POINT DE VUE

Dépistage du cancer du poumon : moins de faux positifs grâce à l’IA ?

Jacques Cofard

Auteurs et déclarations

5 décembre 2022

Paris, France—  Alors que la Haute Autorité de Santé (HAS) est désormais favorable au dépistage organisé du cancer du poumon entre 50 et 74 ans chez les fumeurs et les anciens fumeurs qui ont été fortement exposés au tabac au cours de leur vie, se posent des questions sur sa mise en pratique. Notamment sur les modalités de lecture des scanners.

Des lectures par deux radiologues sont-elles nécessaires comme cela a été fait dans l’étude NELSON , l’étude qui a confirmé l’intérêt du dépistage du cancer du poumon par scanner faible dose ? Un seul radiologue, formé au dépistage et aidé d’un logiciel de détection peut-il faire aussi bien, voire mieux ?

C’est la question à laquelle l'étude française Cascade devra répondre. Soutenue par l'APHP et financée par le ministère de la Santé et l'InCa, l’étude a été lancée en août 2022 et est pilotée par la Pre Marie-Pierre Revel spécialisée en imagerie thoracique.

Il est prévu d’inclure 2 400 femmes, fumeuses ou ex-fumeuses, entre 50 et 74 ans et qu’elles bénéficient d’un scanner thoracique réalisé avec une faible dose de rayons. La lecture des scanners sera aidée par l'application de la start-up hollandaise Veye Lung Nodules, distribuée par la compagnie française Incepto. Explications avec le Dr Gaspard d'Assignées, l'un des fondateurs d'Incepto.

Medscape édition française : En quoi l’IA peut-elle aider, voire améliorer la lecture des scans ?  

Dr Gaspard d'Assignies : La solution Veye Lung Nodules™ a la possibilité de faire de la détection automatique des nodules pulmonaires, de les segmenter, de déterminer leur volume et de comparer la progression de ce volume par rapport à un précédent scanner : c'est la stratégie de détection qui est actuellement encouragée en Europe.

Ainsi pour diminuer le nombre de faux positifs, il faut passer de la mesure unidimensionnelle à la mesure tridimensionnelle, la segmentation, et il faut calculer une progression du volume, c'est-à-dire le temps de doublement volumique. Cette mesure est bien connue et elle est bien plus précise que la mesure du plus grand axe du nodule.

Il faut savoir que faire de la segmentation, de manière « manuelle » à partir d'un scanner est extrêmement long, aucun praticien ne le fait, d'où l'intérêt de la solution proposée par Veye Lung Nodules™.

Les algorithmes de cette société segmentent les nodules et comparent leur progression par rapport au scanner précédent, ce qui permet de distinguer les nodules bénins des nodules malins, et d'éliminer tout un tas de faux positifs.

 
Les algorithmes segmentent les nodules et comparent leur progression par rapport au scanner précédent, ce qui permet de distinguer les nodules bénins des nodules malins, et d'éliminer tout un tas de faux positifs.
 

Comment Veye Lung Nodules™ a-t-elle pu développer son IA ?

Dr Gaspard d'Assignies : Veye Lung Nodules™ a développé des coopérations scientifiques avec des centres d'expertise. Pour bâtir la performance de son application, Veye Lung Nodules™ a noué une collaboration scientifique avec des services de pneumologie d'Édimbourg. Par ailleurs, Veye Lung Nodules™ travaille en Hollande avec des pneumologues, mais la base de données d'entrainement et de validation a été faite avec Édimbourg qui héberge des praticiens forts reconnus en imagerie thoracique. Aussi, de nouvelles bases de données sont fraichement disponibles, notamment américaines, qui permettent d'entrainer et d'enrichir ces algorithmes. Ces bases de données sont en open source et permettent d'organiser des concours pour déterminer les meilleurs algorithmes des chercheurs à l'international. La solution Veye Lung Nodules™ est classée dans le top 3 mondial.

Utiliser une IA pour déterminer la dangerosité d'un nodule, est-ce une première en France ?

Dr Gaspard d'Assignies : Oui, lier une méthode de volumétrie automatique des nodules à une campagne de détection des poumons est une première en France. Nous sommes au début d'une histoire passionnante. Je suis né en 1977 et j'ai commencé mes études en 1996 et quand j'étais externe, le dépistage des "grands cancers" était déjà opérationnel : dépistage du cancer du sein, de l'utérus, du côlon... Je n'ai jamais connu les débuts du dépistage d'un "grand cancer", si ce n'est maintenant. Nous sommes en train de vivre l'arrivée du dépistage du cancer le plus tueur.

 
Nous sommes en train de vivre l'arrivée du dépistage du cancer le plus tueur.
 

La détection des cancers du poumon est-elle déjà passée dans la pratique clinique dans d'autres pays que la France ?

