Paris, France __ La dysbiose du microbiote vaginal, et en particulier la vaginose, exerce une influence sur les mycoses et les cystites récidivantes, mais également sur les dyspareunies, la fertilité, la prématurité ou encore sur les manifestations de la ménopause.

Dr Jean-Marc Bohbot
Comment repérer les dysbioses et rééquilibrer la flore ? A l’occasion du 1er congrès e-biome 2021[1] , le Dr Jean-Marc Bohbot, infectiologue et andrologue, responsable du département « Pathologies génito-urinaires » à l’Institut Alfred Fournier (Paris) répond aux questions de Medscape édition française.
Quelle est la composition du microbiote vaginal ?
Dr J.M. Bohbot : Du fait de ressources distinctes, les micro-organismes (bactéries et levures) peuplant le milieu vaginal sont distincts de ceux hébergés dans l’intestin avec, par exemple, plutôt des lactobacilles à génome court. Le microbiote vaginal est dominé à 60-80 % par des bactéries bénéfiques, les lactobacilles, chez les femmes en bonne santé et non ménopausées.
Les 40 % restants sont constitués de bactéries commensales, impliquées dans l’inconfort vaginal et les infections. Ces bactéries commensales sont 2 à 5 fois plus souvent des bactéries anaérobies. Leur présence ne pose un problème qu’en cas de dysbiose, provoquée par la prise d’antibiotiques, le tabagisme, les rapports sexuels, les troubles intestinaux ou le déficit en estrogènes.
En effet, l’un des facteurs favorisant la vaginose bactérienne est l’hypo-œstrogénie qui limite la charge glycogénique des cellules vaginales et donc l’apport nutritionnel indispensable à la croissance des lactobacilles.
Quelles pathologies peuvent s’expliquer au moins en partie par une dysbiose vaginale ?
Dr J.M. Bohbot : La vaginose – le stade ultime de la dysbiose vaginale –, mais aussi les mycoses et les cystites sont le cœur de la dysbiose vaginale. Cette dernière est également un facteur reconnu d’infertilité par inflammation pelvienne soit isolément [3], soit en association avec des bactéries exogènes (N. gonorrhoeae, C. trachomatis, M. genitalium. . .) [4].
Le déséquilibre microbiotique accroît également le risque d’échec d’implantation d’embryon à la suite d’une fécondation in vitro (FIV).
Une femme ayant un microbiote vaginal défavorable (absence ou faible taux de Lactobacillus) aurait 7 fois moins de chance de développer une grossesse après le transfert d’embryon qu’une femme ayant un microbiote avec Lactobacillus (crispatus ou iners).
A contrario, une forte proportion de L. crispatus (> 60 %) serait moins favorable à une grossesse post-implantation qu’une proportion moyenne (< 60 %), probablement en raison de la forte activité acidifiante de cette souche.
Un microbiote vaginal déséquilibré est également impliqué dans le risque de prématurité, de fausse-couches spontanées et d’infections néonatales.
Par ailleurs, chez les femmes infectées par le papillomavirus humain (HPV), la dysbiose vaginale réduit la clairance naturelle du virus. Dans une étude [5] portant sur 55 femmes porteuses du HPV, la persistance virale au bout d’un an de suivi était en effet associée à une dysbiose vaginale : 42,9 % de vaginose bactérienne (classe IV Ravel) dans le groupe persistance contre 7,9 % dans le groupe clairance. La dysbiose vaginale favorise de plus la progression de lésions cellulaires viro-induites vers un stade tumoral au niveau du col de l’utérus [6]. Quant au rapport entre dysbioses vaginale et intestinale et endométriose, ces processus sont en cours d’exploration.
La vaginose bactérienne : quelles pistes physiopathologiques ?
La raréfaction ou la disparition des lactobacilles est la première étape de la vaginose bactérienne. L’équilibre ainsi rompu va permettre le développement de bactéries principalement anaérobies. Le rôle important d’Atopobium vaginae dans la vaginose bactérienne est bien connu.
