ;

  • les personnes qui font un arrêt cardiaque en présence de secours qualifiés, aptes à réaliser un massage cardiaque et une ventilation mécanique efficaces, mais dont la réanimation ne permettra pas une récupération hémodynamique (stade II de Maastricht) ;

  • les personnes pour lesquelles une décision d’un arrêt de soins en réanimation est prise en raison de leur pronostic (stade III de Maastricht) ;

  • les personnes décédées en mort encéphalique qui font un arrêt cardiaque irréversible au cours de la prise en charge en réanimation (stade IV de Maastricht).

 

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