Loi de bioéthique et dons croisés de rein : des progrès sans effet ?

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

25 novembre 2022

Paris, France — La loi de bioéthique de 2021 a fait évoluer le don croisé de rein afin d’augmenter les possibilités d’appariement entre donneurs et receveurs lorsqu’il existe une incompatibilité entre le patient en attente d’une greffe et un proche souhaitant donner un rein. Les progrès restent toutefois insuffisants pour développer le programme de dons croisés en France, a estimé le Pr Marc-Olivier Timsit (Hôpital Européen Georges-Pompidou, AP-HP, Paris), lors d’une présentation au 116ème congrès de l’Association française d’urologie (AFU)[1].

Pour stimuler les dons croisés de rein, « l’une des solutions serait d’autoriser le don altruiste, comme en Angleterre, aux Etats-Unis ou au Canada », a commenté le néphrologue. Cette approche permettrait alors d’initier une chaine de dons à partir d’un donneur vivant seul. Chaque année en Angleterre, 30 à 40 personnes feraient ainsi don d’un rein de manière altruiste pour en faire bénéficier des patients inscrits au programme de dons croisés.

De plus en plus de patients avec une insuffisance rénale sont en attente d’une greffe de rein. En France, selon les dernières données de l’Agence de la biomédecine, on compte actuellement plus de 18 000 patients en attente d’une transplantation rénale. Même en retirant les patients décédés dans l’année et ceux ayant bénéficié d’une greffe rénale (près de 3 000 par an, dont 15% environ issues d’un donneur vivant), cette liste inclut chaque année quelque 1 000 patients en plus.

Seules 12 greffes réalisées en 5 ans

Dans le cas de la greffe à partir de donneurs vivants, les chances de trouver un donneur compatible sont faibles. Pour favoriser les appariements, la loi de bioéthique de 2011 a autorisé le don croisé. Il s’agit d’un programme spécifique destiné aux patients ayant un proche prêt à faire don d’un rein, mais biologiquement incompatible. Le programme permet à des paires, constituées d’un patient et d’un donneur incompatible, de se rassembler pour échanger leurs donneurs de manière anonyme et bénéficier ainsi d’une greffe compatible.

En France, seuls les échanges impliquant deux paires patient/donneur ont été initialement autorisées. « Deux personnes, candidates au don pour un proche mais incompatibles avec leur proche malade, s’échangent leur receveur respectif », précise la loi de 2011. Les actes de prélèvement et de greffe devaient se faire de manière simultanée, dans le respect du principe de l’anonymat, en faisant voyager l’organe prélevé vers les paires respectives.

Les résultats des modalités appliquées se sont avérés très décevants, au point de placer la France parmi les pays européens les moins performants dans le don croisé de rein. Alors que l’Agence de la biomédecine espérait 50 à 100 greffes de rein en plus par an, seulement 12 transplantations ont été réalisées par ce biais entre 2013 et 2018, pour un total de 72 paires patient/donneur inscrites au programme. Aucune greffe n’a été enregistrée les années suivantes.

Des progrès sont attendus avec la nouvelle loi de bioéthique de 2021, qui a apporté un assouplissement dans les dons croisés d’organe. Elle autorise désormais de recourir à un organe prélevé sur donneur décédé, ce qui revient à autoriser la chaine de dons à partir d’un rein d’un donneur seul. « En substitution au prélèvement de l'un des donneurs vivants, il peut y avoir recours à un organe prélevé sur une personne décédée », précise la loi.

Chaines de dons de 24 heures maximum

En pratique, une chaine de dons est initiée par un donneur seul (vivant ou décédé) n’ayant pas de patient spécifique à qui faire un don. Cette première greffe permet d’amorcer une suite de dons parmi des paires patient/donneur incompatibles. Le donneur vivant associé au patient recevant le rein du donneur décédé peut alors à son tour donner son rein qui va bénéficier à une deuxième paire patient/donneur, et ainsi de suite. « Dans ce cadre, le nombre maximal de paires de donneurs et de receveurs consécutifs est limité à six ».

Une chaine de dons permet de s’affranchir de la contrainte de mener des opérations de prélèvements et de transplantation en simultané lors d’un échange entre deux paires incompatibles. La nouvelle législation a toutefois établi un délai maximal de 24 heures entre la première greffe d’une chaine de dons (issue du donneur seul) et la dernière.

Etant donné que les interventions ne sont plus à mener de manière simultanée, ces nouvelles modalités devraient impliquer un plus grand nombre de patients. Selon une simulation de l’Institut des politiques publiques (IPP) publiée avant la révision de la loi de bioéthique, « autoriser des chaînes de dons, initiées par des donneurs décédés, même à des fréquences modestes, permet de plus que tripler le nombre de greffes » [2].

Pour le Dr Timsit, il aurait fallu aller encore plus loin en autorisant également le don altruiste pour initier une chaine de don. Dans les pays où cette pratique est autorisée, les donneurs altruistes sont généralement des personnes qui souhaitent participer au don d’organes après qu’un proche ait pu en bénéficier, a précisé le spécialiste.

Ceci dit, les limites du programme de dons croisés en France devraient encore représenter un frein important, estime le néphrologue. « L’échec du programme est lié au très faible nombre de paires inscrites et au très très faible nombre de combinaisons possibles ». Avec les nouvelles dispositions, « on augmente le nombre de combinaisons possible, sans augmenter le nombre de paires inscrites et sans vraiment faciliter l’organisation de ce défi logistique ».

Elargir le programme à l’échelle européenne

Pour avoir plus de paires inscrites, « il faudrait développer le programme à l’échelle européenne ». Le délai de 24 heures maximum à respecter entre les deux extrémités de la chaine est également trop restrictif. « Autoriser le déroulement de la chaine sur plusieurs semaines ou sur plusieurs mois » permettrait d’améliorer les performances du don croisé, en rendant notamment la démarche compatible avec l’agenda des malades.

Autre solution envisagée: « autoriser des greffes déséquilibrées ». Certains patients pourraient alors recevoir des reins avec seulement une incompatibilité de groupe sanguin (ABO incompatible), après désensibilisation. Une option qui pose toutefois un problème d’équité, la qualité du rein reçu par le patient étant alors potentiellement inférieure à celle de sa paire patient/donneur.

L’inscription de couples « moyennement compatibles », en permettant par exemple la participation d’un patient obèse avec une artériopathie iliaque calcifiée, pourrait également renforcer le système d’échanges. Mais là encore, la différence de qualité des greffons échangés dans la chaîne de don pose un problème d’équité.

La nouvelle loi de bioéthique représente « un grand pas en avant » en ce qui concerne le don croisé. Cependant, « sans mettre les moyens dans les processus organisationnels et sans s’affranchir de certaines considérations éthiques, à mon avis, dépassées et non pragmatiques, ce programme [de dons croisés] ne pourra jamais démarrer », a conclu le Dr Timsit.

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