POINT DE VUE

Triple épidémie hivernale : comment faire face à cette saison hors norme?

Véronique Duqueroy

Auteurs et déclarations

7 décembre 2022

Selon le Dr Benjamin Davido (infectiologue, hôpital Raymond-Poincaré, Garches), l’hôpital se retrouve à nouveau dans une situation inédite et inquiétante : il doit désormais faire face à une triple épidémie exceptionnelle, avec une grippe saisonnière particulièrement précoce, une explosion de cas d’infections à VRS et un retour en force du SARS-CoV-2. Gestes barrières, nouvelles campagnes de vaccination et de prévention… Comment expliquer ce contexte épidémique très particulier et quelles solutions envisager?

Medscape : On constate un contexte épidémique actuellement inquiétant dans plusieurs pays. Était-ce prévisible selon vous?

Dr Benjamin Davido : Factuellement, il y a en effet une triple épidémie de grippe, d’infections au virus respiratoire syncitial (VRS) et de Covid-19. Certains chiffres font froid dans le dos et il semble qu’aucun pays n’y échappe : on rapporte plus de 20% de cas positifs de grippe aux États-Unis ― avec une couverture vaccinale antigrippale largement insuffisante un peu partout dans le monde, et notamment en Europe. Ce scénario avait été prédit, car il y eu une vague très importante de grippe en Australie cet été. À cela s’ajoute l’alerte du ECDC sur la bronchiolite et la reprise de la circulation du SARS-CoV-2, avec une hausse conséquente des hospitalisations (+18 % en services de réanimation en France actuellement). Et c’est sans compter ce qui se passe en Chine. Nous avons subi le variant BQ 1.1 de façon mondiale, alors que la population n'est quasiment plus immunisée puisque peu de gens ont fait le rappel bivalent ciblé Omicron (~10% en France).

Dr Benjamin Davido

Cette situation est donc particulièrement inquiétante. Nous assistons à une saison avec un nombre important d’infections respiratoires en tout genre et c’est inédit dans l’ère post-Covid. Tous les jours, je suis sollicité pour des hospitalisations de pneumopathies, y compris bactériennes. Sur les trois derniers mois, on voyait quelques patients âgés qui arrivaient dans le service, au fil de l'eau. Aujourd’hui, la moyenne d'âge de mes patients est entre 50 et 60 ans, et certains ont parfois la trentaine, comme cette patiente, sans comorbidité, qui est arrivée la semaine dernière pour une pneumonie (une grippe grave) et qui a dû passer par la case réanimation. J’observe à nouveau des entrées en médecine intensive et réanimation, y compris une femme de 60 ans qui n’avait jamais été vaccinée contre le Covid ; la réanimation cherche logiquement des lits d’aval.… C’est encore une fois l’occasion de rappeler qu’avec Omicron, le risque de décès chez les patients hospitalisés est de 7 % contre des 12 % lors de la vague delta.

 
Nous assistons à une saison avec un nombre important d’infections respiratoires en tout genre et c’est inédit dans l’ère post-Covid.
 

En quoi la rapidité de cette épidémie est-elle exceptionnelle ?

Avant la pandémie de Covid-19, les hospitalisations pour la grippe commençaient entre fin décembre et début janvier, avec un pic à la fin-janvier. Aujourd’hui, un malade sur deux pour lequel on m'appelle est un cas de grippe. Je suis étonné de la rapidité à laquelle cela évolue. Nous étions pendant un certain temps dans une zone d'ombre puisqu’on ne testait pas la grippe en ville, il a donc été difficile d’évaluer l’arrivée de cette vague inédite de grippe hospitalière dans l’ère Covid. Mais nous sommes maintenant en situation de gestion de crise d'épidémie ― on se réunit d’ailleurs cette semaine pour répertorier les lits disponibles en gériatrie, en prévision.

Quant au Covid, avec le variant actuel (BQ1.1) qui est encore plus contagieux que le précédent (BA.5), la vague frappe très vite (+37% de cas en 1 semaine). C'est peut-être d’ailleurs la seule bonne nouvelle, elle devrait passer rapidement, mais le corollaire, bien entendu, sera la surcharge hospitalière inhérente aux formes sévères. Et encore une fois, s'il n’y a que 10 à 20 % de la population cible qui est protégée contre BA.5, on va se retrouver dans une situation franchement très embarrassante compte-tenu de l’absence totale de gestes barrières au quotidien.