Certaines spécificités immunologiques (variants du TLR4, élévation de l’IL-1b, par exemple) expliquent aussi les variations de prévalence de cette infection, la faible réponse inflammatoire clinique et cellulaire ainsi que l’action favorisante de la vaginose sur l’acquisition et l’histoire naturelle de certaines infections sexuellement transmissibles. L’attention se focalise sur les bactéries G. vaginalis et A. vaginae et leur synergie pour la création du biofilm caractéristique de la vaginose [7].
Comment vérifier la présence d’une dysbiose vaginale ?
Dr J.M. Bohbot : Une simple mesure du pH vaginal (normal entre 3,5 et 4,5 chez la femme non ménopausée) permet de confirmer un déséquilibre de la flore vaginale en cas de pH augmenté. En revanche, le pH augmentant physiologiquement à la ménopause, son interprétation devient alors difficile.
En cas de symptômes marqués, un prélèvement vaginal permet de calculer le score de Nugent qui donne une idée assez précise de l’état d’équilibre du vagin, très contributif pour le clinicien pour diagnostiquer la vaginose bactérienne. Il est calculé en évaluant la présence de grands bâtonnets à Gram positif, de petits bâtonnets à Gram variable et de bâtonnets incurvés à Gram variable. Ce score n’identifie pas de bactéries mais évalue la présence et l’abondance de lactobacilles, d’une part, de morphotypes bactériens évocateurs de Gardnerella vaginalis et de bactéries anaérobies dont Bacteroides, ainsi que de Mobiluncus, d’autre part. Des techniques de biologie moléculaire sont plus fiables et surtout moins observateur-dépendant, mais tous les laboratoires ne sont pas en mesure de les proposer.
Si la vaginose bactérienne symptomatique requiert une prise en charge thérapeutique, l’interprétation et le traitement d’une dysbiose vaginale asymptomatique devra tenir compte de situations physiologiques particulières (grossesse, ménopause. . .) ou d’infections associées (infection par le HPV, par exemple).
Comment rééquilibrer la flore locale ?
Dr J.M. Bohbot : Les recommandations européennes maintiennent le métronidazole per os en 1re intention. Le chlorure de dequalinium est proposé en alternative. Le spectre d’action de cet antiseptique local couvre G. vaginalis et A. vaginae, principales bactéries impliquées dans la vaginose.
Une étude clinique [8] a observé un taux de guérison de l’épisode de vaginose de 79,5 % après un traitement par chlorure de dequalinium.
Cependant, que ce soient les antibiotiques ou les antifongiques, ils sont totalement insuffisants pour rétablir la flore vaginale, d’où l’association systématique d’un traitement par probiotiques. Une revue systématique [9] confirme l’effet préventif des probiotiques vaginaux vis-à-vis des récidives.
Si plusieurs espèces de lactobacilles ont démontré leur efficacité (en particulier L. crispatus et L. gasseri), une étude récente [10] a vérifié in vitro des activités bactériennes différentes selon les souches de L. crispatus et L. gasseri considérées.
La réglementation européenne interdit désormais la prescription de probiotiques vivants par voie vaginale dans le but de réensemencer la flore en lactobacilles. Ceux par voie orale sont efficaces, à la condition de bien choisir les souches de lactobacilles, que le produit soit de bonne qualité pharmaceutique avec une concentration adéquate. La durée de traitement doit être au minimum de 1 mois, jusqu’à 3 mois en cas de dysbioses chroniques.
Concrètement, les probiotiques qui ont fait la preuve de leur efficacité in vitro et/ou in vivo car susceptibles de s’implanter dans le vagin sont : Lactobacillus crispatus, Lactobacillus casei, Lactobacillus jensenii, et d’autres, quoique moins fréquemment retrouvés dans le vagin de femmes en bonne santé, mais très utilisés car faciles à produire (Lactobacillus rhamnosus, Lactobacillus acidophilus, Lactobacillus plantarum, Lactobacillus helveticus, etc.).
