Bénéfices du lecanemab dans la maladie d'Alzheimer : faire preuve d’un optimisme prudent

Randy Dotinga, Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

2 décembre 2022

San Francisco, États-Unis — L'anticorps monoclonal lécanemab ciblant les plaques amyloïdes β ralentit les troubles cognitifs chez les patients atteints de la maladie d'Alzheimer précoce (MA) mais au prix d’effets secondaires notables, selon les données très attendues de l’essai de phase 3 CLARITY AD.

Dans l'essai, les événements indésirables (EI) étaient fréquents par rapport au placebo, notamment les œdèmes et les épanchements liés à l'amyloïde. En outre, un rapport publié cette semaine a établi un lien entre un deuxième décès et le médicament.

Les résultats complets de l'essai ont été présentés lors de la 15e conférence sur les essais cliniques sur la maladie d'Alzheimer (CTAD) et ont été publiés simultanément le 29 novembre dans The New England Journal of Medicine.

À l'avenir, « des essais plus longs seront nécessaires pour déterminer l'efficacité et la sécurité du lécanemab dans la maladie d'Alzheimer précoce », ont indiqué le Dr Christopher H. van Dyck (Yale School of Medicine, New Haven, États-Unis), et coll. dans le journal.

 
Des essais plus longs seront nécessaires pour déterminer l'efficacité et la sécurité du lécanemab. Dr Christopher H. van Dyck
 

« Le feuilleton des substances anti amyloïdes continue avec un nouvel anticorps qui a l’air d’avoir un meilleur rapport bénéfice-risque, des résultats positifs chez 1 795 patients avec une réduction de 27 % du déclin cognitif. Les gros problèmes associés à ces produits anti-substances amyloïdes est qu’un effet statistiquement significatif ne signifie pas toujours un effet cliniquement significatif. Or, aujourd’hui les agences du médicament, notamment en Europe ne se satisfont pas uniquement de l’effet statistiquement significatif. Aussi, le profil de sécurité fait craindre des œdèmes cérébraux », a commenté le Dr Michel Dib, neurologue en libéral et à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière à Paris, pour Medscape édition Française.

 
Les gros problèmes associés à ces produits anti-substances amyloïdes est qu’un effet statistiquement significatif ne signifie pas toujours un effet cliniquement significatif. Dr Michel Dib
 

Les critères d'évaluation atteints

Dans le cadre du nouvel essai CLARITY AD, d'une durée de 18 mois, randomisé et en double aveugle, les chercheurs ont recruté 1 795 patients âgés de 50 à 90 ans (âge moyen : 71 ans) atteints de la maladie d'Alzheimer à un stade précoce. Tous ont été randomisés pour recevoir soit un placebo (n = 898), soit du lécanemab par voie intraveineuse, un anticorps monoclonal humanisé de type immunoglobuline G1 qui cible sélectivement les protofibrilles de bêta-amyloïde (Aβ), à raison de 10 mg/kg de poids corporel toutes les 2 semaines (n = 897).

L'étude s'est déroulée de 2019 à 2021. Les participants (52 % de femmes, 20 % de non-blancs) ont été recrutés en Amérique du Nord, en Europe et en Asie. Les données de sécurité incluaient tous les participants, et le groupe modifié en intention de traiter comprenait 1 734 participants, 859 recevant lecanemab et 875 recevant le placebo.

Le critère d'évaluation principal était le Clinical Dementia Rating-Sum of Boxes. Les scores de 0,5 à 6 sont des signes de MA précoce, selon les auteurs de l'étude. Le score moyen au départ pour les deux groupes était de 3,2. Le changement moyen du score CDR ajusté à 18 mois était de 1,21 pour le lécanemab, contre 1,66 pour le placebo (différence, -0,45 ; IC 95 %, -0,67 à -0,23 ; P < 0,001).

Comme l'a noté van Dyck dans une présentation lors du congrès de la CTAD, cela représente un ralentissement de 27 % du déclin dans le groupe lécanemab.

Les auteurs ne se prononcent pas sur l'impact de cette différence statistique sur la vie quotidienne des participants qui ont reçu le médicament, bien qu'ils fassent référence à un « déclin légèrement moindre » de la cognition/fonction dans le groupe lécanemab.

Les critères secondaires d’évaluation sont eux aussi positifs, avec une réduction significative du déclin cognitif à 18 mois évalué par le score ADAS-Cog de 26 % (P < 0,001) et par le score ADCOMS de 24 % (P < 0,001) sous lécanémab versus placebo. Aussi, une réduction significative du déclin fonctionnel de 37 % est retrouvée à l’échelle ADCS-MCI-ADL sous lécanémab.

Les résultats ont été ajustés sur différents facteurs confondants (âge, ApoE4, traitements anticholinestérasiques ou mémantine, région du globe, etc.).