Concernant le VRS, je pense qu'on a sous-estimé la situation. On a mobilisé du personnel médical et paramédical sur la bronchiolite à l'hôpital pour contrer une épidémie pédiatrique, alors que venait s’ajouter une double épidémie chez les « adultes ». Une de nos erreurs est que depuis 2 ans, on s’est tellement focalisé sur le Covid, qu'on n'a pas imaginé que le débordement pouvait arriver d'ailleurs.

Quelles solutions peuvent être envisagées actuellement pour limiter la tension hospitalière dans ce contexte hivernal inédit ?

Plus les vagues vont se succéder et plus elles vont éroder l’hôpital, c'est certain. Mais ce qui est presque étonnant, c'est alors qu'aujourd'hui des traitements (nirmatrelvir/ritonavir) et des vaccins sont disponibles, rien n’est mis en place. On est passé d'un extrême à l'autre, à savoir d'une société presque hygiéniste ― à tort ou à raison ― avec des restrictions allant jusqu’au port du masque en extérieur sans substrat scientifique, à un ras-le-bol général où on ne veut plus entendre parler ni du Covid, ni du masque. Comme on a levé tous ces gestes barrières, on a donné du sang frais à ces virus d'antan (grippe et VRS). On est dans un scénario radicalement différent de l'année précédente, et je ne parle même pas de 2020 où il n’y a eu qu’une trentaine de cas de grippe graves répertoriés… Aujourd’hui que ce soit le vaccin ou les gestes barrières ou les deux, il n'y a plus de règles, plus de boussole! Or, je pense que dès qu'arrive l'hiver météorologique, à savoir le 1er décembre, il faut commencer à remettre les masques dans des lieux d'affluence et anticiper la vaccination des personnes à risque.

 
Dès qu'arrive l'hiver météorologique, à savoir le 1er décembre, il faut commencer à remettre les masques dans des lieux d'affluence.
 

Cela paraît complètement fou d’arriver dans cette période de l'hiver sans calibrer nos outils de surveillance épidémique, que ce soient les tests de dépistage, les campagnes de rappel vaccinal, l’application des gestes barrières etc. Si on continue comme ça, les prochaines vagues risquent bel et bien de fracasser l'hôpital.

Pensez-vous que les personnes sont suffisamment informées, que ce soit sur la vaccination ou les gestes barrières?

Je ne crois pas que ce soit bien expliqué. Concernant la vaccination, il faut arrêter de raisonner en fonction du nombre de doses, mais plutôt penser en termes de vaccins de nouvelle génération. Je reçois de nombreux témoignages de gens qui ignorent que les moins de 60 ans peuvent être vaccinés. Certains souhaiteraient recevoir des rappels mais pensent ne pas y avoir droit ! On est resté sur l’idée d’une vaccination qui ciblait les sujets âgés, c'est un bien mauvais message, parce qu'on peut avoir 50 ans et avoir fait un infarctus du myocarde, et donc être à risque. De plus, l’an dernier les campagnes de vaccination contre la grippe et contre le Covid tombaient au même moment, alors qu’aujourd’hui chacun « se débrouille » comme il peut pour se faire vacciner. S’il n'y a pas de directives, ni de chemin accéléré et dessiné, les gens sont perdus. Un message comme « la vaccination avec le nouveau vaccin Omicron est ouverte à tous » aurait plus de poids que de parler de 4e dose vaccinale.

 
Je reçois de nombreux témoignages de gens qui ignorent que les moins de 60 ans peuvent être vaccinés.
 

Dans le monde d'avant, on gérait une seule maladie, c'était la grippe, et il n'y avait pas de gestes barrières. Tout était bien rodé. Aujourd'hui, il y a probablement plus d'efforts à faire. Au moment de l'épidémie de bronchiolite, il aurait fallu dire très clairement de remettre en place les gestes barrières. Or, le ministère de la santé a été, sur ce sujet, complètement muet. On a été en quelque sorte phagocyté par l'actualité énergétique et politique, nous ne sommes plus « en guerre » contre ces virus (tout comme on devrait l’être contre les bactéries, puisque comme le rappelle une étude récente du Lancet , les infections bactériennes restent la 2e cause de mortalité dans le monde).