J’ai d’ailleurs publié une étude démontrant qu’au moyen d’une concentration suffisante par voie orale, on retrouve suffisamment de lactobacilles dans le vagin [11] . Chacun de ces probiotiques possèdent des propriétés spécifiques ; ils n’ont pas tous la même cible. Quelques souches (Lactobacillus crispatus, L. gasseri, L. rhamnosus…) sont plutôt universelles.
Des cocktails de probiotiques permettent de « ratisser un peu plus large ».
Aucun n’est remboursé car appartenant à la catégorie des compléments alimentaires, sauf si le produit associe des estrogènes.
Des recherches sont en cours pour proposer des probiotiques inactivés, en particulier par tyndallisation [procédé de stérilisation par un chauffage discontinu], qui seraient alors administrables par voie vaginale.
Grossesse, accouchement et ménopause… La prévention au moyen des probiotiques est-elle utile ?
Dr J.M. Bohbot : Le traitement des vaginoses symptomatiques pendant la grossesse est indiqué avec un impact incertain sur la prévention d’une prématurité [12,13,14]. En cas d’antécédents récents d’infections vaginales à répétition, il est judicieux de tester le pH vaginal, de réaliser le score de Nugent et de prescrire des cures de probiotiques.
Intervenir en amont est en revanche bien démontré, sur plusieurs semaines ou mois chez des patientes avec un désir de grossesse et des antécédents de vaginose. On peut alors envisager un traitement par probiotiques avant le début de la grossesse afin de limiter les risques de dysbiose.
Mais les probiotiques, ça n’est pas automatique ! Rien ne justifie de recommander des probiotiques chez une femme qui va bien, à l’exception de la préparation de la ménopause. A cette fin, il a été montré que cela réduisait les dyspareunies, la sécheresse vaginale et, de manière générale, la symptomatologie du syndrome génito-urinaire de la ménopause.
Cette période est favorable à la dysbiose vaginale et donc à la vaginose, plaidant pour l’emploi d’œstrogènes locaux et/ou probiotiques [15].
Des cures d’une semaine par mois après l’âge de 45 ans est soutenu par la littérature scientifique. Bannir le tabac est indispensable, ennemi reconnu du microbiote vaginal. Une publication australienne a mis en évidence un lien avec la dysbiose vaginale à partir de 4 cigarettes par jour. Une diminution de la charge lactobacillaire [16] chez les femmes fumeuses est certaine. Celles ayant une dysbiose vaginale (classe IV de Ravel) ont 25 fois plus de chances d’être fumeuses que les femmes ayant une eubiose vaginale (classe I de Ravel).
La transplantation de microbiote vaginal est-elle à l’ordre du jour dans la vaginose récidivante ?
Dr J.M. Bohbot : Oui, et des essais ont déjà été menés, stoppés temporairement du fait de l’épidémie de Covid-19. La transplantation de la flore vaginale chez des femmes souffrant de vaginose bactérienne à répétition semble avoir une efficacité potentielle, à confirmer. Il a aussi été démontré, de manière tout à fait incidente chez des femmes ayant à la fois des diarrhées récidivantes à Clostridium difficile et des infections urinaires récidivantes, que la transplantation fécale (AMM uniquement dans l’indication de diarrhées récidivantes à Clostridium difficile) avait guéri la diarrhée mais également la cystite récidivante.
Le Dr Bohot déclare comme liens d’intérêt la participation à des comités scientifiques ou à des symposia pour les laboratoires Besins, Biocodex, Gédéon Richter, Innothera et Pileje.
* le Dr JM Bohbot est l’auteur de deux ouvrages :
- Microbiote vaginal : la révolution rose (Éditions Marabout, 2018), co-écrit avec Etienne Rica
- La cystite, le cauchemar féminin (Éditions Flammarion, 2021), co-écrit avec Etienne Rica
Suivez Medscape en français sur Twitter.
Suivez theheart.org | Medscape Cardiologie sur Twitter.
Inscrivez-vous aux newsletters de Medscape : sélectionnez vos choix
Crédit image de Une : Dreamstime<br>
Crédit image texte : DR
Medscape © 2022
Citer cet article: Dysbiose du microbiote vaginal : quelle prise en charge ? - Medscape - 30 nov 2022.
Commenter