Les résultats apparaissent précocement significatifs alors que près de 60 % des patients sont encore au stade de troubles neurocognitifs modérés (MCI).

Dans l'ensemble, a indiqué le Dr van Dyck, « Lecanemab a satisfait aux critères d'évaluation primaires et secondaires par rapport au placebo à 18 mois, avec des différences hautement significatives à partir de 6 mois. »

Dans une sous-étude portant sur 698 participants, les résultats ont montré que la charge amyloïde a diminué à un rythme plus soutenu dans le groupe lécanemab que dans le groupe placebo (différence, -59,1 centiloïdes ; IC à 95 %, -62,6 à -55,6).

« Le lécanemab présente une sélectivité élevée pour les formes agrégées solubles de peptides Aβ par rapport à l'amyloïde monomérique, avec une sélectivité modérée pour l'amyloïde fibrillaire ; ce profil est considéré comme ciblant les espèces amyloïdes pathologiques les plus toxiques », écrivent les chercheurs.

Données concernant les effets indésirables

En ce qui concerne les effets indésirables, des décès sont survenus dans les deux groupes (0,7 % chez ceux qui ont pris le lécanemab et 0,8 % chez ceux qui ont pris le placebo). Les chercheurs n'ont attribué aucun décès au médicament. Cependant, la revue Science a rapporté le 27 novembre qu'une femme de 65 ans qui prenait le médicament dans le cadre d'un essai clinique « est récemment décédée d'une hémorragie cérébrale massive que certains chercheurs relient au médicament ».

Cette femme, la deuxième personne « dont le décès est lié au lécanemab », est décédée après avoir fait un accident vasculaire cérébral. L'auteur de l'article paru dans Science a résumé un rapport de cas, affirmant que le médicament « a contribué à son hémorragie cérébrale après que des perfusions bihebdomadaires de lécanemab aient enflammé et affaibli les vaisseaux sanguins ».

Eisai, qui a parrainé le nouvel essai, a déclaré à Science que « toutes les informations de sécurité disponibles indiquent que le traitement par lecanemab n'est pas associé à un risque accru de décès en général ou d'une cause spécifique. »

Lors de la présentation, le co-auteur de l'étude, le Dr Marwan Sabbagh, (Barrow Neurological Institute, Phoenix, États-Unis) a précisé que deux décès liés à des hémorragies étaient survenus lors de l’extension de l’étude en ouvert. L'un d'eux s'est produit dans le cadre d'un traitement par activateur tissulaire du plasminogène pour un accident vasculaire cérébral, ce qui correspond à la description du cas dans le rapport de Science. « La causalité avec lecanemab est un peu complexe... », a-t-il souligné. « Les patients sous anticoagulants pourraient nécessiter un examen plus approfondi. »

Dans l'essai CLARITY AD, des effets indésirables graves sont survenus chez 14% des patients du groupe lécanemab et ont conduit à l'arrêt du traitement dans 6,9 % des cas. Selon les investigateurs, des effets indésirables sont survenus chez 11,3 % des patients du groupe placebo et ont conduit à l'arrêt du traitement dans 2,9 % des cas.

Ils ajoutent que, dans le groupe lécanemab, les effets indésirables les plus fréquents, définis comme touchant plus de 10 % des participants, étaient les réactions liées à la perfusion (26,4 % contre 7,4 % pour le placebo) ; des anomalies d'imagerie liées à l'amyloïde avec microhémorragies cérébrales, macrohémorragies cérébrales ou sidérose superficielle (17,3 % vs 9 %) ; des anomalies d'imagerie liées à l'amyloïde avec œdème ou épanchement (12,6 % vs 1,7 %) ; des céphalées (11,1 % vs 8,1 %) ; et des chutes (10,4 % vs 9,6 %).

En outre, une macrohémorragie a été signalée dans 0,6 % du groupe lécanemab et dans 0,1 % du groupe placebo.

Optimisme prudent

Dans des entretiens avec Medscape Medical News, deux spécialistes de la maladie d'Alzheimer qui n'ont pas participé à l'étude ont fait l'éloge de l'essai et ont qualifié les résultats de « passionnants » mais ils en ont également souligné les limites.

Alvaro Pascual-Leone, professeur de neurologie à la Harvard Medical School et directeur médical de Linus Health, a indiqué que l'étude représentait un progrès impressionnant après plus de 60 essais sur les anticorps monoclonaux anti-amyloïdes. « C'est le premier essai qui montre un bénéfice clinique mesurable », a-t-il déclaré.

 
C'est le premier essai qui montre un bénéfice clinique. Pr Alvaro Pascual-Leone
 

Cependant, il n'est pas certain que les changements « vont vraiment faire une différence dans la vie des gens », a-t-il ajouté. Le médicament sera probablement cher, en raison de l'investissement important nécessaire à la recherche, a-t-il ajouté, et les patients devront subir des tests coûteux, tels que des scanners TEP et des ponctions lombaires.