La moralité c’est qu’on ne peut pas, du jour au lendemain, abandonner les campagnes de lutte et de prévention contre les maladies infectieuses, ce n’est pas rationnel. Il faut rappeler et expliquer l'hygiène fondamentale. Par exemple, la sobriété énergétique plébiscitée aujourd’hui incite à fermer toutes les fenêtres pour économiser le chauffage… or, s’il n’y a plus d'aération des espaces, on va forcément augmenter la probabilité de se contaminer. Et comment se fait-il qu’actuellement dans les salles de consultation médicale en ville, on observe de plus en plus que les patients ne portent pas de masque… ?

Comment envisager l’avenir de la lutte contre ces épidémies ?

On doit relancer des campagnes fortes de lutte contre les maladies infectieuses chaque année, comme cela se fait par exemple dans le cancer du sein ou du colon. Et comme en oncologie, il faut continuer à améliorer et simplifier les outils de diagnostic, à optimiser les traitements. L'année prochaine, on s’attend à voir un nouvel arsenal de lutte contre la bronchiolite, au travers des vaccins contre le VRS. Un exemple est qu’il existe des outils permettant de dépister la grippe, le Covid et le VRS d'un seul tenant. Il va falloir qu'on l’explique et qu'on mette en place et à disposition tous ces nouveaux outils, y compris chez le médecin généraliste.

 
On doit relancer des campagnes fortes de lutte contre les maladies infectieuses chaque année.
 

Il y a aussi un vrai travail à faire sur la collaboration entre l’infectiologie de ville et de l'hôpital. Il faudra optimiser le circuit, p. ex. solliciter et agrandir le champ de compétence des pharmaciens et des professionnels en contact avec des patients. Et plus globalement, il faut organiser le soin de façon plus large, et imaginer, par exemple, un « chef d'orchestre européen » pour une santé européenne.

 

Réintégrer, comme en Italie ,  les soignants non vaccinés pour renflouer les services hospitaliers?
« Je pense que c'est un faux débat, parce que la vraie question sous-jacente qui n'est pas posée, est : est-ce que cela va régler le problème de l'hôpital? considère le Dr Benjamin Davido. La réponse est non. Il s’agit d’environ 4000 personnes, et parmi elles, on dénombre beaucoup de personnels administratifs, ambulanciers etc., il n’y a quasiment pas de médecins. Donc il faut être très prudent lorsqu'on parle de ces « soignants ».
Néanmoins, je comprends la subtilité qui est de dire que la vaccination n'empêche pas de se contaminer et que tout le monde porte le masque à l'hôpital, donc de ce fait, le vaccin devient optionnel parce qu'il n'a pas d'effet protecteur vis-à-vis des patients. Au-delà de ce raccourci, si on réintègre ces personnes, j’estime qu’il faudrait mettre en place un accord tacite avec elles : en cas de vague d'une ampleur sans précédent et compte-tenu de la disponibilité de nouveaux vaccins ARNm qui réduisent significativement la probabilité de se contaminer, y compris avec les nouveaux variants, ces gens devront se soumettre à la science et à la vaccination.
On ne le dit pas assez mais cette vaccination des soignants a largement permis au moment des vagues d’une part d’éviter l’absentéisme, mais aussi de « démasquer » ceux qui se disent soignant mais ne s’appuient pas sur les données de la science. Car je ne crois pas qu'on puisse être au chevet d’un patient qui souffre d'un Covid ou d'une grippe et lui dire « vous avez eu raison de ne pas vous vacciner et d'arriver en réanimation ». Il y a une éthique de soin médical qui s'impose.
Mais il faut être extrêmement clair : dire que l'hôpital s'effondre parce qu'on a mis en éviction du personnel qui ne se pliait pas à la vaccination est totalement faux. Leur réintégration est certes envisageable mais elle ne résoudra pas la situation ni à court, ni à long terme ».

 

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