Bruxelles, Belgique – Une étude démontre qu’une couette plus lourde favorise la libération de mélatonine[1]. Mais l’influence positive sur le sommeil reste largement à démontrer. Nos collègues de MediQuality ont interrogé le professeur Matthieu Hein, psychiatre et responsable du Laboratoire du sommeil de l’hôpital universitaire Erasme (ULB) sur ce sujet.
On sait combien un sommeil de mauvaise qualité ou un endormissement qui se dérobe peut avoir un impact sur la santé. C'est pourquoi de nombreux chercheurs évaluent les moyens non médicamenteux pour améliorer la qualité ou la quantité de sommeil réparateur.
Dans une étude très récente, des chercheurs ont testé l'effet d'une couette lestée sur la production de mélatonine, une hormone produite par la glande pinéale qui joue un rôle essentiel dans la synchronisation du sommeil. En plus de la lumière ambiante, des signaux non photiques tels que l'activité physique, les habitudes de repas et les activités sociales peuvent avoir un impact sur la libération de mélatonine chez l'homme. Cependant, la question de savoir si les couvertures lestées modifient la libération de mélatonine n'avait pas été étudiée expérimentalement. L'objectif principal de cette étude croisée en laboratoire était de déterminer si l'utilisation d'une couverture lestée au coucher entraînait des concentrations plus élevées de mélatonine dans la salive par rapport à l'utilisation d'une couverture légère.
Résultat ? En moyenne, les concentrations de mélatonine salivaires ont augmenté d'environ 5,8 pg/mL entre 22 h et 23 h (P < 0,001), mais l'augmentation moyenne des concentrations salivaires de mélatonine était plus importante dans des conditions de couverture lestée (6,6 pg/mL) par rapport à aux couvertures plus légères (5,0 pg/mL) (P = 0,011).
« Notre étude ne peut pas identifier le mécanisme sous-jacent des effets stimulants observés de la couverture lestée sur la mélatonine », préviennent les chercheurs. Cependant, une explication pourrait être que la pression exercée par la couverture lestée active les nerfs afférents sensoriels cutanés, transportant les informations vers le cerveau. La région où les informations sensorielles sont délivrées stimule les neurones ocytocinergiques qui peuvent favoriser le calme et le bien-être et diminuer la peur, le stress et la douleur. De plus, ces neurones se connectent également à la glande pinéale pour influencer la libération de mélatonine, expliquent les auteurs.
Pas de différence significative dans la durée totale du sommeil
L'ocytocine a à son tour augmenté d'environ 315 pg/mL initialement, mais cette augmentation n'a été que transitoire et, au fil du temps, aucune différence significative des niveaux d'ocytocine n'a été observée entre les deux types de couverture. Il n'y avait pas non plus de différences pour le cortisol ou l'activité du système nerveux sympathique entre les séances de couvertures lestées et légères.
Cela a-t-il une conséquence sur le sommeil lui-même ?
Déception : aucune différence significative n'a été observée sur le niveau de somnolence entre les participants lorsque l'une ou l'autre des couvertures était utilisée et il n'y avait pas non plus de différence significative surla durée totale du sommeil.
« Pour moi, c'est la réponse essentielle à prendre en compte : la durée totale du sommeil et les plaintes de somnolence ne varient pas. En outre, l'expérience a eu lieu chez des patients jeunes et en bonne santé qui ont une production normale de mélatonine et non pas chez des patients connaissant des problèmes de sommeil », réagit le professeur Matthieu Hein.
« Pour éventuellement prouver un effet positif comme moyen d'aide à l'endormissement, il aurait fallu tester cette technique chez des patients plus âgés qui produisent naturellement moins de mélatonine ou chez des sujets souffrant d'une pathologie du sommeil ou psychiatrique qui peut affecter la production de mélatonine. Qu'avec une couette lestée des sujets sans pathologie produisent davantage de mélatonine ne semble pas avoir d'effet sur la qualité et la quantité de sommeil. De plus, c'est une étude préliminaire effectuée uniquement sur 25 adultes, ce qui est problématique. L'étude montre aussi qu'il n'y a pas d'effet sur le stress, par exemple sur le marqueur qu'est le cortisol. C'est donc, au mieux, une étude à reproduire sur d'autres profils de patients et avec la mesure de différents marqueurs utiles à l'évaluation du sommeil. »
L'expert ne rejette pas définitivement toute possibilité d'action de la couette lestée, mais, « à ce stade, cela ressort davantage du gadget que d'un moyen éprouvé. Par ailleurs, l'effet de cet accessoire ne doit pas être confondu avec l'effet de certains rituels (comme les horaires réguliers de sommeil) qui peuvent avoir un effet positif face à l'angoisse d'aller dormir. Mais cela ne va pas aider un vrai insomniaque à mieux dormir. De plus, c'est un dispositif coûteux (plusieurs centaines d'euros). Personnellement, je n'achèterais pas cette couette ».
Une innovation vue avec scepticisme, donc. Même si d'autres recherches avaient préalablement abondé dans le sens d'une certaine efficacité. Des travaux de l'Institut Karolinska à Stockholm, publiés en septembre 2020 dans le Journal of Clinical Sleep Medicine, publication officielle de l'Académie américaine de médecine du sommeil, abondent dans ce sens [1]. Les chercheurs ont fait appel à 120 patients souffrant d'insomnie et de troubles psychiatriques concomitants (trouble dépressif, trouble bipolaire, trouble d'hyperactivité avec déficit de l'attention ou trouble anxieux généralisé) et les ont répartis en deux groupes. Le premier a dormi avec une couverture lestée d'un poids de 6 à 8 kg tandis que le deuxième s'est contenté d'une couette similaire mais plus légère d'1,5 kg.
Les conclusions de cette étude randomisée, et évaluée à l'aide d'un questionnaire et d'un capteur mesurant les mouvements des bras pendant l'éveil et le sommeil, montrent que les utilisateurs du premier groupe ont signalé au bout de quatre semaines une diminution de la gravité de leur insomnie, un meilleur sommeil et une réduction des symptômes de fatigue, de dépression et d'anxiété. Pour expliquer une telle efficacité, le Dr Mats Alder, psychiatre du département de neuroscience clinique de l'Institut Karolinska et coordinateur des travaux, cité par le Figaro, suggère que la couette agit sur différents points du corps « stimulant la sensation de toucher et le sens des muscles et des articulations, comme l'acupression et le massage ». Mais dans son livre Dormir sans tisanes ni médocs (Éd. Marabout), Philippe Beaulieu, médecin du sommeil à l'hôpital Henri-Mondor à Paris, évalue sévèrement la littérature scientifique de l'acupression. « Ces études aux résultats positifs sont à nuancer car elles comportent souvent des failles méthodologiques et reposent beaucoup sur le déclaratif ».
Cet article a initialement été publié sur Mediquality.net, membre du réseau Medscape
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Crédit de Une : Dreamstime
Citer cet article: Sommeil : des arguments bien trop légers pour la couette lestée - Medscape - 2 déc 2022.
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