Comment faire évoluer l’éducation à la sexualité des jeunes ?

Hélène Joubert

Auteurs et déclarations

29 novembre 2022

Montpellier, France – En matière d’éducation affective, relationnelle et sexuelle, communément appelée EARS, comment adapter le discours si l’on cerne mal les pratiques et les attentes des jeunes ? Une étude présentée aux Journées francophones de sexologie et de santé sexuelle (JE3SEXO 2022) lève le voile sur les changements comportementaux des jeunes dans leur sexualité en 2021, avec l’exposition accrue de l’intimité au moyen des dispositifs numériques ainsi qu’un développement des pratiques oro-génitales, devenues – à en croire cette étude – un rite d’entrée dans la sexualité. [1]

Enquête en ligne conduite auprès de 200 jeunes

« J’interviens dans les établissements scolaires depuis une dizaine d’années, et j’observe un tel décalage entre d’un côté les problématiques liées à la sexualité que je rencontre sur le terrain et, de l’autre, la littérature publiée sur le sujet, que j’ai voulu mener mon enquête », a déclaré Véronique Suquet, sage-femme sexologue (Fontenay-sous-Bois, 94). Ladite étude était présentée par son auteure lors JF3S sous l’égide de l’Association Interdisciplinaire post Universitaire de Sexologie. Cette enquête en ligne (37 questions fermées et 7 ouvertes) a été conduite en 2021 auprès de 200 jeunes âgés de 17 à 30 ans (moyenne d’âge de l’échantillon : 23 ans). Son objectif était d’identifier les changements comportementaux des jeunes dans leur sexualité, et ensuite de faire évoluer l’EARS (Éducation affective, relationnelle et sexuelle) « afin de prodiguer une éducation plus adaptée », précise la sexologue. Bien que souffrant des limites et biais inhérents à ce type d’enquête déclarative, les données sont riches d’enseignements, notamment pour les médecins qui reçoivent les jeunes, voire les très jeunes.

13,6 ans pour le premier baiser

Le premier baiser est échangé à 13,6 ans, un âge qui n’a pas varié depuis 1972. Relativement immuable, le premier rapport sexuel a lieu à 17 ans (16,9 ans pour les filles ; 17,1 ans pour les garçons), avec néanmoins une amplitude importante pourlml’âge de ce premier rapport sexuel. On note une précocité des premières relations sexuelles, parfois dès 13 ans.

En revanche, ce qui a changé en 50 ans est le nombre de partenaires, lequel a fortement augmenté, avec ici 10 partenaires pour les hommes (médiane de 5,5 partenaires) et de 7 pour les femmes (médiane de 4 partenaires). Pour la génération précédente, celle des parents, les médianes étaient respectivement de 4 et de 2 pour les hommes et les femmes.

Par ailleurs, la sexualité orale, « que les jeunes qualifient de "préliminaires", souligne Véronique Suquet, s’est banalisée, avec 77 % des répondants qui déclarent pratiquer la fellation et 74 % le cunnilingus. »

Certaines disparités entre les sexes se font jour, précisément concernant la masturbation régulière, déclarée par 81 % des répondants masculins et 35 % des répondantes (44 % des filles déclarent une masturbation dite « occasionnelle »). L’utilisation de la pornographie est aussi majoritairement masculine, avec 100 % de visionnage pour les jeunes hommes (1er visionnage à 13 ans en moyenne) et 66 % pour les jeunes filles (1er visionnage à 16 ans en moyenne).

De plus, 21 % des plus de 20 ans utilisent les sites de rencontre, un chiffre qui croît avec l’âge surtout chez les célibataires. Concernant ce dernier point, un bémol doit être apporté, l’étude ayant été menée en 2021, une année émaillée de confinements durables pour cause de Covid-19.

Enfin, d’après les principaux intéressés, l’éducation affective, relationnelle et sexuelle (EARS) est jugée insuffisante par 33 % des hommes et 66 % des femmes.

Quelles sont les attentes des jeunes ?

Moins de tabous et de normatif, une éducation au consentement, parler du plaisir, du désir, de la masturbation et des préliminaires, et enfin plus d’éducation relationnelle… sont les sujets que les filles voudraient voir aborder en matière d’EARS. « Elles sont en attente avant tout d’une qualité relationnelle, résume Véronique Suquet. Pour leur part, les garçons mettent plus en avant le plaisir partagé, un détachement par rapport aux normes, pour accéder à une sexualité épanouie. » Parmi les attentes de ces derniers figurent moins de tabous et de pression de performance, parler plaisir et savoir-faire, apprendre le fonctionnement féminin, recevoir des informations sur les risques, la contraception et la pornographie.

Et à la question « Qu’est-ce qu’une sexualité épanouie ? » les filles répondent que cela passe d’abord par une écoute et une communication, la confiance en soi, le consentement et le respect, puis viennent le plaisir partagé, la complicité et l’épanouissement. Les garçons citent en premier le plaisir partagé, la communication, une sexualité avec des fantasmes et la découverte de nouveautés, l’absence de complexes et de tabous.

