France – Le 23 octobre dernier, une mission de formation à la médecine de guerre organisée par l’ONG française Mehad (Ex-UOSSM France) a débuté en Ukraine. Elle a consisté à former à l'échographie d’urgence 17 médecins ukrainiens. Retour sur ce périple avec le Pr Raphaël Pitti, spécialiste de médecine de guerre et responsable de la formation au sein de l’ONG.
Mehad (ex-UOSSM France) est une ONG française de santé et de solidarité internationale. Née en 2011 de la volonté d’un groupe de médecins de répondre à l’urgence d’apporter des soins de santé aux populations touchées par la guerre en Syrie ainsi que dans les pays limitrophes, elle a mis en place un centre de formation à Lviv et forme désormais des médecins ukrainiens aux techniques de médecine de guerre.
L’arrivée des victimes à l’hôpital, en nombre, nécessite en effet une organisation qui débute par le triage afin de catégoriser les victimes selon leur niveau d’urgence. Ensuite, la stabilisation des victimes, surtout quand le pronostic vital est engagé, impose des gestes de réanimation, de chirurgie de sauvetage, et donc de connaitre ce que l’on appelle “la chirurgie de guerre” ou aujourd’hui “le damage control chirurgie de guerre”.
Ce projet de formation mené en partenariat avec la Chaîne de l’espoir est destiné aux sauveteurs, médecins, chirurgiens et infirmières des hôpitaux entraînés malgré eux dans les combats depuis l’invasion de leur pays par les Russes le 24 février.
Parce que les séquelles de la guerre ne sont pas seulement physiques mais aussi psychologiques, l’ONG propose aussi des formation à la prise en charge du psycho traumatisme en urgence aux psychiatres et aux psychologues ukrainiens.

Pr Raphaël Pitti
Explications détaillées du Pr Raphaël Pitti, professeur agrégé de médecine d’urgence, et anesthésiste-réanimateur, qui revient tout juste d’Ukraine.
Medscape édition française : Jusqu’à présent, l’ONG Mehad (Ex-UOSSM France) est intervenue essentiellement en Syrie, qu’est-ce qui vous a décidé à former des soignants en Ukraine ?
Pr Raphaël Pitti : Effectivement, au cours des 10 dernières années, nous avons ouvert 4 centres de formation et formé plus de 30 000 soignants en Syrie. Quand la guerre a démarré en Ukraine – forts de nos 10 ans d’expérience en Syrie et connaissant les stratégies de guerre propres aux Russes – nous avons proposé de créer un centre de formation pour aider nos collègues médecins ukrainiens, sachant qu’il ne s’agirait pas d’une guerre conventionnelle où les forces armées allaient se confronter l’une à l’autre – ce à quoi les hôpitaux militaires ukrainiens étaient susceptibles de faire face car étant preparés depuis 1994 –. En revanche, ils n’étaient pas préparés au fait que ce serait une guerre où les hôpitaux civils allaient être ciblés par les bombardements russes.
En quoi la guerre en Ukraine est-elle semblable à ce qui s’est passé en Syrie ?
Pr Raphaël Pitti : La guerre en Ukraine, comme en Syrie, est une guerre urbaine qui impacte directement les hôpitaux civils. C’est une guerre totale, les bombardements ne font pas de différence entre les populations civiles et militaires. La situation, comme celle que nous avons connu en Syrie, d’encerclement et de siège conduit les hôpitaux à travailler en situation dégradée, par manque de moyens et de personnels, car, du fait de la violence des combats, les soignants ont fui quand ils pouvaient avec les autres civils ou ont été déplacés. Assurer une certaine qualité de soins dans les structures hospitalières devient donc compliqué et il est nécessaire de former le personnel, pas uniquement en termes de pathologies, de triage, de mise en place de protocoles (transfusion, etc) mais d’initier les chirurgiens à la chirurgie de guerre et de former du personnel infirmier.
Comment et où s’est mis en place votre centre de formation en Ukraine ?
Pr Raphaël Pitti : En avril dernier, alors que les russes bombardaient le pays, nous avons créé un centre de formation à Lviv, proche de la frontière polonaise pour être en situation de sécurité. Pour autant, par la suite les forces russes n’ont pas réussi à prendre Kyiv et se sont concentrées dans l’est et le sud-est du pays, occupant 20% du territoire ukrainien. En juin, juillet et août, les combats – et les victimes essentiellement militaires – se sont concentrées dans l’est du pays. Nous nous sommes alors demandés s’il était pertinent de maintenir notre centre de formation à Lviv et si nous étions toujours utiles alors que les combats se limitaient à la ligne de front et que les civils n’étaient plus directement impactés.

Centre de formation Mehad à Lviv, Crédit Mehad
Vous êtes-vous rapprochés de la ligne de front ?
Pr Raphaël Pitti : A partir de fin septembre, la contre-offensive ukrainienne a permis la récuperation d’une partie du territoire. A ce moment là, nous avons estimé que nous devrions nous déplacer et aller plutôt vers Kharkiv [ville ukrainienne située à 32 km de la frontière russe] pour mieux répondre aux besoins de formation de nos collègues civils. Donc si nous avions commencé fin août les formations à Lviv, c’est à Kharkiv que nous sommes partis il y a deux semaines pour proposer une formation à l’échographie d’urgence assurée par le Dr Pierre Catoire, médecin urgentiste, formateur Mehad (Ex-UOSSM France) et le Dr Vitalii Mahlovayi, chirurgien instructeur Mehad, formé à Lviv. Dix-sept médecins ukrainiens ont postulé pour suivre la formation, nous n’en avons retenu que 12 (cardiologues, chirugiens, urgentistes, anesthésistes-réanimateurs) pour pouvoir les former efficacement. Ce sont des soignants qui travaillent directement auprès des blessés de guerre dans les hôpitaux aux alentours. Tous étaient motivés et reconnaissants de notre présence en Ukraine.