Néanmoins, « il pourrait s'agir d'un complément précieux à l'arsenal dont nous disposons », au côté des changements de mode de vie, a-t-il ajouté.

Le Dr Howard Fillit, cofondateur et directeur scientifique de l'Alzheimer's Drug Discovery Foundation, a souligné que l'essai a atteint ses objectifs primaires et secondaires et que le médicament a eu ce qu'il a appelé un effet « modeste » sur la cognition.

Toutefois, le fabricant du médicament devra étudier les effets indésirables, a-t-il précisé, en particulier chez les patients atteints de fibrillation auriculaire qui prennent des anticoagulants. La médecine est encore loin de l'objectif ultime – inverser complètement le déclin cognitif, a-t-il ajouté.

Le Dr Michael Weiner, président du comité scientifique de la conférence CTAD22, a indiqué dans un communiqué de presse qu'il existe « de plus en plus de preuves » que certains traitements anti-amyloïdes, « en particulier le lécanemab et le donanemab », ont des résultats prometteurs.

« Malheureusement, ces traitements sont également associés à des différences anormales observées à l'imagerie, notamment des oedèmes cérébraux et des saignements dans le cerveau », a souligné le professeur de radiologie, de médecine et de neurologie à l'Université de Californie à San Francisco.

« La signification et l'impact de ces résultats font l'objet d'une controverse considérable, notamment en ce qui concerne la question de savoir si les gouvernements et les assurances couvriront ou non financièrement ces traitements », a-t-il ajouté.

 
La signification et l'impact de ces résultats font l'objet d'une controverse considérable.
 

Critique élogieuse de l'Association Alzheimer 

Dans une déclaration, l'Alzheimer's Association a fait l'éloge du lécanemab et a déclaré que la FDA devrait approuver le lécanemab de manière accélérée. L'étude « confirme que ce traitement peut modifier de manière significative le cours de la maladie pour les personnes dans les premiers stades de la maladie d'Alzheimer... », a déclaré l'association, ajoutant que « cela pourrait signifier de nombreux mois supplémentaires de reconnaissance de leur conjoint, de leurs enfants et de leurs petits-enfants »

L'association, qui est également un ardent défenseur de l'aducanumab, a appelé les Centers for Medicare & Medicaid Services à couvrir le médicament si la FDA l'approuve. La déclaration de l'association n'a pas abordé le coût potentiellement élevé du médicament, ses effets indésirables ou les deux décès signalés.

De son côté, France Alzheimer s’est « réjoui de cette nouvelle ». « Même si le traitement cible les personnes en début de maladie, cela reste un pas en avant pour lutter contre le déclin cognitif et la perte d’autonomie des personnes aux stades les plus précoces de la maladie d’Alzheimer. Ces résultats vont également permettre d’aller plus loin dans la connaissance des mécanismes Aβ et peut-être proposer des solutions pour les personnes malades à des stades plus avancés de la maladie », commente l’association.

Demande d’AMM

Eisen et Biogen ont déposé un dossier auprès de la Food and Drug Administration (FDA) pour une autorisation accélérée de mise sur le marché américain et leur demande a été acceptée et va bénéficier d’une évaluation prioritaire. La décision de la FDA est attendue pour mars 2023.

La précédente molécule développée par Eisai et Biogen, l’aducanumab, avait reçu une autorisation de mise sur le marché américain en 2021 mais elle s’est vu opposer un refus par l’EMA, l’Agence européenne des médicaments.

 

Cet essai a été soutenu par Eisai (sponsor réglementaire) avec un financement partiel de Biogen. Le Dr van Dyck déclare avoir reçu des subventions de recherche de Biogen, Eisai, Biohaven, Cerevel Therapeutics, Eli Lilly, Genentech, Janssen, Novartis et UCB. Il a également été consultant pour Cerevel, Eisai, Ono Pharmaceutical et Roche. Les relations financières pertinentes des autres investigateurs sont énumérées dans l'article original. Le Pr Pascual-Leone est conseiller scientifique pour Neuroelectrics, Magstim Inc, TetraNeuron, Skin2Neuron, MedRhythms et Hearts Radiant. Il est également cofondateur de TI Solutions, une entreprise de neurotechnologie qui met au point un dispositif de stimulation cérébrale non invasive ; il est cofondateur et directeur médical de Linus Health, une entreprise qui met au point des biomarqueurs numériques pour le dépistage des fonctions cognitives ; il est cité comme inventeur dans plusieurs brevets délivrés et en instance liés à la stimulation cérébrale ; et il est l’investigateur principal d'une étude financée par le NIH sur la stimulation électrique transcrânienne. Le Dr Fillit est consultant pour Alector.

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