Des enseignement pour faire évoluer l’EARS

Véronique Suquet en est convaincue, il faut arrêter d’arriver après la bataille : « je pense qu’il faudrait revoir la politique de prévention vis-à-vis de la sexualité, avec une formation précoce dès le primaire car, au collège, on arrive déjà trop tard par rapport à l’exposition aux écrans, notamment. Ce sont des pratiques déjà instaurées, en particulier au Canada. Cette formation EARS pourrait inclure du développement personnel (émotions, besoins, confiance en soi…), de la communication (communication non verbale, etc.), une éducation relationnelle (dans l’optique de la prévention du harcèlement) ainsi qu’une éducation par rapport aux écrans (images à contenu sexuel, etc.). Agir tôt est donc devenu incontournable : plus de la moitié des enfants de 7 à 14 ans possèdent un smartphone [2]. Et le phénomène s’est fortement accéléré en 2021, en particulier chez les 9-10 ans où le nombre d’enfants équipés d’un portable a augmenté de 12 %. Dans le détail, fin septembre 2021, 41 % des enfants de 9-10 ans (CM) et 26 % des 7-8 ans (CE) possédaient un smartphone, contre respectivement 29 % et 15 % en fin d’année 2020. Le Covid-19 a probablement été un facteur favorisant.

L’EARS pourrait ensuite se développer au moment de l’entrée au collège sur le versant impacts/risques liés à la pornographie, avec une éducation précoce au monde du numérique et au risque de la pornographie (fausses croyances sur le droit à l’image ; les nudes ; les dickpick/ photos de pénis envoyées via le smartphone souvent non-sollicitée ; les addictions) sans oublier une éducation au consentement (importance de l’impact sur la construction identitaire et sexuelle de savoir dire « non » ; dire « oui, mais maintenant je n’ai plus envie », « je ne sais pas »…). La zone grise dans le consentement n’est en effet pas évidente à l’heure de la découverte de la sexualité.

Renforcer la prévention par rapport aux infections sexuellement transmissibles (IST) est indispensable, « la plupart des jeunes que je rencontre ne savent pas que 60 % des IST sont asymptomatiques, illustre Véronique Suquet, ou que la pénétration n’est pas la seule pratique qui expose au risque d’IST ». L’EARS doit inclure également la thématique centrale de l’agression sexuelle. « Redéfinir une agression sexuelle est important, poursuit la spécialiste, puisque la majeure partie des jeunes la décrivent exclusivement comme la pénétration du pénis dans le vagin. De ce fait, beaucoup de jeunes sont dans la méconnaissance d’abus qu’ils ont pu subir. »

Redéfinir une agression sexuelle est important. Beaucoup de jeunes sont dans la méconnaissance d’abus qu’ils ont pu subir  Véronique Suquet

 Il y a besoin de professionnels de santé dans l’information à la sexualité

Pour le Pr Israël Nisand, professeur émérite de Gynécologie Obstétrique (Université de Strasbourg) « homosexualité et attirances sexuelles, masturbation, jouissance sexuelle et orgasme, virginité, violences sexuelles, abus sexuels et inceste sont des thématiques incontournables dans les explications qu’attendent les jeunes [3],. Le dialogue avec les adultes humanise ce que la pornographie déshumanise. La confrontation brutale avec des documents produits par des adultes et pour les adultes qui rivalisent dans la transgression pour mieux se vendre demeure souvent la seule source d’information. Or, les jeunes ne peuvent pas prendre de distance par rapport à l’image et au son qui, pour eux, représentent la réalité (c’est en image donc c’est vrai). L’appareil critique qui existe chez les adultes n’étant pas encore installé, les jeunes sont donc incapables de prendre de la distance face à ces types de spectacles.

Nous n’informons pas nos enfants en matière de sexualité (malgré la loi qui le prévoit bel et bien) et ce n’est pas la pornographie qui est en mesure de s’en charger à notre place, sauf à accepter une dégradation de l’image des femmes et, de fait, à une détérioration de la sexualité des que celle-ci ne se situe plus dans la sphère strictement virtuelle. Au total, si l’éducation de base est du ressort des parents qui sont les seuls à avoir une légitimité totale pour ce qu’on pourrait appeler « l’éducation morale » de l’enfant, il vient un moment où ils ont besoin de l’aide des professionnels de santé. Il y a besoin de tiers dans l’information sur la sexualité. Les parents doivent pouvoir proposer à leur enfant un interlocuteur auquel ils font confiance. Là est leur seule possibilité d’action, une fois que la vie sexuelle de l’adolescent est engagée. »

Nous n’informons pas nos enfants en matière de sexualité et ce n’est pas la pornographie qui est en mesure de s’en charger à notre place  Pr Israël Nisand

 

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Véronique Suquet déclare n’avoir aucun lien d’intérêt avec sa présentation.

 

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