Dr Gaspard d'Assignies : À ma connaissance, la sécurité sociale anglaise conduit des études à grande échelle, en défendant l'idée de rapidement l'implémenter dans la routine clinique. En Italie des études sont également centralisées mais je n'ai pas d'informations plus précises.

Quid des États-Unis ?

Dr Gaspard d'Assignies : Il se passe des choses aux États-Unis, évidemment. Avec l'étude NLST , les États-Unis avaient déjà débuté le dépistage du cancer du poumon par tomodensitométrie en 2011. Donc les Américains ont déjà des campagnes de dépistage, certains utilisent d'ailleurs des algorithmes pour les aider, mais ils n'ont pas encore adopté la technique de la détection automatique de la volumétrie des nodules. Je pense que les Américains vont s'aligner sur ce que nous produisons. Les Américains ont aussi rencontré des problèmes pour recruter des patients pour leurs études, car ce genre de patients fait partie des catégories socioprofessionnelles défavorisées (alcoolisme, tabagisme...), qui a moins recours aux soins. Il est donc plus difficile de les recruter.

Ce qui veut dire que la France est en retard, notamment au regard des États-unis ?

Dr Gaspard d'Assignies : Je ne dirai pas que la France a pris un train de retard car l'étude Nelson n'a que dix-huit mois. Tout le monde l'attendait pour lancer des études. En Europe, ceux qui sont partis les premiers sont effectivement les Anglais, mais la France est plutôt en pointe dans l'utilisation des algorithmes. Je souligne le fait que l’on peut compter actuellement de nombreuses initiatives françaises, par exemple, avec l'étude Acapulco menée par le Pr Joseph Orabona (radiologue, Bastia) qui va tester le dépistage du cancer du poumon sur le territoire corse et de nombreuses autres études qui sont en train de se monter en France et en Europe. Mais il est vrai qu'il faut que les instances hexagonales s'emparent de cette question pour ne pas prendre de retard. Il va falloir passer des études locales à de grandes études centralisées comme pour le cancer du sein.

 
Il va falloir passer des études locales à de grandes études centralisées comme pour le cancer du sein.
 

Y a-t-il des freins à l'utilisation de l'IA dans la détection des cancers du poumon ?

Dr Gaspard d'Assignies : Il existe en effet un frein à l'utilisation de tous ces algorithmes : leur absence de remboursement par l'assurance maladie. Il va donc falloir prouver que l’utilisation de ces IA présente un bénéfice médico-économique : en dépistant les patients à temps, ils bénéficieront de soins moins lourds, ils vivront plus vieux, etc. C'est cela qui peut décider la tutelle à débloquer un remboursement spécifique pour l'utilisation de ces nouvelles technologies.

 
Il existe en effet un frein à l'utilisation de tous ces algorithmes : leur absence de remboursement par l'assurance maladie.
 

Où en êtes-vous du développement d'Incepto ?

Dr Gaspard d'Assignies : Incepto est une start-up française fondée à Paris en 2018. Nous sommes maintenant 70 dans la société, et nous sommes installés sur une centaine de sites cliniques. L'usage des IA s'est vraiment diffusé, et des soignants se réorganisent grâce à l'arrivée de ces nouveaux outils, aux urgences par exemple pour le traitement des fractures. Cela raccourcit le temps d'attente des patients, des études cliniques sortent qui démontrent l'impact positif de ces IA... Incepto est à la fois producteur et distributeur d’applications : nous possédons un laboratoire de recherche et développement qui produit ses propres algorithmes, mais nous sommes aussi à l'affût de start-up intéressantes pour proposer un port-folio pertinent à tous les praticiens.

Nous avons actuellement une quinzaine d'applications dans notre port-folio et nous couvrons la neurologie, l'imagerie cardio-vasculaire, les urgences, la cancérologie (poumons, seins et demain la prostate), et l'imagerie musculo-squelettique.

Nous avons deux produits internes qui ont un marquage CE, l'un sur l'anévrisme de l'aorte thoracique et abdominale (Arva) en collaboration avec l'hôpital Lannelongue, l'autre sur les IRM de genoux que nous avons co-développé avec un groupe suisse nommé 3R. Ces deux applications sont des premières mondiales.

Bientôt nous proposerons un algorithme de segmentation et lecture automatique d'aide à la détection des cancers de prostate en IRM.

Dans notre port-folio, nous proposons d'autres applications concernant la détection du cancer du poumon, comme nous venons de l'évoquer, le cancer du sein, la fracture osseuse, la sclérose en plaque en IRM...

Les start-up que nous avons repérées viennent d’un peu partout, en Europe, aux États-Unis, en Inde... Nous avons réalisé une levée de fonds de 27 millions d'euros en juillet dernier, donc nous sommes devenus la plateforme de référence en IA en France. Nous voulons maintenant devenir un champion européen, et nous sommes en train d'ouvrir des succursales en Allemagne, Italie, Portugal, Espagne, Suisse, Belgique. Incepto s'étend avec des entités légales dans tous ces pays.

 

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