POINT DE VUE

IDM : le retour de la bivalirudine ?

Pr Ph Gabriel Steg

Auteurs et déclarations

29 novembre 2022

Le blog du Pr Gabriel Steg – Cardiologue

Transcription

France – Bonjour. Aujourd'hui, je voudrais vous parler de la saga de la bivalirudine dans l'infarctus aigu. Est-ce la fin de l'histoire avec l'étude positive BRIGHT-4  ?

La saga de la bivalirudine dans l’infarctus aigu a commencé il y a une quinzaine d'années avec l'étude HORIZONS-AMI qui avait comparé la bivalirudine à l’héparine avec une perfusion d'anti-GPIIb/IIa et qui avait montré une réduction des saignements, mais surtout une réduction de la mortalité toute cause.

Depuis, il y a eu cinq autres études randomisées dans l'infarctus avec ou sans sus-décalage ST qui ont retrouvé des résultats globalement assez concordants sur une baisse de saignements et un peu discordants sur le reste. Certaines études ont retrouvé une baisse de mortalité, notamment l'étude européenne MATRIX, mais d’autres ont également retrouvé une augmentation du risque de thrombose de stent avec la bivalirudine.

Une augmentation des événements ischémiques ?

Il y a eu une grande étude britannique monocentrique – HEAT-PPCI  – qui a montré que lorsqu’on compare une perfusion courte de bivalirudine à l’héparine fractionnée sans anti-GPIIb/IIa, il n'y a pas de réduction de saignements, ni de réduction de la mortalité. Il y a même une augmentation des événements ischémiques et thrombotiques, notamment, mais pas seulement, des thromboses de stent.

Toutes ces études ont été critiquées parce que l'utilisation des anti-GPIIb/IIa a considérablement diminué depuis 15 ans et qu'elle a été considérée comme pouvant désavantager le bras héparine.

En effet, beaucoup de ces études ont été faites à l'époque du clopidogrel et à l'époque où on faisait des abords fémoraux, ce qui augmente les saignements. Il est probable que lorsqu'on a de la bivalirudine, qui est un anticoagulant de brève demi-vie, il faut donner une perfusion prolongée après la fin de la procédure pour couvrir le risque de thrombose de stent, sachant que les antiplaquettaires oraux mettent plusieurs heures à agir dans le contexte de l'infarctus aigu, alors que l’héparine, elle, est un anticoagulant qui a une demi-vie de quatre heures.

Dans beaucoup de ces études, il y avait eu des patients qui avaient reçu l’héparine en bolus avant la randomisation dans les deux bras. Plusieurs de ces essais ont inclus des infarctus avec et sans sus-décalage de ST et il est probable que les bénéfices de la bivalirudine ne soient probablement pas les mêmes dans les deux types de situation, notamment l'infarctus avec sus-décalage de ST étant une situation à plus haut risque thrombotique. C'est l'essai HEAT-PPCI qui avait influencé la pratique vers le milieu des années 2010 et qui a abouti au quasi-abandon de la bivalirudine, tant en Europe qu’aux États-Unis.

 
L'essai HEAT-PPCI avait influencé la pratique vers le milieu des années 2010 et abouti au quasi-abandon de la bivalirudine.
 

BRIGHT-4 : une étude positive, de bonne facture

Nos collègues chinois viennent de publier et de présenter lors du congrès de l'AHA, une étude (BRIGHT-4) – qui est la plus grande étude jamais réalisée sur le sujet – sur 6 000 patients. Les patients reçoivent un traitement antiplaquettaire moderne et ont un accès artériel par voie radiale pour la plupart. Ils sont randomisés pour recevoir de l’héparine non fractionnée d’un côté, de la bivalirudine bolus plus perfusion prolongée pendant deux à quatre heures de l’autre, pas d’autres anticoagulants donnés dans aucun des deux bras. Aucun des deux groupes ne reçoit d’héparine avant la randomisation et le suivi est de bonne qualité, avec 30 jours de suivi pour 99,7 % des patients.

Qu’observe-t-on ?

À la surprise générale, on observe une victoire, si je puis dire, par KO de la bivalirudine. Ce n'est pas une victoire aux points. La bivalirudine réduit le critère primaire, qui était un composite de décès et saignements graves, elle le réduit de 30 %. Elle réduit la mortalité de 25 % en valeur relative, 0,9 % en valeur absolue, elle réduit les saignements graves de 80 % et elle réduit les événements ischémiques d’environ 20 % et même les thromboses de stent, même si celles-ci sont rares. Il n’y a aucun inconvénient, si on peut dire, dans cette étude à utiliser la bivalirudine, il n’y a que des avantages. C’est vraiment un résultat tout à fait frappant.

Ce qui est intéressant ici, c’est qu’au même congrès de l’AHA, une méta-analyse sur données individuelles des six essais randomisés précédents a également été présentée, et lorsqu’on regarde les résultats de la méta-analyse sur données individuelles et qu’on se concentre sur les patients avec un infarctus avec sus-décalage de ST, on trouve, en réalité, des résultats assez similaires à ceux de l’étude BRIGHT-4. On pourrait se dire que, finalement, la méta-analyse prédisait ces résultats : une réduction de mortalité, une réduction des saignements et une réduction des événements dits indésirables, c’est-à-dire le composite des événements ischémiques et hémorragiques.

 
À la surprise générale, on observe une victoire, si je puis dire, par KO de la bivalirudine.
 

La victoire de BRIGHT-4 va-t-elle mener à un changement de pratique ?

C’est encore difficile à dire. Le verre à moitié plein et l’argument pour, est qu’il est difficile de ne pas utiliser un traitement qui est montré, dans un essai randomisé bien fait, réduire la mortalité, même si c’est de 1 %, sachant qu’en valeur relative c’est un quart des décès. Donc, réduire la mortalité de l’infarctus d’un quart par une procédure assez simple : un anticoagulant en bolus et une perfusion. Cela paraît assez attractif, sachant que la bivalirudine n’est pas, non plus, un traitement très coûteux. Un traitement qui est donné en une seule prise et qui n’est pas répété.

Néanmoins, je pense que ce n’est pas sûr qu’il y aura un retour en arrière, parce que les pratiques ont déjà changé et que, si je puis dire, les gens ont déjà adapté leurs pratiques depuis plusieurs années à l’héparine et qu’il est difficile de faire changer les pratiques.

On sait qu’il y a une inertie médicale qui est importante et que les discordances apparentes entre toutes les études randomisées font que chacun va choisir celle qui lui plaît.

Même si BRIGHT-4 est la plus grande, la dernière et, peut-être, on peut dire, celle qui est la plus complète. C’est une étude chinoise, c’est une étude dont la pertinence pour notre pratique va sûrement être critiquée et, donc, je pense, qu’il va être intéressant d’observer le changement éventuel des pratiques dans l’anticoagulation d’infarctus aigu dans les mois et les années à venir. Et de voir également, quels vont être les recommandations pour la pratique des sociétés savantes — l’ESC, l’ACC et l’AHA. Voilà. Donc je ne sais pas si c’est la fin de l’histoire, mais, en tout cas, c’est une pièce de plus au puzzle.

Merci et à bientôt sur Medscape.

 
Il est difficile de faire changer les pratiques.
 

 

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