Pourquoi avoir choisi l’échographie en urgence ?
Pr Raphaël Pitti : C’est d’un très grand intérêt car cela permet de compléter le bilan clinique au moment du triage afin mettre en évidence les lésions internes. Grâce à l’échographie, vous savez si vous avez un épanchement pleural, gazeux, sanguin, du sang dans l’abdomen, dans les poumons, etc… et confronté à la clinique, cela permet de déterminer s’il faut opérer d’urgence ou non. A ce titre, l’échographie est devenu un outil indispensable du triage et ce d’autant plus que la technologie a évolué et que les échographes pèsent aujourd’hui 90 grammes, mesurent environ 12 cm et que l’on peut utiliser l’écran de son smartphone pour visualiser l’imagerie.
Ces 12 médecins formés à l’échographie vont-ils être assez nombreux pour gérer l’urgence ?
Pr Raphaël Pitti : Non, c’est la raison pour laquelle nous avons regagné Lviv avec des médecins qui venaient d’être d’être formés à l’échographie d’urgence pour qu’ils puissent à leur tour devenir formateurs et retourner à Kharkiv pour former leurs collègues. Lors de cette mission, nous avons apporté 2 appareils d’échographie, utilisables 24h sur 24 que nous avons laissé à disposition des hôpitaux qui en avaient besoin.
Quid de la prise en charge du stress post-traumatique ?
Pr Raphaël Pitti : Nous avons proposé le week-end dernier une formation à la prise en charge du psychotraumatisme en urgence, celle-ci devant avoir lieu dans les heures – au maximum dans les 48 heures – qui suivent l’évènement traumatique. A proximité du trauma, une technique comme l’EMDR a montré son efficacité pour éviter de rentrer dans la chronicité. N’importe quel médecin, psychiatre ou non, ou même psychologue doit être capable de proposer une telle prise en charge. C’est pourquoi nous avons mis en place une formation, en partenariat avec le département de psychologie de l’Université de Lorraine, dirigé par le Pr Cyril Tarquinio et spécialisé dans le psychotrauma. Le cours s’est déroulé sur 3 jours en visioconférence auprès de 17 psychiatres et psychologues travaillant avec le service des urgences de Lviv. Nous allons maintenant passer à la deuxième phase et faire en sorte que certains deviennent formateurs à leur tour pour, qu’à terme, la formation soit assurée par les ukrainiens.
Quelles autres formations à la médecine de guerre sont prévues ?
Pr Raphaël Pitti : Les cours qui vont suivre seront consacrés, d’une part, à la prise en charge des victimes chimiques, d’autre part, à la chirurgie de guerre (damage control). Par ailleurs, nous allons mettre en place une coopération entre notre centre de formation et celui des médecins et secouristes ukrainiens, qui manque de moyens pédagogiques.
Vous étiez à Kharkiv, qu’en est-il du fonctionnement de l’hôpital là-bas?
Pr Raphaël Pitti : J’ai effectivement visité l’hôpital qui a subi des bombardements, une partie de l’hôpital pédiatrique n’est d’ailleurs plus utilisé et beaucoup de médecins et de personnels infirmiers sont partis en même temps que le reste de la population. Pour autant, l’hôpital continue à fonctionner mais s’est redéployé pour faire face à la situation. A titre d’exemple, l’hôpital pédiatrique accueille désormais aussi des adultes. En réanimation, les patients médicaux et chirurgicaux ont été regroupés dans le même secteur. Les blocs opératoires sont passés de 7 à 3 avec 2 structures d’urgence. Et le service d’ophtalmologie sert désormais à la consultation.
Que se passe-t-il en cas d’alerte pour les enfants notamment ?
Pr Raphaël Pitti : A l’hôpital de Kharkiv, les alertes sont très fréquentes et il est trop compliqué de descendre les enfants qui sont en réanimation dans les caves à chaque fois. Quand une alerte retentit, les enfants sont positionnés dans les couloirs, loin des façades, et un infirmier reste avec eux, tandis que les familles – qui sont autorisées à accompagner les enfants en raison du manque de personnel – descendent dans les caves.
D’une façon plus générale, comment sont pris en charge les blessés en Ukraine actuellement ?
Pr Raphaël Pitti : Les Ukrainiens sont bien organisés, les hôpitaux fonctionnent – quitte à se réorganiser – les blessés de la ligne de front, principalement des militaires, sont pris en charge par les structures militaires du pays. Les blessés venant du front sont stabilisés dans des structures de premier niveau, puis envoyés dans des hôpitaux de second niveau. Les blessés les plus graves, ceux qui demandent des ré-interventions pour éviter des amputations par exemple, sont évacués vers les pays européens comme la Suède, la Norvège, la Pologne, la France et la Belgique – dans le cadre d’accords européens.
Pour en savoir plus sur Mehad, devenir bénévole, donateur ou participer au financement d'une sonde portative d'échographie d'urgence : https://www.mehad.fr/
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Crédit image de Une et intérieure : Mehad
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Citer cet article: Formation à la médecine de guerre en Ukraine: interview du Pr Raphaël Pitti - Medscape - 24 nov 2022.
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